Pièce maitresse de la digitalisation dans le secteur industriel, les jumeaux virtuels permettent de simuler divers scénarios et d’en mesurer les impacts pour prendre les meilleures décisions. Mais l’arrivée des dernières technologies décuplent les leviers d’optimisation. Entretien avec Henri Beringer, directeur chez Dassault Systèmes, en charge de solutions pour l’industrie automobile et les nouvelles solutions de mobilité.
Alliancy. Pour améliorer leur compétitivité, les industriels français ont accéléré leur digitalisation. Quels domaines sont-ils les plus concernés ?
Henri Beringer. Dans le secteur industriel, la digitalisation des usines commence dès la phase de conception des produits et se prolonge jusqu’à l’élaboration des chaînes de production, y compris les processus et l’ensemble des équipements. Les solutions digitales, aujourd’hui dominées par les jumeaux virtuels, visent à atteindre une agilité et une efficacité maximales, mais aussi un haut niveau de résilience pour tenir compte des perturbations éventuelles : crises géopolitiques, évolutions de la demande, nouvelles règlementations, etc.
La digitalisation doit aussi s’opérer dans une logique « just in time », pour réduire au minimum le temps de passage des produits à travers les différentes étapes afin qu’ils soient livrés au bon endroit, au bon moment, dans la bonne quantité et au bon format, mais aussi « just in sequence » pour une livraison dans un ordre précis.
Le jumeau virtuel serait-il donc la pièce maîtresse de cette digitalisation ?
Henri Beringer. Si les outils tels que Catia ou Solidworks apportent un premier niveau d’aide pour la conception des produits, le jumeau virtuel propose une réponse plus globale et beaucoup plus sophistiquée, au niveau des produits, des processus et des opérations. Concernant les produits, il permet d’abord de créer et de visualiser un modèle numérique multidimensionnel, puis de simuler des évolutions de son comportement dans le temps en fonction de différents facteurs selon une approche PLM de Product Lifecycle Management.
Le jumeau virtuel est ensuite stratégique pour définir au plus tôt la façon dont le produit sera fabriqué et maintenu, toujours dans une logique de mise sur le marché rapide et efficace. Il permet notamment d’élaborer et de simuler les processus de production, c’est-à-dire les étapes de fabrication et d’assemblage, puis de concevoir virtuellement les opérations et l’ensemble de l’usine, en étudiant toutes les possibilités et tous les scénarios. Aujourd’hui, le concept de jumeau s’étend progressivement aux entrepôts voire à l’ensemble de la supply chain, en associant éventuellement des partenaires extérieurs.
Dans l’usine et à l’échelle de toutes les entités de l’entreprise, les nouvelles solutions digitales assurent-elles suffisamment la circulation et le partage de l’information ?
Henri Beringer. Longtemps, l’approche a été séquentielle, voyant chaque département opérer sur son périmètre, à partir de ses propres données. Ce silotage entre le commercial, les études, la production, les ventes, le service après-vente, etc. entravait les interactions, et lorsqu’un problème était détecté, il était souvent trop tard pour apporter des ajustements de manière rétroactive. La plateforme 3DExperience de Dassault Systèmes apporte une réponse à cette problématique. En plus de rassembler toutes ses solutions au sein d’un même environnement, elle fournit une version unique des données et connecte l’ensemble des parties prenantes, en regroupant toutes les activités au même endroit. Elle permet la collaboration en toute sécurité des personnes, des équipes, des services et des intervenants externes pour transformer les idées en produits ou services innovants.
Au-delà du jumeau virtuel et des automatismes sur l’outil de production, quelles autres solutions digitales permettent d’améliorer la performance des usines et donc la compétitivité des industriels ?
Henri Beringer. Lorsque le modèle numérique de l’usine est construit, le « Virtual Commissioning », ou mise en service virtuelle en français, permet de valider la configuration des machines en simulant le comportement de la chaîne de fabrication physique à travers un environnement virtuel. Durant la phase d’exploitation, le « Manufacturing Operations Management » ou gestion des opérations, constitue une autre pièce maîtresse pour maintenir le niveau de production, en identifiant les problèmes de qualité ou de sous-performance. Grâce à ce type de solutions, un constructeur automobile qui rencontrait des problèmes d’efficacité sur une chaîne d’assemblage de carrosserie pour des véhicules électriques a pu augmenter de 20 % la production de sa ligne.
