Cette nouvelle chronique sur les experts du futur pour les entreprises épingle le relation archaïque « employeur-employé » qui met à mal la transformation des organisations.
A mi-chemin dans la production de nos douze chroniques, affirmons l’idée selon laquelle l’expert du Futur devrait être autant voire plus « ce que l’on désire qu’il soit » que « ce qu’il est malheureusement possible qu’il devienne ». Ce qui nous incite à adopter une démarche performative (« dire » est le début du « faire ») et jubilatoire.
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Dans cet esprit, osons penser l’expert dans l’habit de lumière du XXIème siècle, celui d’un entrepreneur, lui qui souvent a été plus que tout autre confiné dans le rôle de salarié modèle, enchaîné à son entreprise durant les dizaines d’années de sa vie professionnelle.
Le poids trop lourd du schéma des Trentes Glorieuses
Mais d’abord, essayons de comprendre pourquoi cette relation employeur-employé quelque peu archaïsante reste encore aujourd’hui collée à la peau des experts. Archaïsante car il s’agit, faut-il le rappeler, du schéma des Trente Glorieuses, où le salarié est encastré dans son organisation de son premier job jusqu’à sa retraite, ne pense que par elle, lui reste fidèle et lui confie son destin contre la garantie d’une progression honnête et d’une certaine sécurité de l’emploi. Ce « deal » employeur/employé, qui n’est pas sans intérêt bien sûr, mis à mal dans les années 80, dans un contexte de globalisation – financiarisation et de plans sociaux, n’est souvent plus qu’un souvenir, mais garde une certaine logique dès lors que l’on parle d’expertise.
En effet, l’expert construit sa compétence, sa valeur, dans la durée (souvent plusieurs dizaines d’années), et cela dans le contexte de son organisation. Sa valeur est intrinsèque en partie, mais souvent dépendante du contexte organisationnel, scientifique et technologique dans lequel elle est acquise. Par ailleurs, l’expertise détenue par une organisation via son expert est généralement critique, susceptible de produire des avantages distinctifs, et doit être préservée de toute intrusion, la pire résultant du départ de l’expert chez le concurrent. Enfin, posons une hypothèse qui peut se révéler source de polémique, et qui n’est sans doute pas valide dans toutes les situations : l’expert ne sait pas ne pas être dominé par le manager, celui qui décide en tenant ou pas compte de l’avis d’expertise, celui qui sait développer son agilité personnelle, son entrepreneuriat individuel.
Ne pas retrouver cantonner dans des trajectoires de carrière figées
L’expert d’hier rate ce que l’expert de demain verra et exploitera : sa capacité d’influence, sa position d’acteur-clé incontournable, sa capacité à négocier de nouveaux deals avec les organisations, muni pour cela d’un capital au moins aussi important que celui des managers. Il comprendra aussi que les trajectoires de carrière qui le cantonnent dans des filières d’expertise, faites officiellement pour « redorer son blason », contribuent aussi à l’enfermer dans un rôle en désuétude, alors que de multiples combinaisons existent entre expertise, management, gestion de projet, consulting, management de transition, business entrepreneuriat…
Libéré des carcans de ces systèmes appelés « dual ladders » (carrière d’expert versus carrière de manager), l’expert du Futur pourra déployer un entrepreneuriat à la fois personnel et collectif.
Personnel car il lui sera naturel, dans sa réflexion sur sa propre trajectoire de carrière, d’évaluer l’offre des différentes organisations, offre globale mais d’abord identitaire, multiforme et adaptable dans la négociation. En retour, il lui faudra se positionner : quelle est mon offre de compétence, mes domaines d’expertise sont-ils adaptés au projet personnel que je veux vendre, suis-je au top dans mon domaine clé, ma maîtrise des processus de travail est-elle compatible avec les attentes de mes interlocuteurs, suis-je bien positionné dans les écosystèmes d’affaires ? Une réflexion pouvant aller jusqu’à une remise en cause violente (RIST ne développe-t-il pas une démarche d’évaluation de l’offre d’un expert appelée « crash test » ?). L’expert du Futur sera donc entrepreneur de lui-même, en veille constante mais pas forcément opportuniste, en réseau avec les lieux de déploiement potentiel, en interaction avec les hubs mondiaux où « les choses se font ».
L’expert du futur projette l’organisation dans le champs des possibles
Entrepreneur également avec son collectif, avec les équipes de son organisation, mais aussi de l’écosystème d’affaires dans laquelle l’organisation est encastrée, voire dans ce que, dans le TAO TANK, nous appelons les « organisations transverses fluides », rassemblements inter organisationnels d’individus entrepreneurs, pas forcément dotés de formes juridiques et procédurales bien définies. Cet expert-entrepreneur du Futur combinera science, technologie et usage, projettera son organisation dans des champs des possibles dont les représentations seront inaccessibles aux autres sans son aide, écoutera les marchés main dans la main avec les marketeurs, interprétera les signaux faibles techno/marchés, investira main dans la main avec les financiers, en un mot innovera !
Il prendra sa place dans les aventures industrielles, il apprendra autant de la science et des processus d’essais/erreurs techniques que du marché. Les ingénieurs-experts du passé étaient fiers du TGV et du Concorde, dans lesquels ils ont reconnu leurs prouesses techniques ; les experts-entrepreneurs créeront entièrement et collectivement des objets qu’ils seront fiers de retrouver partout au sein de notre Société.