Dans un carnet de tendances, les chercheurs du CEA réunissent les grandes tendances technologiques amenées à impacter en profondeur société et secteurs économiques. Ces technologies de rupture ont été partagées à l’occasion du DIMS 2022.
Comment détecter et anticiper l’émergence de technologies de rupture ? Grâce à la collecte de signaux faibles, notamment. Pour Timothée Silvestre, responsable Prospective Technologique, Tendances Sociétales et Signaux Faibles au CEA, une technologie de rupture est multi-sectorielle.
Pour cartographier ces tendances, le centre de recherche a ainsi opté pour une représentation en réseau. “Cela nous permet de visualiser les tendances à la connexion de plusieurs thématiques. A la manière d’une station de métro, plus un nœud est dense et plus vous pouvez estimer que cette tendance impactera” largement, expliquait le représentant du Y.Spot Labs du CEA à l’occasion de la conférence DIMS 2022 organisée par l’IMA, club de l’innovation collaborative.
Des tendances à la connexion de multiples secteurs
Cette cartographie permet donc de distinguer 10 tendances majeures. Parmi celles-ci, le swarm ou technologie en essaim. Son principe repose sur le pilotage décentralisé et coordonné d’agents intelligents, tels que des drones. La technologie est inspirée du monde animal et vise à répondre à des enjeux complexes comme échapper à un prédateur ou franchir des obstacles.
Le swarm fait l’objet de travaux dans l’univers de la robotique depuis déjà des années. Pour le CEA, les progrès en intelligence artificielle embarquée ouvrent désormais des cas d’application dans différents domaines. Le swarm est ainsi envisagé pour le pilotage de robots de livraison dans le secteur de la logistique.
Le militaire s’intéresse également aux applications du swarm, par exemple pour gérer des flottes de drones. A noter que ces robots et/ou drones peuvent être de natures hétérogènes. Cette hétérogénéité est capitale pour envisager à l’avenir des interactions dynamiques entre des essaims de voitures autonomes et d’autres systèmes, par exemple.
Autre tendance du moment, difficile à occulter actuellement : le métavers. La définition du métaverse et du périmètre des technologies qu’il englobe sont à géométrie variable. Timothée Silvestre prend ainsi soin de préciser que son accès ne se réduit pas à l’utilisation de casques de réalité virtuelle.
Dans l’industrie du gaming, où les applications du métaverse se développent, seuls 2% des utilisateurs d’une plateforme comme Steam utilisent des casques de VR. Tous les terminaux, PC et smartphones notamment, sont ainsi des passerelles d’accès à ces univers virtuels.
Métaverse, Mirror World et monde réel se croisent
Les transformations induites par le métaverse sont également attendues dans l’e-commerce. L’objectif de la startup Boson Protocol est ainsi de “disrupter” le commerce en ligne en remplaçant des intermédiaires par des contrats programmables ou smart contracts. Pour Timothée Silvestre, le métaverse fait émerger en outre de nouvelles expériences d’achat.
Un consommateur achète par exemple un bien virtuel, comme une paire de chaussures, dont la propriété prend la forme d’un NFT, un token non fongible. Ce jeton peut donner droit ensuite à son équivalent réel. Une marque comme Nike suit de près ces usages, qui peuvent être connectés au monde physique. Le fabricant a acquis en décembre 2021 RTFKT, un créateur de chaussures virtuelles.
Métaverse et monde physique ne sont pas étanches. Ils présentent des zones d’intersection, y compris avec le Mirror World ou monde miroir, autre tendance identifiée par le CEA. Le Mirror World est l’agrégat de données du monde réel, à l’image d’un jumeau numérique. Nvidia, avec BMW, numérise notamment des usines.
