Le cabinet de conseil en transformation numérique Fabernovel vient de publier son nouveau rapport “GAFAnomics – Quarterly” dédié à l’analyse détaillée des résultats des géants de la tech. L’occasion de décortiquer les chiffres quant à la croissance de ces acteurs au troisième trimestre 2021 (1er septembre au 1er décembre) et de partager des prédictions sur l’évolution des modèles sur lesquels capitalisent les Gafam.
« Les GAFA sont les meilleurs exemples de différenciation et de valorisation de l’expérience utilisateur, explique en préambule Axelle Ricour-Dumas, directrice stratégie corporate chez Fabernovel. Grâce à leurs super-pouvoirs, ils ont créé les standards actuels, tant numériques que physiques.
Mais ils ont sous-estimé un pilier essentiel, à savoir la responsabilité et l’éthique au travers notamment de la confidentialité des données et le pouvoir de décision de l’utilisateur. Les expériences de demain seront certainement celles qui intègreront ces exigences d’impact sur la planète, d’équité économique, de prévention des risques d’addiction, de transparence et de possible déconnexion des algorithmes en sortant du design persuasif, en respectant la souveraineté de l’utilisateur et en considérant les enjeux d’inégalités sociales. Elles dessineront la troisième génération du web et le métavers devra aussi s’y résoudre s’il veut participer à cette révolution ».
1) Les trois derniers mois à travers les lunettes de Fabernovel
Si les résultats du dernier trimestre ont été particulièrement timides (+2% pour le S&P 1200), les géants du numérique étudiés dans l’Index de Fabernovel* continuent, eux, d’accroître la fracture avec +4% de croissance ce trimestre, tout comme le secteur de l’énergie avec +10% qui a bénéficié des flambées du gaz et du pétrole et de nouvelles opportunités liées à la transition du secteur.
Les géants avec des modèles économiques axés sur la publicité ainsi que les entreprises asiatiques ont décroché ce trimestre face au serrage de vis de la Chine des acteurs tech, et aux mises à jour d’Apple de son système d’exploitation iOS15. Les capitalisations boursières d’Alibaba, Tencent et Baidu ont ainsi fondu de 144 milliards de dollars quand celles du trio de tête Tesla, Microsoft et Apple progressaient de 936 milliards de dollars. Tesla est le nouveau kid in the club des sociétés évaluées à plus de 1 trillion de dollars avec Apple, Microsoft, Alphabet et Amazon alors que Meta le quitte.
On peut remarquer une baisse de confiance des investisseurs des géants de l’indice avec Amazon par exemple qui passe au rouge dans le quadrant. « Ces révisions par le marché des multiples de fin d’année sont intéressantes puisqu’elles donnent une trajectoire pour l’année à venir, précise Jean-Christophe Liaubet, associé chez Fabernovel. Si les valeurs tech sont actuellement sous tension, les signaux faibles montrent qu’inclure les responsabilités sociales et environnementales à leurs standards d’expérience deviennent des pré-requis pour éviter la décote et le désamour des parties prenantes ».
Le rapport GAFAnomics Quarterly de Fabernovel met aussi en perspective les citations clés de dirigeants et les faits marquants du trimestre comme la diversification de Netflix qui se précise dans le jeu vidéo. Après avoir acquis fin septembre le studio de création de jeux vidéo Night School, plusieurs fois récompensé, Netflix diversifie son offre en lançant ses premiers jeux vidéo mobiles (uniquement sur Android pour le moment) inspirés de ses films à succès. Cela illustre l’intérêt économique de Netflix à s’attaquer à cette industrie du jeu vidéo en plein essor mais aussi d’offrir plus de services à ses abonnés pour justifier l’augmentation de ses tarifs.
Dans le top : Airbnb vers le marché du coworking ?
« Alors que Accor ou Booking.com n’ont pas retrouvé leurs niveaux de revenus de 2019, ceux d’Airbnb ont bondi de 67% par rapport à l’année précédente, signant le trimestre le plus important de son histoire, explique Pierre Gonnet, analyse Fabernovel et co-auteur de l’étude GAFAnomics Quarterly. Airbnb a su s’adapter aux nouveaux usages de vie et de travail imposés par cette période particulière : réserver deux mois en Bretagne par exemple pour faire du coworking n’est plus une expérience atypique. Airbnb s’orienterait-il vers le marché B2B du télétravailleur post-covid, lui ouvrant les portes d’un tout nouvel horizon de valeur ? Et une possible alliance avec le français Swile ? ».
