Dans le contexte actuel de crise, les entreprises doivent faire mieux avec moins. Le cloud computing apparaît alors comme un levier incontournable d’agilité et de transformation. Huit experts nous expliquent les évolutions que permet ce « nouveau » concept informatique… pas toujours si simple à cerner.
Par Christophe QUESTER
Quand il rencontre pour la première fois des clients, Renato Vista est souvent confronté à la même question : « Comment pouvez-vous nous aider à évoluer et à nous transformer ? » Directeur technique de l’entité Infra Services France, en charge de l’innovation et du développement stratégique chez Capgemini, son métier consiste à construire, avec ses clients, l’infrastructure informatique la plus appropriée en fonction de leurs problématiques opérationnelles. Sa réponse ? Elle passe de plus en plus par le recours aux technologies de cloud computing.
Ce concept informatique, qui fait souvent la une des journaux, reste encore bien vague, autant que les avantages que l’entreprise peut en tirer en termes économiques ou opérationnels. « Le cloud computing est une “nouvelle” vision des infrastructures informatiques », explique Romain Chaumais, directeur des opérations d’Ysance, une société de conseil en stratégie IT, qui propose une offre de cloud computing depuis déjà deux ans. « C’est une infrastructure qui se pilote comme un logiciel, une infrastructure qui se programme », poursuit-il. Plus simplement, le cloud computing permet de s’affranchir des contingences matérielles : plus besoin d’acheter des serveurs informatiques, des équipements réseaux, de sécurité…
Plus besoin de les installer, les câbler entre eux, les surveiller… Plus besoin de s’assurer de leur bon fonctionnement, ni de les faire monter en version.
Une élasticité quasi infinie
Alors, pourquoi un tel engouement pour un service déjà rendu depuis des dizaines d’années par des « infogéreurs » comme Capgemini ou Accenture, proposant une externalisation des infrastructures informatiques dans leurs propres centres de données ? Dans ce contexte de crise, les entreprises doivent innover à moindres coûts. Et, grâce au cloud computing, l’informatique devient une commodité.
« Par exemple, quand on développe une nouvelle application à destination de ses clients, on n’en connaît pas à l’avance le succès, ni le nombre d’utilisateurs futurs. Si ça marche, avec une infrastructure cloud, on augmente les flux de ressources à volonté. Dans le cas contraire, on coupe tout », explique Marc Carrel-Billiard, directeur solutions et technologies avancées chez Accenture France & Benelux. C’est un changement radical de la prestation offerte par les « infogéreurs » : jusqu’à présent, ils conseillaient leurs clients sur une architecture dimensionnée par rapport à des besoins « estimés », mais sans réelle souplesse quant à son évolution, dans un sens ou dans un autre.
« Le cloud computing permet de faire des choses qui étaient difficilement possibles, voire impossibles auparavant », poursuit Romain Chaumais. Ysance a ainsi accompagné une jeune pousse, Is Cool Entertainment, éditeur de jeux sur Facebook, à gérer sa très forte croissance. En trois ans, elle est passée de 1 000 à 10 millions de joueurs en ligne. Ne sachant pas si Is Cool allait rencontrer le succès et quelle serait la montée en charge de ses services, Ysance a eu recours à la plate-forme IaaS (Infrastructure asa Service) d’Amazon (Amazon Web Service/AWS), le géant de la distribution sur Internet et pionnieren la matière.
De même, IBM a proposé sa propre plate-forme IaaS à une autre start-up, Trace. Son modèle économique consiste à assurer la traçabilité de tous les éléments composant un projet complexe. Trace est capable de décomposer un wagon ferroviaire en autant de petites pièces et d’en assurer le suivi (maintenance, contrôle…) juridique, réglementaire et environnemental. Cela nécessitait un système d’information capable de prendre en charge les projets de clients, quelles que soient leur taille et leur localisation géographique. Sans recours à un prestataire IaaS garantissant une montée en puissance sans limite, Trace aurait dû investir très lourdement en informatique sans savoir si son système serait correctement dimensionné dès le départ… Un investissement à perte en cas d’insuccès.
Du temps gagné
Mais la motivation première des entreprises pour le cloud computing est bien le levier de transformation qu’il représente. « On s’est beaucoup posé la question de la baisse des coûts informatiques grâce au cloud computing. Mais ce n’est pas le premier objectif, c’est avant tout l’agilité qui est recherchée », souligne Marc Carrel-Billiard. « Par exemple, le cloud computing permet de mettre rapidement à disposition des ressources informatiques, en quelques minutes, contre dix à cinquante jours pour l’obtention d’un serveur auparavant », enchaîne Gilles Bizet, consultant senior cloud & IT transformation chez Orange Consulting.
Certes, des économies sont recherchées avec des projets de cloud computing, mais l’objectif est plutôt de faire mieux avec les mêmes ressources. Cela concerne essentiellement les tests logiciels pour lequel les enjeux de sécurité et de confidentialité des données sont moins critiques. Le recours au IaaS pour les usines de tests logiciels devient très répandu. « Ephémères, ces usines doivent être détruites après utilisation et passage en production de l’application testée », confirme Arnaud-François Fausse, responsable des activités de conseil infrastructure et opérations chez Octo Technology, une société de conseil IT, spécialisée dans les méthodes agiles justement, comme Ysance.
Ainsi, Octo a développé sur la plate-forme AWS, une usine de tests pour la start-up Fasterize. Celleci édite une solution SaaS (Software as a Service) d’accélérateur de sites Web en optimisant le chargement des pages en termes de vitesse. Tous les soirs, une nouvelle version de l’application Fasterize est déployée sur AWS pour tester de nouvelles fonctionnalités. L’usine de tests reprend toutes les caractéristiques du système d’information de Fasterize (surveillance des ressources, équilibreurs de charge…) et est détruite chaque matin. Fasterize ne paie donc son utilisation que la nuit.
