Notre chroniqueur Benito Diz revient dans une chronique spéciale sur les prérequis pour que le « nouveau normal » s’appuyant sur le numérique, soit vraiment à la hauteur des complexes enjeux actuels. Une wish-list à la fois pragmatique et loin d’être acquise, pour mener à une société plus harmonieuse.
Ces dernières années, nous avons constaté, et encore plus lors de la pandémie et les divers confinements, que les services numériques prennent un espace toujours de plus en plus important dans notre environnement. Les applications nous proposent sans cesse de nouveaux services innovants dans tous les domaines, que ce soit personnel ou professionnel.
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Le tout numérique n’est cependant pas la « nouvelle normalité », le numérique est là pour assister l’humain et lui simplifier la vie. De plus, sans une sécurisation de bout en bout des infrastructures supportant ces applications, sans la sécurisation de nos données personnelles ou professionnelles, et sans un accompagnement à ce changement de paradigme, nous risquons de bâtir sur de mauvaises bases pour une généralisation du numérique de demain.
Voyons donc six grands axes qui me paraissent essentiels pour notre avenir, dès aujourd’hui :
L’accès Internet à haut débit et de qualité n’est plus réservé au monde professionnel.
Que ce soit au niveau personnel ou dans le monde de l’entreprise, nous observons une consommation grandissante d’Internet dans nos usages quotidiens. Un accès Internet rapide et fiable est une nécessité pour accéder aux services numériques (démarches administratives, loisirs, communications, etc.). Sans ces accès à Internet, la fracture numérique devient un réel handicap social, excluant une partie de la population. D’ailleurs, de plus en plus de foyers optent déjà pour une résilience de leurs accès, avec un accès fibre et un accès non filaire en sécurisation, pour s’assurer un accès continu à Internet. Il faut également prendre en compte l’autonomie des portables, des galets 5g et des smartphones (en gardant en tête que les abonnements de transferts de données sont toujours limités) qui rendent aussi résiliente de facto la fourniture d’énergie.
Il doit être possible de consommer les services d’applications de n’importe où, et ce par la mise en place d’accords entre les opérateurs afin que les services fonctionnent à travers le monde sans assommer financièrement l’usager.
Des applications à réelle valeur ajoutée respectueuses de l’environnement
Le succès des nouvelles applications est très lié à l’innovation qu’elles embarquent et à leur fluidité d’usage, leur ergonomie, leur modèle de facturation et de plus en plus à leur empreinte environnementale.
Les applications doivent bénéficier d’une accessibilité fluide et rapide de bout en bout. Les lenteurs sont cependant souvent liées à la charge de l’accès Internet de l’utilisateur. Pour nos services personnels et dans les entreprises, nous tolérons de plus en plus des perturbations de services soit dans des zones d’accès à Internet blanches ou grises, soit lors d’incident des infrastructures applicatives.
Pour autant, nous n’acceptons pas un service en permanence absent ou dégradé. Ceci est le cas pour certains usages dont l’immédiateté des réponses n’est pas indispensable et dont nous pouvons reporter la tâche à réaliser à plus tard.
Le succès des applications repose aussi sur des services de plus en plus intégrés et complets. Sans oublier des parcours utilisateurs simples et aboutis, ainsi que des interfaces ergonomiques et rapides favorisant un usage intuitif. Ces applications doivent proposer en premier lieu de nouveaux concepts de façon simple, et les faire évoluer en fonction des retours des usagers (bottom up) afin de répondre au mieux à la demande générale. Ceci assurera une plus grande appropriation de ces applications par les usagers.
Ces applications simplifient la vie de l’usager qui prend de meilleures décisions. Elles acceptent de plus en plus toutes les technologies disponibles pour les utiliser : le clavier (virtuel ou non), la souris ou le stylet, mais aussi l’écran tactile et les mains, la reconnaissance vocale, ou encore l’appareil photo ou la vidéo.
Le modèle de facturation de leur usage doit rester clair et compréhensible par tous, surtout avec les offres d’accès Freemium permettant un accès complet (premium) sur une courte période. Ce mécanisme financé par des publicités de plus en plus intempestives doit être mentionné clairement aux usagers qui le subiront en connaissance de cause. Les réclames présentes dans le mode Freemium ne devront pas perturber les usagers gratuits dans les parcours critiques ou les clients payant des redevances d’usage d’un accès dit premium.
Ces applications reposent sur des infrastructures ou des services numériques à la demande (IaaS, PaaS, CaaS, FaaS) permettant au fournisseur de mettre en place une urbanisation optimale et mieux proportionnée (résiliente, évolutive…). Ainsi, il devient possible de déployer des processus d’amélioration continue accélérés pour intégrer au fil de l’eau les évolutions et les adaptations remontées par les usagers.
Afin d’être alignée avec les attentes de la société, la gestion de ces infrastructures doit intégrer la décarbonisation et la sobriété numérique.
Une donnée sécurisée et partagée pour un usage utile
Tout en repositionnant la donnée à sa juste place et à sa juste valeur, il n’y a pas d’application, il n’y a pas de services sans nos données ou les données de nos entreprises, il est donc nécessaire de les protéger pour nous protéger, qu’elles soient numériques ou non.
Quand nous parlons de numérique à tout-va, il est nécessaire d’évoquer la sécurisation, la résilience, la protection (intégrité, antivirus, anti-ransomware…) ou encore la confidentialité des données personnelles afin qu’elles ne soient pas exposées indûment. En outre, une déontologie de l’utilisation de la donnée s’impose pour éviter toute dérive de clivage ou typage religieux ou sexuel, par exemple.