Dans le flop : Zoom chahuté par le retour au bureau
Zoom a vu le cours de son action chuter de 14,71 % après avoir annoncé un ralentissement de la croissance de ses revenus, bien que toujours positive de 35% par rapport au trimestre de l’année précédente. Le retour au bureau dans une grande majorité du globe apparaît comme la principale raison. Mais l’entreprise spécialiste de la visioconférence doit jouer des coudes dans la course à l’innovation face à des acteurs plus gros que lui qui intègrent cette proposition de valeur dans des suites logicielles plus vastes comme avec Teams dans Office 365 ou Meet dans G-Suite…Zoom essaye de suivre la course malgré le raté de l’acquisition de Five9 (qui visait à créer une offre intégrée de centres de contact) en essayant de développer une série de nouveaux services tels que la plateforme Events pour des événements à grande échelle, son système téléphonique sur le cloud Zoom Phone, et une expérience pour les conférences hybride (présentiel/à distance) avec Zoom Rooms.
La surprise : Facebook maintient le cap de ses utilisateurs actifs
Si l’annonce de Facebook avec Meta a fait couler beaucoup d’encre, la surprise selon Fabernovel vient surtout de la constance de ses utilisateurs actifs mensuels malgré les multiples départs de feux notamment liés aux révélations des lanceurs d’alerte et de perte de contrôle de son algorithme. Les utilisateurs actifs de Facebook étaient +7% plus nombreux par rapport à l’année dernière, même si l’entreprise semble arriver à l’asymptote de sa courbe.
On peut y voir l’illustration d’un “lock-in” d’utilité où nous nous retrouvons captif de l’usage, même en conscience, de leurs abus. Ce n’est pas pour rien que le sénateur américain Richard Blumenthal a déclaré que “Facebook and Big Tech are facing their Big Tobacco moment” et que les réglementations sur ce sujet vont être à surveiller de près. L’entreprise a également surpris avec des revenus moins affectés que prévus par la mise à jour de l’iOS 15. Ceci s’explique en partie par une exagération de Meta sur l’impact négatif avant la mise à jour d’Apple, en faisant pression auprès des pouvoirs publics américains et préparant le marché qui se retrouve in fine agréablement surpris des meilleurs résultats. Cela s’explique aussi par la résilience des revenus de sa “long tail” d’annonceurs, les millions de petits annonceurs pour qui leur page Facebook est leur seule présence en ligne et levier de génération de clientèle. Ceci pose aussi la question des alternatives à Meta, un avantage compétitif à court terme, comme le démontre la résilience de ses revenus, mais qui pourrait attirer l’attention de sa concurrence et du législateur. Quelle est la différence entre un marché captif et un monopole ? Question qui se reposera sans doute dans les mois à venir…
Focus : le terrain de jeu européen de l’innovation continue de grandir
Alors que le marché mondial des entrées en bourse a chuté ce trimestre, passant de 582 entrées au second trimestre 2021 (131 milliards de dollars) à 512 au troisième trimestre 2021 (113 milliards de dollars), l’Europe, après un trimestre précédent historique, continue de grandir. La région, portée par l’impulsion de la France, l’Italie et le Royaume-Uni affiche une augmentation de 76% en nombre d’entrées en bourse et de 127% en valeur par rapport à l’année précédente.
2) À un tournant de nouveaux standards d’expérience numérique ?
Simplicité, pertinence, sécurité, vitesse…sont tant de besoins que les GAFA ont su combler dans notre vie quotidienne en créant des standards numériques grâce à leurs super-pouvoirs basés notamment sur le modèle de la valeur de l’utilité (penser le long terme plutôt que le court terme), le temps réel (optimiser en continue l’expérience et les produits en fonction des données), le magnétisme (gérer des milliards de petites transactions) et l’intime (personnaliser l’expérience).