« D’abord utilisé pour créer des modèles numériques d’un futur produit, le jumeau virtuel a étendu ses capacités de modélisation et de simulation à des systèmes plus complexes comme les chaînes de fabrication, les entrepôts et désormais l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement »
Les dernières technologies avancées, telle l’intelligence artificielle, renforcent-elles ces solutions ?
Henri Beringer. Les attentes sont élevées, notamment au sujet de la maintenance des machines de production de manière prédictive voire prescriptive. L’analyse des données captées sur les équipements croisées avec leur jumeau virtuel permet d’anticiper les dysfonctionnements (pannes, dérèglements, etc.) et de suggérer des pistes d’action. Mais il s’agit encore souvent de projets expérimentaux. Nous sommes à un moment charnière où il faut désormais passer à l’échelle. C’est dans ce sens que nous avançons avec nos clients, mais aussi avec nos confrères à travers des initiatives de collaboration ouverte menées par exemple dans le cadre du Gimelec, l’organisation professionnelle de la filière électro-numérique française. Le groupement d’intérêt économique Software République que nous avons lancé y a deux ans avec Atos, Orange, Renault, STMicroelectronics et Thales, s’inscrit aussi dans cette logique, pour fournir des solutions de mobilité sécurisées et durables, notamment en incubant des projets d’entrepreneuriat.
Justement, les start-up sont-elles des partenaires stratégiques ?
Henri Beringer. Par leur travail de veille et leurs innovations, en particulier dans le domaine du digital pour l’industrie 4.0, elles sont essentielles. Dassault Systèmes travaille aujourd’hui avec de nombreuses start-up apportant des solutions complémentaires à la plateforme 3DExperience. Il arrive aussi au groupe de procéder à des rachats, comme récemment celui de Diota, une jeune pousse française spécialisée dans les outils de réalité augmentée pour l’industrie. Plus largement, au sein de la Software République, nous œuvrons au renforcement des collaborations avec des acteurs des mondes privé, public et académique, en aidant notamment les start-up à travers un programme d’accompagnement sur mesure.
Quels bénéfices les industriels peuvent-ils attendre de la transformation digitale de leurs usines ?
Henri Beringer. La réduction des délais de mise sur le marché constitue indéniablement le plus gros enjeu. Dans le secteur de l’automobile, le recours aux jumeaux virtuels des produits, des usines et des processus de fabrication peut permettre de diminuer de 30 % le « lead time », depuis le design des produits jusqu’à la première sortie d’usine. Ces mêmes jumeaux virtuels permettent en outre d’accélérer la montée en cadence des lignes de production en augmentant la vitesse de fabrication, diminuant les temps perdus, préparant et suivant au plus près les opérations, mais aussi en anticipant les éventuels dysfonctionnements. La digitalisation doit aussi améliorer la qualité et la sécurité de production. Les enjeux sociétaux peuvent également être appréhendés au plus tôt dans le jumeau virtuel, pour maîtriser les consommations de matière et d’énergie par exemple, ou encore pour optimiser l’ergonomie des postes de travail.
Quelques données clés
Dassault Systèmes (ou « 3DS ») est un éditeur mondial spécialisé dans les logiciels de modélisation 3D et d’ingénierie. Se définissant comme « the 3D Experience Company », le groupe propose aux entreprises et aux particuliers des univers virtuels leur permettant d’imaginer des innovations durables, capables d’harmoniser les produits, la nature et la vie. Il a notamment développé 3DExperience, une plateforme collaborative regroupant un ensemble de solutions de conception, simulation et production.
- Activité : éditeur de logiciels de modélisation 3D et d’ingénierie
- Présence mondiale : 180 bureaux dans 42 pays
- Effectif : 24 000 personnes
- Chiffre d’affaires : 5,7 milliards d’euros