Depuis 2016, Dassault Systèmes participe à la création d’un jumeau numérique de la ville de Singapour dans le cadre du projet de smart city Virtual Singapore. Mirror world, métaverse et monde réel sont donc amenés à s’interconnecter, anticipe le CEA. L’intersection entre monde réel et métaverse constitue d’ailleurs le Cyber Physical Asset. Le métaverse industriel est quant à lui à la croisée du métaverse et du mirror world.
Le smart dust est une tendance peut-être plus tangible aujourd’hui. Ses bases ont été posées dès les années 90 par la DARPA au travers d’un concept de mini-capteurs autonomes et connectés en réseau. Les progrès de la miniaturisation ont permis un bond en avant de ces ordinateurs miniatures. La santé présente des usages possibles du smart dust au travers des neurograins.
Startupisation de l’espace, autonomous farming et éco circulaire
Le Commissariat à l’énergie relève aussi l’émergence de concepts comme l’espace pour tous, c’est-à-dire sa démocratisation. L’espace n’est plus la chasse gardée des grandes puissances et d’organisations gouvernementales. Des startups développent elles aussi des technologies dans ce secteur. L’incubateur toulousain TechTheMoon en est une illustration.
La technologie de rupture n’est cependant pas exclusivement tournée vers la conquête spatiale. Dans l’agriculture, une tendance émerge : l’autonomous farming ou agriculture autonome. En 2021, le premier constructeur de véhicules agricoles John Deere rachetait d’ailleurs Bear Flag Robotics.
L’agriculture abrite d’autres tendances comme le vertical farming (qui par hydroponie vise à optimiser la consommation d’eau) et l’agri-voltaïque combinant terres agricoles et production d’énergie. D’après des expérimentations, certaines cultures, comme les vignes, bénéficient de rendements accrus grâce à l’installation de panneaux solaires en réduisant l’évapo-transpiration lors des vagues de chaleur.
Ces sources d’énergie alimenteront peut-être à l’avenir les plateformes modulaires de mobilité légère. A ces tendances, le Y.Spot Labs ajoute encore le geo engineering (captage de C02, création de nuages artificiels pour réduire la température au sol…), l’everything as a service (batteries, ampoules avec Signify, énergies…), l’économie circulaire et l’AI neuro symbolic.
Le principe de l’économie circulaire peut être appliqué à l’urbanisation, conceptualisé au travers d’une ville 15 minutes dans laquelle tout est réalisable dans une zone de 15 minutes. Le concept intègre aussi l’urban mining ou mine urbaine consistant à réutiliser les ressources locales au sein de la ville.
La technologie au service de la performance et de la résilience
“Cela pose aussi la question de la conception des produits, notamment dans le bâtiment avec le design for disassembly. Cela revient à repenser la conception afin que les constructions du futur puissent être désassemblées”, explique Timothée Silvestre. La maîtrise de la conception des produits et de tout leur cycle de vie pourrait reposer à l’avenir sur la combinaison de l’économie circulaire, des jumeaux numériques et de la blockchain.
L’IA Neuro Symbolique ou IA hybride enfin. Elle répond à plusieurs enjeux. Le principal : combler les limites des systèmes connexionnistes tels que les réseaux de neurones, très consommateurs et peu ou pas explicables. La particularité de l’IA Neuro Symbolique est de fusionner règles logiques et réseaux de neurones pour traiter des problèmes complexes.
Mais les technologies à elles seules ne suffiront pas à résoudre tous les problèmes rencontrés par les différents secteurs. Le cadre du CEA appelle aussi à changer de culture, axée ces 30 dernières années sur le culte de la performance, selon lui.
“Un petit grain de sable est venu perturber cette optimisation mondiale”, déclare-t-il en référence à la pandémie et à ses conséquences sur les chaînes logistiques. L’optimisation a pris le pas sur la résilience, considère Timothée Silvestre. Les nouvelles tendances technologiques doivent donc s’accompagner d’une réflexion autour de la résilience et être utilisées pour améliorer la résilience et non uniquement les performances, exhote-t-il auprès des dirigeants de l’innovation des entreprises.