Netflix a par exemple standardisé la personnalisation à son paroxysme en mettant la donnée au cœur de son modèle : du processus de création de films jusqu’à la personnalisation de l’interface utilisateur. Apple a simplifié le parcours de ses utilisateurs avec le remplissage automatique en créant son Apple ID. Avec Apple Pay, covid-19 Pass, le permis de conduire numérique, cette expérience s’élargit avec la numérisation du monde physique toujours dans cet esprit de simplification de la vie des utilisateurs. Amazon a révolutionné les magasins avec sa technologie Amazon Go qui permet de scanner et payer les produits choisis en rayon sans passer par la caisse. Usage que le géant de Seattle est en train de démocratiser en revendant sa technologie as a service d’autres entreprises comme Starbucks. Cette capacité à créer des modèles d’expériences est d’ailleurs valorisée sur le marché, quand Nike qui se décrit comme une tech company et dont le multiple de valorisation est plus de deux fois supérieur à ceux d’Adidas ou de Puma par exemple. Le multiple de valorisation (valeur de l’entreprise/chiffre d’affaires) du nouvel entrant Allbirds, sur le marché des chaussures responsable est d’ailleurs encore plus élevé que Nike (6,49 vs 5,47).
Mais les GAFA ont oublié en chemin la valeur de leurs responsabilités sociétales et environnementales. Les GAFA ont décidé d’optimiser la valeur des utilisateurs en exploitant les données et les biais cognitifs dans leur unique intérêt. Facebook a conçu un système de classement pour garder les utilisateurs captifs souvent au prix de la colère, de la désinformation et de bulles de filtres tandis qu’Amazon recommande en priorité ses propres produits quand bien même ils ne correspondent pas au mieux aux besoins des clients.
Dans la bataille de l’expérience, Apple sort le plus du lot en termes de responsabilités par rapport à Meta, Alphabet et Amazon et cela se reflète sur la valeur (graphique ). Dans la nouvelle économie de l’expérience, c’est le modèle avec une forte valeur client qui s’impose en opposition au modèle publicitaire actuel de certains des géants avec un faible revenu par utilisateur (ARPU).
« Les GAFA basent leur expérience sur leurs puissants algorithmes qui ont pour rôle notamment de maximiser le potentiel de CA et de minimiser les moments de décisions réfléchies des utilisateurs, en appelant plus à nos réflexes qu’à notre raison, explique Cyril Vart, vice-executive président et éditeur des collections GAFAnomics de Fabernovel. Si demain, les utilisateurs exigeaient d’avoir un bouton off sur ces algorithmes pour reprendre la main sur leur expérience, contenu et décisions, le modèle de croissance de beaucoup de ces acteurs pourrait s’effondrer. On voit d’ailleurs de plus en plus d’utilisateurs et de start-up qui commencent à prendre conscience de ces problèmes, et à s’investir pour créer un véritable environnement vertueux et responsable, même si cela implique de passer outre les plateformes des GAFA. »
Mais des alternatives commencent à voir le jour comme l’application de messagerie Signal qui propose une expérience gratuite, open source et dispose d’un cryptage de bout en bout qui en fait un choix populaire pour les utilisateurs à la recherche d’une confidentialité et d’une sécurité accrues. L’application commence à faire son nid avec 40 millions d’utilisateurs actifs mensuels (contre 2 milliards pour WhatsApp qui reste leader). L’application Dérive permet de se perdre dans une ville en faisant découvrir des endroits auxquels l’utilisateur n’aurait pas pensé avec un parcours classique de mobilité d’un point A à un point B le plus court ou le plus rapide. Dérive propose ainsi une toute nouvelle vision de la mobilité pour changer des standards rectilignes conçus par Google Maps. Ou encore Neeva qui est un moteur de recherche privé (sans utilisation des données utilisateurs) et sans publicité créé par un ancien employé de Google pour proposer une toute autre expérience contre un abonnement.
« Aujourd’hui l’Internet repose sur de grandes et puissantes plateformes qui centralisent données, valeur et pouvoir. Demain, le web 3.0 instaurera un changement de paradigme : l’ère de la décentralisation, de la reprise en main par les communautés et de l’éthique, anticipe Jean-Christophe Liaubet, associé Fabernovel. Si le métavers s’annonce comme le prochain terrain de jeu de l’expérience encore faut-il qu’il puisse prendre la direction de ce nouveau paradigme, et y trouver un modèle économique respectueux des aspirations de cette nouvelle génération d’utilisateurs ».