[Interview] Futur du travail : Planète Oui a changé son organisation pour préserver l’engagement de ses collaborateurs

Interview issue de notre guide « Nouveau monde du travail : quelles priorités pour les DRH ?» disponible en téléchargement

 

Le fournisseur d’énergie alternatif Planète Oui a connu depuis deux ans une très forte croissance. Dans quelques semaines, la jeune entreprise atteindra les deux cents collaborateurs. Camille Darde, qui a été DRH de Greenpeace en France, a rejoint l’organisation il y a un an pour s’occuper des missions RH et mettre en œuvre l’holacratie dans l’organisation. Elle revient sur le défi que représente l’engagement des collaborateurs dans le collectif quand une entreprise change vite.

Alliancy. Vous avez rejoint Planète Oui en septembre 2020. Avec quelle lettre de mission pour cette entreprise en transformation et en forte croissance ?

Camille Darde, DRH du fournisseur d’énergie Planète Oui

Camille Darde, DRH du fournisseur d’énergie Planète Oui

Camille Darde. J’ai pris la direction des ressources humaines, mais aussi celle de l’organisation : deux fonctions qui ne sont pas toujours associées dans les entreprises. Le but était bien de lier les enjeux humains et ceux de transformation de l’entreprise. L’entreprise était passé de 5 personnes à 150 personnes en très peu de temps et les enjeux de capital humain étaient très importants.

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Mais surtout, notre Président directeur général, Albert Codinach, voulait garder un esprit très fidèle à l’esprit des débuts : forte place de l’humain, de l’informel, de l’envie d’innovation… et ne pas tomber dans une organisation rigide du fait de la croissance rapide. Mon premier chantier a donc été la mise en œuvre de l’holacratie. Cela avait été justement une de mes missions et mon expérience au sein de Greenpeace.

Mon deuxième chantier était de garder du lien et de préserver la culture d’entreprise dans un contexte à la fois d’éloignement dû au télétravail et de recrutement rapide. Comment transmettre et préserver ce qui a fait jusque-là l’identité de l’organisation ? Or, il y a un facteur très net de causalité entre le mode d’organisation et l’engagement des salariés. Il y a un enjeu énorme vis-à-vis des jeunes générations qui arrivent sur le marché, avec des attentes différentes.

Quel est le profil de vos collaborateurs ?

Camille Darde. La moyenne d’âge est de 30 ans, pour 170 salariés actuellement. Mais au-delà de l’âge plutôt jeune, je note surtout que les équipes n’ont pas envie de faire juste leurs horaires pour toucher leur paie. Elles recherchent du sens, sur la transition énergétique bien sûr, mais pas seulement. Il faut donc que l’entreprise montre sa réelle contribution au quotidien sur de nombreux sujets. En la matière, alors que les chiffres sur le désengagement des salariés en France sont catastrophiques, j’ai pu constater que l’holacratie montre des taux d’engagement très différent. C’est en partie parce que nous faisons participer tout le monde aux prises de décisions de l’entreprise, plutôt que de limiter chacun au périmètre exact de sa fiche de poste. Nous voulons créer du commun, de l’autonomie et de la responsabilisation, vu qu’il n’y a pas de managers dans un fonctionnement en holacratie. Et cela séduit les candidats qui arrivent chez nous, car ils sentent que leur avis compte. Quand on parle d’engagement, le fait d’être écouté est essentiel, même au-delà de son périmètre habituel. L’engagement, c’est de la co-construction.

Comment mesurez-vous l’engagement de vos collaborateurs ?

Camille Darde. Nous mesurons notre « eNPS » (voir encadré) tous les 2 mois. Au niveau national, les fourchettes de scores sont entre -10 et 10. Depuis un an, nous sommes à 50, ce qui est plutôt bon signe, même si cela n’est qu’une petite partie de l’équation. En tant que jeune entreprise, nous ne regardons évidemment pas les chiffres relatifs à l’ancienneté des collaborateurs. Par contre nous sommes très attentif au turn-over et celui-ci est quasiment nul. Nous utilisons également des outils pour évaluer le parcours d’on-boarding des nouveaux salariés, mais aussi en cas d’off-boarding, afin de mesurer l’attachement à l’entreprise, les raisons du départ, etc. Il faut maintenir des notes élevées malgré la croissance sur tous ces indicateurs. Nous formalisons aussi de plus en plus le recrutement par cooptation, qui se faisait de façon informelle par le passé : c’est un bon moyen de mesurer l’attractivité et l’engagement, notamment sur les métiers en tension.

Qu’est-ce qui est le plus difficile pour une entreprise comme la vôtre autour de cette notion d’engagement ?