Des coûts réduits
Les équipes d’Octo Technology ont également accompagné les équipes informatiques d’un très grand assureur français pour migrer les tests concernant une application « métier » dans le cloud. Sa facture aurait baissé de 50 %… « Mais attention, avise Arnaud-François Fausse, dans le cadre d’une usine de tests par exemple, de grosses quantités de données sont nécessaires… qu’il faut transférer du système d’information vers la plate-forme cloud. Cela prend du temps et nécessite de la bande passante, sans compter les précautions à prendre pour anonymiser ces données. »
L’agilité peut également se concevoir comme une nouvelle façon de développer des applications informatiques et de réduire le délai de mise à disposition d’une nouvelle offre. Ysance, dans le cadre du développement de l’application du calcul d’itinéraires de train pour Voyages-sncf.com, s’est trouvé confronté à une avance de phase problématique.
Programmant selon les méthodes agiles, c’est-à dire par itération successive, les équipes d’Ysance ont largement devancé l’intendance, les serveurs de production demandant en moyenne trois moisd’attente. Pour ne pas retarder le projet, c’est encore AWS qui a été sollicité. Une fois testée et validée, l’application de calcul d’itinéraire a été récupérée sur les infrastructures de Voyages-sncf.com.
Autre exemple d’accélération des processus, début 2012, pour un de ses gros clients, IBM a mis en place une plate-forme d’analyse des ressources humaines sur son cloud public. Basée sur la solution décisionnelle Cognos, cette plate-forme permet d’identifier et de localiser les compétences nécessaires pour un projet. La réunion d’une équipe projet avec des experts présents partout dans le monde se fait désormais en un mois, contre six auparavant.
Une gestion de l’anarchie
Le cloud computing peut aussi prendre l’aspect d’une reprise de contrôle de tout un tas de projets menés de façon quelque peu anarchique. « De nombreux départements au sein d’un même groupe adoptent des solutions SaaS, l’informatique interne ne réagissant pas assez vite. Dans un grand groupe pharmaceutique, nous avons été sollicités pour remettre un peu de cohérence au sein de multiples projets de ce type », raconte Jean-Philippe Kalfon, directeur Europe du Sud de Cordys, éditeur d’une solution d’orchestration en mode PaaS (Platform as a Service). « Mises bout à bout, ces différentes solutions SaaS représentaient un surcoût. » Cette reprise de contrôle peut alors prendre la forme d’une standardisation de solutions logicielles hétérogènes répondant aux mêmes problématiques.
De même, en raison de l’historique et au gré des différentes acquisitions, certains groupes se retrouvent avec de nombreuses plates-formes CRM (gestion de la relation client), soutenant des processus différents. « Nous sommes alors appelés pour refondre tout cela au sein d’une seule application. Sur ces questions, nous avons récemment accompagné un grand fabricant d’équipements électriques et un gros équipementier des télécoms », confie Michel Assouline, président de Kerensen Consulting, spécialiste de la migration vers la plateforme SaaS et IaaS de l’américain Salesforce.
Le recours à cette solution permet un déploiement très rapide d’une solution unique certes, mais adaptée aux différentes particularités locales. Une solution logicielle classique aurait nécessité une infrastructure dédiée et beaucoup de travail d’intégration avec les autres éléments du système d’information, comme l’ERP (Enterprise Resource Planning). Sur la plate-forme PaaS Force.com, beaucoup de connecteurs sont déjà disponibles pour un grand nombre d’ERP, par exemple.
Reprendre le contrôle peut signifier aussi minimiser certains risques. « Par exemple, une compagnie pétrolière désirant établir un joint-venture dans un pays à risques pourra mettre en place rapidement toutes les applications nécessaires à son bon fonctionnement, comme le CRM ou la gestion des ressources humaines, basées sur une infrastructure hébergée dans des centres de données localisés dans des pays plus stables », explique Marc Carrel-Billiard.
Mais des limites encore…
Si le cloud computing présente un fort potentiel, celui-ci n’est pas encore complètement avéré. « Personnellement, je n’ai pas encore vu de projets allant jusqu’à l’automatisation totale de la mise à disposition des ressources technologiques. Nous avons, par exemple, travaillé avec un grand groupe de l’énergie qui avait initié un projet IaaS. Au bout de dix-huit mois, ils ont revu leur copie », révèle Renato Vista. Celle-ci prévoyait la mise en place d’un portail de gestion des achats de services informatiques en ligne. Mais le modèle économique interne ne satisfaisait pas aux objectifs, en raison d’une sous-estimation du coût des logiciels d’automatisation. Ceux-ci permettent de gérer les services d’infrastructures et d’en surveiller la qualité (gestion des contrats, des incidents, des licences, consignes d’exploitation, sécurité…).
Beaucoup de ces actions, élémentaires ou enchaînées entre elles, sont encore effectuées manuellement et le nombre de licences logicielles nécessaires est souvent trop important. Les éditeurs, comme CA Technologies ou BMC Software, ont d’ailleurs du mal à construire un nouveau modèle économique pour facturer leurs outils à l’usage, dans un environnement mutualisé, de façon à pouvoir l’inscrire dans un cadre comptable et analytique souple et adapté.
Ce cadre reste à affiner, voire à construire. Qui va supporter ces investissements, le prestataire, le client ou les éditeurs ? « Un autre frein réside dans la résistance des infogérants face au self-service. Ils n’ont pas intérêt à aller trop vite dans la mise en place de portail de catalogue de services accessibles directement sous peine d’enregistrer une pression accrue sur leurs tarifs », conclut Arnaud-François Fausse.