La Data est partout chez Canal+. Mais le fournisseur cherche en particulier à progresser sur la personnalisation de l’expérience client et sa stratégie d’acquisition pour rivaliser avec les géants du streaming. Entretien avec Arnaud Lutellier, son directeur de la Data.
Quels types de données exploitez-vous chez Canal+ ?
Pour faire simple, les Data sont de trois catégories : les Data clients, les Data contenus et les Data d’audience. Canal+ est un fournisseur de télévision payante. Nous cherchons donc, grâce aux Data, à mieux connaitre et comprendre nos prospects et nos abonnés.
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Nous centralisons également les métadonnées concernant les milliers de contenus cinéma, séries ou sportifs que nous diffusons dans nos offres.
Enfin, la dernière catégorie englobe les Data de visionnage et de navigation de nos abonnés sur notre plateforme. Il est possible de consommer Canal+ sur la TNT, le satellite, la box d’un FAI, une TV connectée, une AppleTV, une AndroidTV, un smartphone, voire sur une console de jeu comme la PS 5. Tous ces devices sont par nature connectés à internet ou peuvent l’être. Cela représente un volume important puisque nous collectons et en analysons un milliard logs chaque jour, dans le respect de la réglementation applicable à la protection des données personnelles.
Quels traitements appliquez-vous à ces données ?
Toutes ces Data sont centralisées dans une plateforme unique pour le groupe puisque Canal+ est présent en France, mais également dans 40 pays dans le monde. Elles sont alors mises en forme, leur qualité est vérifiée et les informations qui doivent l’être sont anonymisées ou supprimées afin de respecter strictement les exigences de la RGPD.
Elles servent ensuite à constituer des socles de Data qui alimenteront les différents use case métiers.
Quels sont vos usages des données ?
Tout d’abord, elles nous permettent de vérifier en temps réel que le service est délivré conformément à la promesse client. La difficulté ici est de déterminer dans la masse de Data collectées les signes de dysfonctionnements pour les corriger au plus vite.
On estime ensuite les audiences et on analyse les usages de nos abonnés qui l’ont accepté afin de mesurer la pertinence des différentes fonctionnalités proposées et d’améliorer leur expérience. Pour cela il est nécessaire de disposer d’outils d’analytics puissants permettant de comprendre si la proposition est pertinente et si les fonctionnalités correspondent réellement aux attentes.
Les Data autour des contenus vont aider nos équipes d’éditorialisation à mettre en avant les contenus les plus intéressants pour nos abonnés. Le challenge ici consiste à disposer de Data en qualité et suffisamment riches en métadonnées pour préparer une proposition pertinente.
Enfin, la connaissance clients que nous construisons va nous permettre de mettre en avant pour nos prospects les offres qui sont les plus susceptibles de les convaincre de s’abonner, et pour nos abonnés de les fidéliser en adaptant notre offre à leurs attentes.
Finalement, et nous le faisons depuis longtemps, nous produisons des tableaux de bord qui permettent aux directions métiers de piloter finement leur activité et de comprendre le marché.
La personnalisation, c’est également un usage de la donnée que vous développez ?
En effet, la Data apporte énormément quand on cherche à personnaliser les interactions. L’objectif est de rendre rapidement accessible le contenu le plus pertinent pour chaque abonné. Et en la matière, nous sommes en concurrence directe avec les plateformes de streaming qui ont habitués les spectateurs à un haut niveau dans la recommandation de contenus. De notre côté, nous allons chercher à avoir une approche plus qualitative que quantitative. Notre objectif est que le contenu qui vous aura enchanté cette semaine ai été vu sur Canal+.
Pour développer la personnalisation, vous appuyez-vous uniquement sur de l’expertise interne ou sur des briques du marché ?
Nous avons développé une expertise Data interne très forte qui nous doit nous permettre de continuer à nous différencier et à créer la préférence.
Les analyses nécessitent beaucoup de ressources et nous sommes en train de bâtir une plateforme puissante pour travailler ces Data. Beaucoup de décisions chez Canal+ s’appuient sur l’expertise de nos Data analystes et cela nous permet souvent de confirmer les intuitions de nos experts métiers, en particulier pour optimiser notre ligne éditoriale.
Où en êtes-vous dans ce secteur de l’achat de contenu ?
C’est un domaine sur lequel nous intervenons beaucoup notamment pour les achats importants dont les montants peuvent se compter en dizaines de millions d’euros, comme la Ligue des champions ou la Formule 1, par exemple. Mais un objectif doit être d’utiliser la Data sur les contenus pour aider également lors de l’achat de contenus moins chers en exploitant davantage l’intelligence artificielle, certes moins performante que l’intelligence humaine, mais qui permet de traiter un volume de données considérable.
Un cap que nous devons franchir consiste donc à réunir plus d’informations sur les contenus, notamment sur leur potentiel international, pour mesurer pour chacun sa valeur pour le groupe. Cela nous permettra de choisir les contenus à très fort engagement pour les abonnés.
En quoi ce domaine d’utilisation de la donnée est important ?
