A l’occasion de notre grande soirée Alliancy placée sous le thème « Quel numérique voulons-nous pour demain ? », notre chroniqueur Alain Garnier partage les 10 axes ambivalents sur lesquels il lui parait urgent de trouver le bon équilibre, à la fois en tant qu’individu, entreprise et société.
Le numérique est aujourd’hui le double mental de notre moi intérieur, à la fois personnel et collectif. Le smartphone, objet emblématique du numérique, nous permet de se parler à distance, à l’écrit comme à l’oral, grâce à la vidéo, de garder une trace de nos agendas bien remplis, de payer en ligne et, dans la vraie vie, de lire un roman ou encore de faire appel à un médecin. Toutes nos vies sont désormais incluses dans le numérique mais avec un fonctionnement, un mode qui lui est propre.
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Quel numérique voulons-nous pour demain ? Ce n’est pas un programme ou une utopie, un bien contre un mal que nous devons construire. L’enjeu est de résoudre, dans une dynamique permanente, les tenseurs de ce nouvel univers numérico-physique pour créer une société harmonieuse car respectueuse de toutes les forces qui la composent.
J’ai donc réfléchi à 10 tenseurs du numérique. 10 tenseurs qui forment la matrice de nos décisions, de nos actions et pour lesquels il faut osciller entre les deux axes sans que l’un prenne pour autant le pas sur l’autre. Je les ai appelés les « Tensuriques » :
Les 10 tensuriques
- Décarboné et Biologique
- Libertaire et Responsable
- Diversité et Singularité
- Véridique et Polémique
- Lucratif et Égalitaire
- Exclusif et Inclusif
- Global et Local
- Scientifique et Sensible
- Privatif et Commun
- Dystopique et Utopique
Chaque tenseur est une invitation à la complexité et à l’imagination d’un futur numérique.
1. Décarboné et Biologique
L’origine du numérique est en dehors du biologique carboné. Pourtant, le numérique de demain devra s’extraire du Silicium pour aller vers le carbone. Cette mutation permettra de pouvoir stocker et calculer à base de carbone et de biologie (comme le premier stockage de données de la déclaration des droits de l’homme engrammé dans de l’ADN) ce qui ouvre des capacités gigantesques en termes de calculabilité et de capacité de stockage. Cependant il devra, d’un autre côté, s’en détourner pour que sa consommation énergétique soit réduite et non carbonée dans une logique écologique. C’est sans doute l’un des tenseurs les plus structurels que l’on vivra dans les prochaines années.
2. Libertaire et Responsable
Le numérique est d’origine libertaire, pourtant porté par un monde industriel et militaire très cadrant. Il faut garder cette liberté massive et puissante qui ouvre des horizons, et aboutit à l’immense monde qu’est le Web, archétype de cette approche libertaire où une simple norme technique a donné vie au plus grand espace de liberté depuis des siècles. Cependant, cette liberté doit aussi se retrouver dans une capacité à se contrôler. Que ce soit pour les enfants, mais aussi pour les ventes d’objets illégaux, voire de trafic d’humain ou même encore pour la prise de parole qui doit rester dans une zone de « responsabilité » forte. Trouver l’équilibre de la grande gouvernance numérique entre ces deux pôles est un élément clé.
3. Diversité et Singularité
Le numérique est une source de diversité, qu’il s’agisse des personnes qui la compose ou de ce que ces dernières produisent. N’ayant pas de limites, la diversité est infinie. Pour autant, chaque utilisateur, chaque application installée, chaque machine est une singularité dans son existence même. Singularité qu’il faut protéger de la massification.
4. Véridique et Polémique
Les espaces numériques sont des lieux de production du savoir. Même quand ils sont l’expression d’un sentiment ou d’un jugement hâtif, il s’agit d’un échange qui peut et doit se concevoir comme polémique. C’est normal : aucune vérité ne nait ex-nihilo. Mais ce tenseur, entre remise en cause et acceptation de vérités communes, doit se faire dans un modèle basé sur le respect et la bienveillance. Le numérique devra donc surtout, à l’avenir, intégrer cette notion dans ces algorithmes.
5. Lucratif et Égalitaire
Gagner de l’argent, voire même beaucoup d’argent, est une capacité intrinsèque du cyberspace. Toutefois, cette potentialité lucrative extraordinaire doit se vivre avec autant de bonheur que son mouvement contraire qui est le partage de cette valeur, car le déploiement d’une valeur ajoutée grâce à une plateforme numérique est aussi le fruit de ceux qui la composent. Et surtout, la paix dans le troupeau humain est d’autant plus forte que l’égalité est présente au sein de ce dernier. Le champ numérique doit se rappeler cette exigence égalitaire.
6. Exclusif et Inclusif
Le numérique apporte une dimension exclusive aux personnes qui le composent en leur apportant des services uniques, qu’ils déploient de manière personnalisée. Ces possibilités infinies doivent également aller vers plus d’inclusion pour amener tous les publics, toutes les langues, toutes les cultures dans cette valeur collective.
7. Global et Local
Le numérique a cassé les barrières de l’espace. Il s’est déployé de manière globale dans le monde sans aucun freins. Les mêmes services sont déployés dans le monde entier, et le seront demain également dans l’espace. C’est ce qui renvoie aussi à une prise en compte de la dimension locale : de la géographie, de la culture, des personnes et de leur socialisation pour ne pas déraciner ce qui fait des humains des « habitants de la terre ».
8. Scientifique et Sensible
Le numérique doit à la fois progresser sur le terrain de la science (modéliser, construire, analyser etc.) comme sur le terrain du sensible (imaginer, faire ressentir des émotions, du plaisir…) Le numérique, à l’instar de nos deux cerveaux (et plus encore de nos milliards de neurones) doit se nourrir à la source de ces deux inspirations avec la même envie et la même force. Demain, le numérique optimisera tout, certes, mais sans être au détriment du plaisir des uns pour l’asservissement des autres.
9. Privatif et Commun
Le numérique est un espace qui doit mêler plus que tout autre les dimensions privatives et communes. Il faudra du privatif, pour qu’on puisse se dire des choses, imaginer, parler, exprimer sa pensée sans que ce soit enregistré, mis en lumière voir utilisé contre nous. Et en parallèle, des lieux communs et du temps pour décider ensemble, coconstruire, coévoluer. Ce numérique reste encore à imaginer tant l’humain a encore des progrès à faire sur ces sujets. Il faudra inventer des gouvernances, des modalités de prises de décision collectives acceptées de tous. C’est tout le futur de la démocratie qui doit se redéfinir sur la base de ce que la technologie numérique permet.
10. Dystopique et Utopique
Il y aura donc des moments de dystopie, sorte de peur face au vide qui vont nous guetter à chaque fois que les tenseurs vont se « durcir ». Trop de prédation financière et la colère gronde. Trop de flicage et la révolution s’approche. Trop de polémique et de « fake news » et c’est la guerre civile qui sonne… Et pourtant, face à ces dystopies permanentes, il nous faudra rappeler les chemins de l’Utopie : la beauté du collectif, la capacité des organisations à s’autoréguler sur les taxes, le jaillissement des idées de tous, la possibilité de vivre une vie unique, etc… pour faire de ce futur numérique un voyage aux milles accidents mais dont les joyaux et les artefacts qu’on découvre valent toutes les péripéties.