A contrario, le stockage massif de données et leur urbanisation permettent un meilleur accès à ces dernières et à leur traitement. Elles contribuent ainsi à fournir des informations prévisionnelles et marketing pour proposer des services plus adaptés à nos besoins. De façon plus macro, ces données partagées et leur mise en commun (avec l’accord de leur propriétaire) participent à l’amélioration de la connaissance collective.
Si nous allons un peu plus loin avec la donnée (papier), sa dématérialisation apporte un gain d’espace et donc une réduction des coûts de stockage, même si ce stockage numérique représente lui-même un coût (bien moindre que le stockage physique de documents, qui nécessite des conditions optimales de température et d’humidité).
Des services toujours plus complexes nécessitant un accompagnement
La complétude de telles applications pourrait apporter une complexité d’usage nécessitant un accompagnement : des tutoriels, des MOOCS et des modules d’e-learning. Dès l’école primaire, les élèves utilisent Internet pour apprendre d’eux-mêmes dans les tutoriels de DIY (Do It Yourself) ou en accédant aux bases de données d’information pour préparer leurs exposés.
L’assistance dans l’utilisation des applications passe aussi par le numérique à travers des agents conversationnels (chatbots) jusqu’à un certain point. En effet, dans certaines situations, ils doivent éventuellement céder la place à la discussion, par visioconférence ou via des interventions humaines de proximité. Cette proximité peut être assurée par des salariés habitant le secteur, qui réalisent les conversations en chat comme le font déjà certains opérateurs téléphoniques.
Des jalons qui tracent une route vers un monde digital à dimension humaine
Lorsque les infrastructures sont bien dimensionnées, que les applications sont efficientes et que les données sont protégées, alors nous allons vers de nouveaux horizons.
Toutes ces évolutions sont de véritables moteurs de croissance qui impactent de plus en plus notre mode de vie dans tous les domaines. Le numérique simplifie notre vie de tous les jours, que ce soit pour le divertissement ou dans nos relations avec les autres ou avec les entreprises, les administrations ou encore les services médicaux.
Le numérique offre une relation directe entre le producteur et le consommateur via des services fournis sur leurs applications. Il devient alors possible de trouver le bon objet ou le bon service au bon moment et au meilleur prix pour répondre parfaitement à un besoin donné. Le producteur optimise sa production selon la demande et améliore ses processus tout en limitant les stocks et les invendus. Ce schéma ouvre l’accès au marché aux petites productions et aux petits fabricants, sans qu’ils aient à investir dans des infrastructures physiques lourdes (magasins…), partout dans le monde. Attention toutefois à la souplesse des processus de livraison qui doit rester moins onéreux que le processus actuel de « fabrication, transport, entreposage, livraison en magasin, mise en rayon… ».
Par exemple, un jumeau numérique humain pourrait nous éviter de nous déplacer pour essayer des vêtements. En outre, chacun aurait une bonne vision du rendu, tout en économisant du temps et les coûts de transports. Mais cela ne saurait remplacer les séances de shopping pour les accrocs ! Il pourrait également se révéler utile pour suivre les principaux indicateurs de santé, sans pour autant remplacer les visites de diagnostic.
Dans les usages personnels, afin de réduire les coûts des trajets lors de déplacements physiques, une visibilité de l’affluence des sites de destination devra être disponible en temps réel. Pour la domotique et afin d’augmenter le temps libre, les divers robots programmables et commandés à distance seront d’une grande utilité.
Le monde évoluant, le temps gagné et les optimisations devraient profiter aux personnes souhaitant voyager pour le plaisir, sans pour autant modifier leurs habitudes.
L’humain au centre des évolutions et des préoccupations
Le numérique change le paradigme du travail, les rapports humains ne doivent cependant pas être mis au second plan, sous peine de générer des complications.
Le déploiement rapide du télétravail et des outils de communication utilisés pendant les confinements, les évolutions de l’organisation du travail, la diminution (voire la disparition) des déplacements et toutes les automatisations à tout bout de champ apportent de nombreux gains en productivité. Ceci pourrait laisser penser, comme certains le prédisaient déjà lors du premier confinement, que nous pourrions nous orienter vers le 100% télétravail, la « nouvelle normalité ».
Que nenni ! Il faut maintenir la relation physique humaine afin d’éviter, comme nous l’avons vu pendant et après les différents confinements, l’isolement physique et relationnel des individus. Dans de trop nombreux cas, les confinements ont brisé le lien social et amené à l’isolation des salariés, à des dépressions et autres pathologies sévères. Le tout numérique ou le tout télétravail représentent eux aussi une menace à anticiper.
Néanmoins, l’apport du numérique dans la sphère professionnelle doit être évalué et mis en œuvre à bon escient, car il porte une vraie révolution pleine d’efficience : suppression des temps de trajets, gains de temps, baisse de la consommation des carburants, amélioration de l’équilibre vie privée/vie professionnelle (avec accompagnement des salariés), etc. Des prérequis sont cependant primordiaux, tels que l’envie des salariés à télétravailler, l’adaptation des contrats de travail et a minima la mise en place des polices d’assurance adéquates aussi bien du côté salarié que du côté employeur. Le salarié doit bien entendu rester au cœur du sujet.
Il est plus serein pour l’usager du numérique actuel et futur de bien prendre en compte ces quelques prérequis afin que la « nouvelle normalité » soit celle dont il a probablement rêvé, et qu’elle participe à faire advenir une nouvelle société plus harmonieuse.