La Data est stratégique aujourd’hui pour les médias. Le nombre de plateforme de streaming est important, la compétition pour les contenus a donc tendance à s’accentuer. Il est par conséquent essentiel de bien choisir les contenus à acquérir sur ce marché très concurrentiel.
La Data doit nous permettre de rationnaliser nos investissements. Nous surveillons attentivement par exemple l’impact sur notre base d’abonnés que pourrait avoir le départ de Mbappé du PSG.
Vos usages sont multiples. De quelles compétences disposez-vous à la direction de la Data ?
Notre travail consiste à collecter les data et à les traiter.. Les business analystes de chaque direction métier vont ensuite analyser ces Data pour piloter les lignes métiers.
Au regard des problématiques de performance, nous employons beaucoup de data engineers de très haut niveau. Nous avons également monté une équipe de data scientists experts dans les médias.
Nous avons mis en place des synergies étroites avec les équipes juridiques et compliance pour nous assurer de la conformité de nos pratiques dès la conception de nos projets.
Et pour que tous ces travaux restent toujours alignés avec les enjeux métiers, nous nous sommes organisés en produits en Data, animés par des Data Product Managers et des product Owners qui connaissent parfaitement la valeur de nos Data et assistent les directions métiers pour imaginer avec eux comment la Data peut les aider à faire toujours mieux
Le nombre de use case ne cesse de croitre, et cet effectif est donc logiquement en croissance.
La direction data prend également en charge le delivery des produits data et IA ?
Nous couvrons 100% du spectre. Nous gérons la plateforme cloud et mettons en œuvre toutes les infrastructures nécessaires. Nous travaillons aussi avec le métier sur les cas d’usage et les Data utiles à leur développement. Nous réalisons, industrialisons et maintenons en condition opérationnelles tous les éléments qui constituent nos pipelines Data.
Et comment collaborez-vous avec la DSI et avec les métiers ? Selon quelle méthodologie ?
La direction data opère au sein de la DTSI. Cela nous permet d’avoir une organisation intégrée et d’optimiser l’efficacité de l’équipe et le Time To Market. Nous développons en mode l’agile et nous avons défini une organisation produit Data s’appuyant sur des cycles courts de développement de 2 semaines.
La coordination est très étroite et régulière avec les métiers. A chaque fois que cela fait sens, nous montons ainsi des feature teams transverses, avec les directions opérationnelles concernées et les équipes juridiques et compliance. Cela nous permet de cracker un sujet plus rapidement en restant focus sur un objectif. C’est par exemple l’organisation mise en place pour les moteurs de recommandation de contenu.
Et quid de la mesure de la valeur des cas d’usage ?
Nous sommes principalement une entité support. La valeur est donc mesurée avec les équipes métier. Elle est mesurée très régulièrement au travers d’indicateurs, par exemple via le suivi constant des taux de churn ou d’acquisition. Nous suivons également la performance des contenus et certains indicateurs autour de l’expérience client, notamment le temps nécessaire au choix d’un contenu ou les temps de visionnage.
En ce qui concerne les cas d’usage, votre direction traite-t-elle les demandes des métiers ou est-elle celle qui les pousse ?
Nous aimerions que ce soit plutôt les métiers qui viennent nous voir, mais nous avons monté cette organisation produit pour nous permettre également d’être proactifs sur ces sujets.
Nous sommes donc dans un mode dans lequel nous collaborons étroitement autour des enjeux business et des opportunités technologiques qui nous paraissent intéressants.
Quels sont vos principaux objectifs en 2022 sur la Data ?
J’en identifie trois principaux. Le premier, c’est l’internationalisation. Jusqu’à présent, nous avons beaucoup développé l’usage de la Data pour la France. Mais nous sommes aussi présents sur d’autres territoires et en particulier l’Afrique qui se digitalise à très grande vitesse.
Nous avons donc besoin d’amener tous les territoires au même niveau en termes de fonctionnalités Data. Pour cela, nous travaillons à unifier notre plateforme Data et à internationaliser l’équipe Data. L’objectif est de créer de la synergie, mutualiser les coûts de la plateforme Data tout en ayant une compréhension fine des enjeux, réglementations et particularités locales.
Le 2e grand chantier est celui de la personnalisation de l’expérience de nos abonnés. Nous estimons être un peu en retard par rapport à ce que peuvent faire les meilleurs acteurs du streaming.
Enfin mon dernier chantier est celui de la data quality. Au contraire des industries traditionnelles nos Data ne sont pas issues de saisies manuelles, Elles sont majoritairement générées par des systèmes informatiques, c’est-à-dire les décodeurs ou les devices de nos abonnés.
Pour améliorer la qualité des Data, nous devons faire évoluer les pratiques de nos équipes techniques afin de mettre la Data au cœur de leur préoccupations, juste derrière l’expérience de visionnage premium qu’elles cherchent à proposer. Notre présence au sein de la DSI est un avantage dans ce domaine. Nous allons chercher à nous inscrire dans les cycles de développement de la DSI pour piloter la qualité des Data comme nous pilotons la qualité des développements.