En février, Axa France a annoncé son entrée dans le métavers, avec notamment l’acquisition d’une parcelle de terrain virtuelle proposée par l’éditeur The Sandbox. David Guillot de Suduiraut, son directeur de la transformation et des technologies, analyse ce que l’on peut ou non attendre du métavers en 2022, en tant qu’entreprise.
Alliancy. A travers votre périmètre de responsabilité sur la transformation, le digital, la data et les systèmes d’information, comment résumeriez-vous l’intérêt d’Axa France pour le métavers ?
David Guillot de Suduiraut. Au niveau du Comex, notre vision est qu’Axa a toujours été une entreprise innovante et que nous devons rester extrêmement attentif à des changements qui peuvent avoir un impact majeur sur nos activités. Avec le métavers, on voit un peu ce nouveau monde émerger. Il est donc nécessaire de se familiariser et de le comprendre au plus vite, pour ensuite pouvoir être les premiers à en tirer parti, le cas échéant.
A lire aussi : 🎥Le métavers avec Sébastien Borget, cofondateur de The Sandbox
C’est une posture d’innovation, mais aussi d’humilité car il nous semble qu’il faut surtout mettre l’entreprise dans une logique d’apprentissage permanent. Les avancées dans le monde du gaming ces dernières années ont été très importantes et l’on voit une porosité de plus en plus grande avec d’autres aspects du « monde réel » : le voyage, les lieux et évènements culturels, la vie communautaire et même le travail. De mon point de vue, cela prouve qu’il y a un intérêt spécifique de ces technologies et usages pour l’animation communautaire.
Comment comptez-vous utiliser les possibilités encore un peu expérimentale du métavers ?
David Guillot de Suduiraut. Que ce soit avec The Sandbox ou d’autres, il faut déjà prendre conscience que les métavers ne peuvent pas être seulement une reproduction dans le virtuel de ce qui existe déjà par ailleurs. Les entreprises vont être face à la même problématique que quand elles créent des parcours clients digitaux : transposer un parcours physique tel quel ne peut que créer des déceptions. En revanche, c’est l’occasion de créer de nouveaux usages. Dans ce cas du métavers, comme je le disais, nous croyons avant tout à la notion de communauté.
Prenons l’exemple de la communauté tech d’Axa France, qui regroupe deux mille personnes, et pour laquelle nous allons encore beaucoup recruter dans les mois à venir, que ce soient des développeurs, des « IT Ops », des architectes, des spécialistes du cloud, des experts en cybersécurité… Nous avons d’ores et déjà des guildes en place, au sein desquelles les collaborateurs interagissent entre eux, notamment autour de grands ensembles de compétences.
Nous pensons que le métavers peut aider à la gamification des interactions, soit en interne sur une guilde, soit entre plusieurs guildes, soit vis-à-vis d’autres parties prenantes de l’organisation. Ça pourrait par exemple être une sorte de continuation de la notion de « Dojo », qui existe déjà chez les développeurs. Ils ont l’habitude de mettre en place des jeux très techniques qui permettent de juger la qualité des talents et de s’exercer, par exemple lors des recrutements. L’animation communautaire grâce aux jeux sera, je pense, un vrai cas d’usage du métavers.
Pensez-vous à d’autres cas d’usages ?
David Guillot de Suduiraut. Un peu dans la même logique, nous pouvons imaginer faciliter certaines formations, alors qu’il en existe de plus en plus au format virtuel. Y compris des formations à grande échelle, comme la formidable Climate Academy que tout le monde suit en ce moment chez Axa. Nous savons que la gamification apporte un plus pour l’apprentissage.
Nos clients se demandent peut-être si nous comptons faire une agence virtuelle dans le métavers pour eux. C’est une réflexion de fond à avoir, car cela ne va pas de soi. Là encore, il ne s’agit pas de vouloir simplement imiter les usages du monde physique. Par contre, nous devinons des synergies sur certains sujets, comme ceux d’Axa Prévention : être en pointe sur le métavers pourrait légitimer encore plus notre discours de prévention sur les usages numériques et notre accompagnement vis-à-vis des publics visés, souvent assez jeunes. En tant que tel, nous ne comptons pas innover avec le métavers pour attirer spécifiquement des jeunes talents, mais il est possible que cela créé une émulation, de la même façon que les premiers projets en agile il y a plus de 5 ans, inspiré de ce qui se faisait dans le monde de la tech, ont infusé notre IT puis toute l’entreprise.
Est-ce que le métavers peut changer la donne pour votre stratégie sur le digital workspace ?
