L’agglomération normande dispose d’un écosystème mature, soutenu par NXP et Orange, présents localement depuis trente ans. Autour de plusieurs technologies – NFC, biométrie, cryptographie… –, le pôle TES s’est réorganisé en départements d’usages, notamment dans la santé et la domotique, domaine extrêmement porteur.
«Un petit pôle qui bouge bien ! » Il y a du vrai dans cette formule de Stéphane Bouyeure, qui préside, depuis avril 2013, le pôle de compétitivité de Caen Transactions électroniques sécurisées (TES). Surtout si l’on en juge à sa présence au dernier CES de Las Vegas : la plus grosse délégation française avec trente personnes sur soixante-dix. Elles étaient quinze start-up normandes regroupées sous la bannière du pôle de la Communauté d’agglomération de Caen-la-Mer (242 000 habitants) avec le soutien de la région Basse-Normandie. A sa création, en 2005, le Pôle TES regardait surtout en direction des opérations bancaires. Une expertise qui lui a permis de faire venir le Groupement des cartes bancaires. Par la suite, son périmètre n’a cessé de s’élargir du fait de « l’électronisation » des pratiques de la vie quotidienne et professionnelle. Son champ d’action s’est ouvert à huit grands domaines, dont trois orientés usages et nouveaux marchés : e-santé et domotique ; e-tourisme et patrimoine, et e-collectivités. Les cinq autres concernent les développements technologiques et industriels : identité numérique et sécurité ; sans contact et mobilité ; futurs moyens de paiement ; MtoM sécurisé (lire notre dossier sur l’Internet des Objets) et enfin, microélectronique.
Le pôle fédère des adhérents issus de l’électronique traditionnelle, de la microélectronique, de la technologie NFC (Near Field Communication ou communication de données sans contact) et de la confiance numérique, depuis le « hard » jusqu’à l’usage en passant par le logiciel. Stéphane Bouyeure insiste sur la force d’un écosystème – grandes entreprises (NXP, Orange…), PME, université de Caen, école d’ingénieurs Ensicaen – qui existait avant que le pôle ne soit labellisé : « Ces acteurs se connaissaient et avaient déjà appris à travailler ensemble. » A l’image de son président, ancien directeur de NXP Caen, le Pôle TES est très lié à l’aventure caennaise dans les semi-conducteurs. Dans le sillage de Philips, arrivé en 1957 pour produire des transistors, son successeur NXP s’est lancé dans l’ultraminiaturisation des puces : il a inventé, à Caen, la puce NFC qui a ouvert la voie au « sans contact » et à la confiance numérique. Des start-up, fondées par essaimage de NXP Semiconductors, ont, par la suite, donné lieu à de véritables réussites industrielles, comme Ipdia. Ce spécialiste des composants passifs intégrés vient de lancer un programme de R&D collaboratif de 37 millions d’euros dans le cadre des investissements d’avenir. Il prévoit notamment l’installation d’une ligne pilote à Caen pour l’industrialisation des produits du futur pour le médical et l’éclairage.
Le “Normandy Living Lab”
Le sans-contact et ses usages ont valu plusieurs labels à Caen. En 2006, elle est devenue première ville en Europe où des transactions marchandes ont été réalisées via un mobile. En 2011, l’agglomération a reçu le label du « Territoire leader du mobile sans-contact ». En juin 2013, elle a mis en place, pour ses transports urbains, une billettique dématérialisée utilisant la technologie NFC. Fruit de la recherche d’entreprises du pôle (Gemalto à Pont-Audemer, CEV, Vix Technology, Actigraph ou encore Spirtech), cette billettique sera bientôt interopérable avec celle du réseau TER de la région et avec les bus du conseil général du Calvados.
Le pôle TES et l’agglomération jouent à fond la carte du « Normandy Living Lab » et du « NFC business friendly ». Philippe Duron, le député-maire et président de la Communauté d’agglomération de Caen, insistait sur ce point dans son courrier de candidature, à Fleur Pellerin, au label de « quartier numérique », en septembre dernier. Parce qu’elle a su, avec ses panels d’utilisateurs, associer la population aux nouveaux usages en matière de téléphonie mobile, la ville est en mesure de proposer à des entreprises extérieures de venir expérimenter de nouveaux services dans ce domaine. PMU et Chèque Déjeuner sont déjà partants, tout comme le spécialiste de la distribution automatique de boissons Lyovel, qui expérimente actuellement le règlement NFC sur smartphone. Mais pas question pour Caen de faire une promotion béate des usages du sans contact. Le code de déontologie Incity sera la sentinelle du respect de la vie privée. Le département e-santé et domotique du pôle est un gros pourvoyeur de projets. En particulier, la « silver economy », au service de la sécurité et de l’autonomie des personnes âgées. « TES s’intéresse aux questions de dépendance (maintien à domicile, lutte contre la prévention de la chute, suivi de la nutrition, dématérialisation de l’APA), aux questions d’habitat (transformation, construction) et à la grande dépendance (Epad, projets en télémédecine) », explique le docteur Jean-Pierre Blanchère, coordinateur d’e- santé et domotique. En visite à Caen le 17 janvier, Michèle Delaunay, ministre en charge des personnes âgées, a décerné un nouveau label à la région Basse-Normandie, celui de « Silver Normandie » !
