Le développement de la 5G au niveau industriel en est encore aux prémices, loin d’une généralisation comme celle en cours pour le grand public. Protection des données, investissements, applications… les nombreux défis pour l’écosystème expliquent cette situation. Réunis à la Maison de la recherche à Paris, Alliancy a ouvert le débat : que peut faire la Tech française pour changer la donne ?
Au-delà des réseaux domestiques pour lesquels la 5G est déjà disponible sur une partie du territoire, les applications industrielles peuvent être nombreuses… mais reste encore insuffisamment exploitées dans l’Hexagone. C’est l’un des constats dressés par la récente Mission 5G industrielle qui a remis son rapport au gouvernement en 2022. Pourtant, de nombreux secteurs pourraient tirer leur épingle du jeu, à l’image du secteur de l’automobile, premier employeur en Europe. “La motivation du secteur pour la 5G, c’est d’augmenter le niveau de sécurité”, indique notamment David Roine, Product Marketing Director, Connectivity Solutions at Comfort & Driving Assistance BG de Valeo, à l’occasion du diner de la communauté Alliancy Connect qui a été consacré à cette thématique, le 15 juin dernier, en partenariat avec Verizon.
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Aujourd’hui, les voitures sont équipées de plus en plus de technologies avec un effet pervers : l’augmentation du prix final pour le consommateur. Et la 5G pourrait faciliter la réponse à apporter à cette équation. “On ne peut pas continuer comme ça de façon incessante, ça va couter trop cher. On va garder les capteurs mais on va avoir besoin de la vision de l’infrastructure pour nous donner une meilleure anticipation. La voiture doit communiquer avec l’infrastructure”, explique-t-il. Selon lui, la 5G joue le rôle de courroie de transformation. “Au-delà d’une simple connectivité, c’est une infrastructure complète”.
Des freins existent
Ce nouveau réseau n’a pas vocation à modifier uniquement l’expérience des consommateurs. Il peut être un point d’accélération de la modernisation des process de production vers l’industrie 4.0. Mais de nombreuses incertitudes freinent certains acteurs à investir massivement. “Je le regrette” confie Philippe Herbert, président de la Mission 5G pour le Ministère de l’Economie, avec un message : “Il faut y aller !”. “On est dans la crise des composants. Notre priorité est de continuer à fournir des systèmes à nos clients”, répond prosaïquement David Roine.
Un autre frein vient peut venir d’une incertitude vis-à-vis de l’attitude future des opérateurs télécom. “Un élément polémique est qu’on ne veut pas investir dans la 5G dans nos outils de production pour qu’ensuite qu’on ait des sociétés qui nous disent : ‘Vous utilisez notre technologie, maintenant vous nous payez tant’. Parce qu’en investissement ça représente des milliards d’euros. Je veux savoir les règles avant d’investir et pas après”, s’inquiète ainsi David Roine.
Une avancée pas à pas
Aujourd’hui, aucune usine de production ne fonctionne uniquement en 5G, même si certain sont en phase de tests très avancée. Mercedes a construit une usine complète fonctionnant avec ce nouveau réseau mais elle est en dehors du circuit de production réelle de l’entreprise. Le président de la Mission 5G encourage les initiatives. “Il faut tester des cas d’usage réels le plus vite possible et arrêter d’aller simplement dans des showrooms”, insiste Philippe Herbert.
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La société Acome, spécialisée dans la production de câbles de haute technicité, a emboité le pas de la 5G dans une de ses usines situées dans la Manche. “Dans le cadre de l’appel à projet France Relance et 5G souveraine, on a décidé d’y aller !”, lance Antoine Brossault, Product marketing manager. “On a besoin de gagner en compétitivité et la 5G est une des solutions.” Acome est au début de ce projet d’intégrer cette connectivité sur une partie de cette usine de la Manche. “On est en phase de réflexion, il faut qu’on trouve le bon moyen de démarrer. On part de zéro mais on apprend en marchant. On va oser et je pense que ce sera très bénéfique”, partage Antoine Brossault.
Un environnement européen très protecteur
“Mon sentiment c’est qu’on était un peu en retard sur l’industrie 4.0, sur la digitalisation des process et donc on est un peu en retard sur la 5G aussi. Mais les deux sont liés donc on peut rattraper ce retard”, espère Philippe Herbert. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce léger retard pris en Europe sur d’autres grandes puissances comme la Chine ou les Etats-Unis. La protection des données peut en être une.
« En Europe, on a le RGPD. En France, des enjeux de sécurité importants. Ça peut être vu comme limitant au développement de la 5G” explique Karantez Jegou, Business development Partner chez Verizon, opérateur de télécommunications américain, qui propose également son expertise en cybersécurité au sein de l’Hexagone. “Les problématiques de protections des données personnelles ne se posent pas en Chine et d’un point de vue européen ça peut être choquant mais là-bas tout à fait normal.” souligne le spécialiste pour qui le développement de la 5G dépasse largement la seule vision d’un nouveau “réseau”.
Les opérateurs au plus proche des métiers
Pour réussir à aider les industriels à se lancer dans cette voie de la 5G, Verizon souhaite être au plus proches de leurs préoccupations, mais également à proposer une vision globale, passant par la data et la sécurité. “Nous sommes assez disruptif, assure-t-il. Il ne s’agit pas d’aller sur ce marché professionnel comme dans le résidentiel (la 5G grand public, ndlr). Il faut donc comprendre le métier de son client. Comment il fonctionne et ce dont il a besoin.”
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Et pour Karantez Jegou, ce besoin n’est pas un simple sujet d’antennes et de connectivité. “C’est un enjeu de transformation numérique. On parle de connectivité, de cloud, d’équipements, et de sujets d’architecture informatiques. Il faut embrasser tous les sujets numériques”, appuie-t-il. Les opportunités pour la Tech française sont bien dans cette complémentarité globale du sujet 5G avec d’autres chantiers structurants : spécialistes de la data et de l’IA, de la cybersécurité, des infrastructures cloud ou edge… La balle est donc aussi dans le camp des experts du numérique qui doivent accompagner les industriels à formaliser ce que la 5G va débloquer au sens large chez eux.
Alors que les anciennes générations de réseaux ont percé grâce aux grand public, le spécialiste de Verizon voit le paradigme 5G différemment. “Là c’est l’inverse. Tout va se développer par l’entreprise et l’industrie”, assure-t-il. L’innovation sera donc “BtoB” ou ne sera pas. Et pour ne pas être en queue de peloton, l’écosystème français dans son ensemble doit donc se mobiliser : les industriels tout comme les acteurs des technologies, y compris ceux qui n’ont jusqu’à présent regardé la 5G que de très loin.