Camille Darde. Comme beaucoup d’organisations, nous avons pris « un coup sur le commun » pendant les périodes de confinement. Nous avions une culture de cohésion informelle, de partage après le travail… qu’il a été difficile de compenser. Nous avons dû mettre en place beaucoup de petits outils pour pallier cela. Cependant, contrairement à d’autres, nous avons toujours eu une liberté totale sur le télétravail. Notre service client internalisé basé à Lille, est aussi équipé entièrement pour travailler de cette façon, ce qui est assez rare pour un call center. La difficulté aujourd’hui reste de recréer du lien au bureau. Nous ne voulons pas obliger les collaborateurs à revenir, mais plutôt les inciter avec des évènements professionnels ou festifs, des opportunités intéressantes… Bref, en créant l’envie de retrouver du commun. Ce qu’il faut vraiment garder à l’esprit, c’est que les rituels de l’entreprise offrent un socle, mais que ce minimum ne suffit pas. Il faut de la routine, mais créer aussi quelque chose de plus. Fournir un effort supplémentaire.

Pensez-vous qu’il faille être une « entreprise à mission » pour mieux engager ses collaborateurs ?

Camille Darde. Sur la philosophie globale impliquée par ce choix, je pense qu’effectivement cela a un impact fondamental pour les salariés, surtout les plus jeunes. Et par rapport à ces attentes, il ne faut pas rater le virage. Mais soyons clair : la bonne volonté ne suffit pas, et le risque de déception est énorme quand on se met à jouer avec ce concept pour une entreprise. Est-ce qu’un simple statut suffit à garantir l’engagement et la place de l’humain ? Non, clairement pas. Planète Oui n’est pas une entreprise à mission, car nous ne considérons pas avoir besoin d’un label. Nous préférons être cohérent dans tout ce que nous faisons.

Jusqu’où l’entreprise doit-elle prendre soin de ses collaborateurs ?

Camille Darde. La frontière est tenue entre le « care » et le paternalisme. L’entreprise est-elle responsable du bonheur de ses salariés ? J’ai participé à une table-ronde sur le sujet récemment, et j’ai pu constater à quel point il est difficile de répondre à cette question. Selon les moments de vie, on peut tomber dans une injonction à la joie qui devient une pression quand on ne peut pas en sortir. Je pense qu’en prônant l’existence d’un cadre de liberté clair pour chacun, en laissant à chaque personne l’envie ou non d’investir des espaces de décision et d’action dans l’entreprise, on évite beaucoup de travers…. La participation et le bien-être ne doivent pas devenir en eux-mêmes des points d’évaluation pour le salarié. L’entreprise ne doit pas être dans l’injonction, qui risque de transformer la bienveillance en pression au quotidien.

 

Pensez-vous qu’un choix organisationnel comme l’holacratie, qui alimente cette posture de liberté, soit soutenable si l’entreprise continue à grandir ?

Camille Darde. Le passage à l’échelle est complexe, mais il existe beaucoup de guidelines à suivre pour y parvenir. Ce qu’il faut garder en tête, c’est que la difficulté est moins relative au nombre de salariés qu’à la culture de l’entreprise. Des organisations comme Morning Star et Zappos l’ont prouvé, mais elles sont des natives de l’holacratie ou des pionnières qui ont pris les devants pour s’assurer de la cohérence de la démarche vis-à-vis des attentes des salariés, par exemple en incitant financièrement ceux-ci à partir s’ils ne voulaient pas se lancer dans l’aventure.

Quand on est comme chez Planète Oui dans un état d’esprit compatible, avec un comité de directions de huit personnes, en lien direct avec les salariés sans management intermédiaire ou grades de type « juniors », « seniors »… c’est beaucoup plus facile. Pour les autres, il faudra observer de près le chantier lancé par un acteur comme Sanofi qui vient de signer la constitution Holacratie, car cela va être un tout autre changement ! Quoiqu’il en soit, je dirais qu’il y a dans tous les cas une première étape obligatoire : définir la vision rêve, l’objectif, l’idéal d’entreprise… pour ensuite commencer par se débarrasser de tous les petits cailloux qui sont déjà clairement incompatibles avec cette vision. A partir de là, il sera possible d’entrer dans un projet de transformation plus classique, avec ses jalons et son accompagnement adapté.

L’eNPS, un KPI qui sert de socle pour agir ensuite sur l’engagement collaborateur

L’ Employee Net Promoter Score mesure (avec une note sur dix) la probabilité que les collaborateurs recommandent leur entreprise comme lieu de travail. Cet indicateur de « l’expérience collaborateur » s’inspire du NPS utilisé par les spécialistes de la relation client. L’eNPS permet de distinguer les collaborateurs « promoteurs », des « détracteurs » ou des « passifs » pour mesurer un score global allant de -100 à +100 (quand tous les salariés sont satisfaits). Il est généralement estimé qu’un score supérieur à 30 est excellent. Toutefois, ce KPI mérite d’être complété par une batterie d’indicateurs complémentaires plus individualisées, afin de comprendre les causes d’insatisfactions, les problématiques des expériences collaborateurs vécues et surtout, de commencer à mesurer un engagement réel. Car la recommandation ne correspond pas toujours à l’engagement.