Un réseau de télémédecine
Le projet Domoplaies, labellisé en 2012, s’inscrit pleinement dans cette stratégie. C’est un système de suivi et de soins à distance des plaies chroniques et récalcitrantes. Ces dernières constituent un problème de santé publique du fait des risques d’infection et nécessitent souvent des hospitalisations, souligne Jean-Pierre Blanchère, aussi directeur du Telap, réseau de télémédecine appliquée aux plaies, en Basse-Normandie. La finalité ? Mieux traiter ces plaies en évitant l’hospitalisation. Comment ? En créant sur le territoire bas-normand un réseau de télémédecine de gestion de ces plaies. Le coup d’envoi de l’expérimentation Domoplaies a été donné en 2013 (et jusqu’en 2015) avec la distribution de tablettes tactiles 3G professionnelles et sécurisées aux infirmières libérales et aux médecins traitants volontaires pour y participer. Concrètement, l’infirmière en visite chez le patient prend une photo haute définition de la plaie et l’adresse au médecin expert du réseau. Le traitement est décidé après échange entre ces deux professionnels de santé.
Dématérialiser les appels d’offres du BTP
Autre « choc de simplification », cette fois dans les démarches administratives, c’est tout le sens d’EGovBat, un projet de plate-forme sécurisée permettant de dématérialiser la chaîne complète de la commande publique, à commencer par les appels d’offres du BTP. Soutenu par le fonds européen Feder, EGovBat est piloté par SRCI, une PME d’Eure-et-Loir spécialisée dans la dématérialisation documentaire. En phase d’expérimentation avec soixante collectivités, EGovBat devrait livrer son premier prototype de plateforme en avril 2014, en vue de dématérialiser l’ensemble du processus (passation des marchés, signature des pièces, situations intermédiaires, factures, mandatements, avis de règlement). Un consortium d’experts a été constitué, comprenant la Fédération française du bâtiment, le laboratoire juridique de l’université de Caen et l’Ecole de management de Normandie.
Le Pôle TES se met aussi au service de la médiation culturelle. Le projet M-Arromanches, permet ainsi de faire revivre le débarquement du 6 juin 1944 à Arromanches, avec une application qui fait apparaître les ponts flottants du port artificiel. Ce projet est porté par Biplan (PME installée à Rouen et Cherbourg), qui fait appel à la technologie de la réalité augmentée couplée à un support type smartphone ou tablette. La PME participe aussi au « Grand départ », application à télécharger dans la rade de Cherbourg. Elle permet aux touristes de vivre en « surimpression » sur leur écran l’épopée des grands paquebots transatlantiques qui firent escale à Cherbourg, dont le Titanic. Enfin, le « green » n’échappe pas non plus au Pôle TES. Le projet Green Pay, labellisé en 2013, vise à faciliter l’accès aux véhicules électriques. Il s’agit de mettre au point un système permettant de réserver son véhicule en temps réel, de payer sa location, de payer son parking, d’optimiser les stations de recharge. Ce projet est colabellisé par un autre pôle, iDforCAR, centré sur l’innovation dans la filière véhicules et mobilités durables. Côté entreprises, TazTag (Pôle TES), Neavia Technologies et Laureps sont impliqués. Mais Green Pay se dit prêt à ouvrir ses portes à d’autres partenaires…
BodyCap, pépite médicale.
Remarquée au CES de Las Vegas, la start-up BodyCap d’Hérouville-Saint-Clair (Cavados) – douze salariés – a mis au point une gélule contenant un capteur électronique pour mesurer la température intracorporelle. Appelée e-Celsius, cette innovation, labellisée par le Pôle TES, affiche la température du patient en temps réel, toutes les 30 secondes, qu’il soit hospitalisé ou en traitement ambulatoire. Ces données sont transmises par télémétrie à un moniteur médical, fabriqué par Asica, une PME de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine). Une fois ingérée, la gélule suit le chemin naturel d’un aliment et est expulsée dans les selles. Le capteur est encapsulé dans un PVC biomédical, comme peuvent l’être d’autres dispositifs (du type implant cardiaque). BodyCap envisage une mise sur le marché de cette gélule mi-2014. Après avoir passé avec succès les essais sur animaux, elle est désormais engagée dans les essais cliniques sur l’homme. La start-up a trouvé son partenaire industriel pour la fabrication des gélules : Lacroix Electronics, qui les produira dans son usine allemande de Düsseldorf, agréée ISO 13485 pour ce type de fabrication. BodyCap a, par ailleurs, breveté avec l’Esiee, école d’ingénieurs de Marne-la-Vallée (Seine Saint- Denis), un patch très fin – épais comme un cheveu – qui permet de mesurer en continu la fréquence cardiaque, ce qui est utile pour les malades nécessitant une surveillance régulière. C’est le projet « seconde peau », également labellisé par le Pôle TES. Ce patch contient un capteur piézoélectrique, qui se déforme sous l’effet de l’impulsion cardiaque lorsqu’il est placé sur le poignet, la poitrine ou la carotide ; l’impulsion mécanique est transformée en décharge électrique qui donne la mesure de la fréquence cardiaque. Les données sont recueillies par un serveur de données médicales. « L’intérêt de ce dispositif tient à sa finesse », souligne- t-on chez BodyCap. A la différence des ceintures utilisées par les coureurs à pied, ce patch colle à la peau. Pour ce projet, BodyCap a passé le stade de la « preuve de concept » et envisage une commercialisation en 2016. Elle a plusieurs autres projets dans ses tubes à essais.
Photos : Hamon / Région Basse-Normandie / BodyCap
Cet article est extrait du n°7 d’Alliancy, le mag