David Guillot de Suduiraut. C’est fort possible. On pourrait avoir demain des interactions à base d’avatars. Le caractère ludique et immersif peut permettre d’améliorer certains échanges, certaines réunions. J’irais même plus loin en disant que dans certaines situations, la représentation par l’intermédiaire d’un avatar dans un monde virtuel pourrait mettre tout le monde sur un pied d’égalité et libérer la parole, au-delà des réflexes hiérarchiques. On peut faire en sorte que dix avatars, ce ne soit pas perçu de la même manière que « un chef et neuf collaborateurs » dans une réunion. Cela pourrait aussi être un moyen d’ouvrir de nouveaux possibles en termes de créativité.
En soi, la réalité virtuelle et les univers de jeux ne sont pas nouveau. Qu’est-ce qui a changé au niveau technologique, qui vous fait dire que c’est le bon moment pour investir le sujet ?
David Guillot de Suduiraut. Si on prend l’histoire de The Sandbox, on se souvient qu’il se sont créés il y a une dizaine d’années sur mobile, à l’époque du mobile first… Ils ont fortement adapté l’idée en s’appuyant dorénavant sur la blockchain et en se posant une vraie question : comment valoriser des objets uniques tout en gamifiant un usage ? C’est la notion de NFT qui est entrée en jeu et elle est très convaincante sur cet univers.
A lire aussi : [Entretien] Travailler dans le métavers : le point de vue de l’avocat
Autrement dit, ces nouvelles technologies arrivent à un stade de maturité et ont changé ce qu’il était possible d’envisager pour animer une communauté. Nous n’en sommes qu’au début, mais on sent que les ingrédients sont réunis pour passer à l’étape suivante. Surtout, ce qu’il est important de noter aujourd’hui c’est à quel point l’échelle commence à être importante. Nous voyons un effet de masse critique, que ce soit en termes d’utilisateurs, avec des dizaines de millions de personnes sur Roblox ou Minecraft, mais aussi des marques qui vont de Casino à Gucci… Comme souvent, cela crée une émulation positive qui va amener à son tour de nouvelles innovations ; il faut pouvoir capitaliser dessus.
Pour vous quel doit être le rôle d’une DSI dans l’équation ? Avec quels alliés pour être efficace ?
David Guillot de Suduiraut. On est exactement sur la même question que sur la data ou le digital : le rôle d’une DSI est comprendre l’usage et de participer à l’émergence de l’imagination sur le sujet chez l’utilisateur final. C’est ce que nous faisons déjà en développant les usages d’intelligence artificielle chez Axa, par exemple pour lire automatiquement et classer ce que les clients nous communiquent. Idem pour souscrire à un contrat de prévoyance emprunteur complètement digitalisé, beaucoup moins pénible qu’avec des courriers…. La DSI doit poser les fondations qui vont permettre d’avoir ces objectifs d’expériences plus positives, fluides, moins anxiogènes… Elle doit faire le pont avec le métier, en ayant une relation positive avec lui pour être à l’avant-garde.
Sur ces sujets comme le métavers, nous devons animer proactivement les discussions avec différents cercles métier dans l’entreprise et aligner le développement derrière.
Nos alliés, ce sont donc des talents capables de passer d’un sujet à un autre facilement. Nous n’avons pas besoins de supers experts d’un seul thème, mais plutôt des collaborateurs qui perçoivent très vite les nouveaux enjeux et qui savent qu’il ne faut pas rester dans l’entre-soi technologique. Nous avons besoin de mettre en musique tout le monde : design UX, marketing, communication, réglementaire, technologie… Et pour aller jusqu’au bout, il faut également pouvoir s’appuyer sur des partenaires crédibles. Ainsi, sur le métavers nous travaillons avec Excelsior, un « métavers studio » externe à Axa.
Comment éviter de tomber dans les déboires qu’ont connu beaucoup d’entreprises avec le phénomène « Second Life » il y a une quinzaine d’années, qui était très proche de la promesse du métavers ?
David Guillot de Suduiraut. Déjà, disons le humblement, nous ne sommes pas à l’abri que ça ne marche pas ! Mais je pense que les entreprises ont bien changé aujourd’hui et qu’elles ont les moyens de s’emparer des métavers actuels très différemment de ce qu’elles avaient essayé de faire avec Second Life. En particulier, l’agilité a changé l’état d’esprit des équipes par rapport à l’époque. Le « fail fast » est accepté et permet d’avoir des approches d’innovation raisonnables, tant sur l’organisation des compétences qui s’y consacrent qu’en termes de moyens financiers.
Ce n’est plus l’époque des grandes études. Nous ne serons pas perdants car dans le pire des cas, nous aurons quand même rapidement beaucoup appris. Et par ailleurs, je pense que la relation IT-Métier est devenue complètement différente aujourd’hui. La vision de la technologie et de l’innovation n’est plus la même. Dans ce contexte, les entreprises se donnent beaucoup plus de chances de réussite.