L’assemblée générale du réseau des grandes organisations en transition numérique a concentré ses messages sur les risques et incertitudes à adresser en urgence pour mettre en œuvre un numérique « durable, responsable et de confiance ».
Mercredi 12 octobre se tenait l’assemblée générale du Cigref, le réseau de référence des grandes entreprises et organisations publiques françaises qui veulent réussir leur transition numérique. La session publique de cette année, qui accueillait le ministre du numérique Jean-Noël Barrot, a concentré ses messages sur les risques et incertitudes à adresser en urgence pour mettre en œuvre un numérique « durable, responsable et de confiance ».
« Au service de l’intérêt général, répondant aux aspirations de la société autant qu’aux besoins de notre économie » : c’est par cette définition et lettre de mission pour le numérique que Jean-Claude Laroche, président du Cigref, a ouvert la session plénière publique de l’assemblée générale de la principale association professionnelle française des grandes organisations en transition numérique.
Au cours de près de deux heures d’échanges, face à la salle comble du Pavillon Gabriel (Paris VIII) où se pressaient des représentants de tout l’écosystème du numérique, ce sont ainsi des sujets profondément citoyens qui ont été mis en lumière. Le Cigref a en effet intitulé son rapport d’orientation stratégique 2022 : « Futurs numériques : incertitudes et conséquences » ; avec l’ambition d’y regrouper ses « messages-clés pour les organisations et leurs directions du numérique pour 2030-2035 ». Mais ce regard de prospective se trouve empreint d’une forte actualité ; plutôt que de se concentrer sur les disruptions technologiques per se, le rapport et le discours des représentants du Cigref a en effet mis en lumière les risques non négligeable pour notre société que pose actuellement le développement extrêmement rapide du numérique dans tous les aspects de nos vies.
Le président du Cigref a notamment voulu mettre un coup de projecteur sur ces « idées qui peuvent déranger nos habitudes ». Et s’il reconnait que tout le monde est convaincu de l’effet majeur que la crise climatique et environnementale va avoir, il appelle aujourd’hui surtout à « éviter de perdre du temps sur les fausses bonnes idées ». De même, Jean-Claude Laroche a encouragé les dirigeants à agir, en évitant les œillères, citant même Bossuet : « Le plus grand dérèglement de l’esprit, c’est de croire les choses parce qu’on veut qu’elles soient, et non parce qu’on a vu qu’elles sont en effet. »
Si la question d’actualité de l’inflation n’a tenu qu’une petite place dans les débats (« elle ne freine pas pour le moment les projets de transformation, mais pèsera sur la définition des budgets à horizon 2023 et 2024 »), les grands défis à relever ont été clairement identifiés : la responsabilité climatique, la formation et la confiance. Trois thèmes qui correspondent aux priorités également mis en avant par le ministre du Numérique, Jean-Noël Barrot, invité à prendre la parole sur ces sujets structurants pour l’avenir.
Maîtriser intelligemment l’empreinte environnementale du numérique
Celui-ci a tenu à rappeler que le numérique représente aujourd’hui 2,5% de l’empreinte carbone de notre économie et 10% de la consommation énergétique. Si le plan énergétique d’urgence qui appelle à réduire de 10% la consommation de toutes les entreprises dès aujourd’hui et d’ici deux ans lui parait très important, il a cependant surtout appelé à ne pas perdre de vue le réel objectif final : la neutralité carbone à horizon 2050. Un enjeu titanesque au regard du développement actuel des activités humaines.
« Nous savons que nous ne pouvons pas rester sur le seul sujet énergétique » a évoqué pour sa part Véronique Torner, représentante de Numeum, au nom du collectif Convergences Numériques, qui regroupe 12 associations professionnelles ayant travaillé dès 2021 sur une feuille de route programmatique pour faire face aux grands défis du numérique et « servir d’aiguillon à la décision publique ».
« Entre 70 et 80% des impacts du numérique sur l’environnement viennent de la fabrication des produits » a-t-elle notamment rappelé pour montrer le poids du sujet par rapport aux 20% issus du fonctionnement des réseaux et des 10% liés aux usages eux-mêmes (dont le développement amène tout de même une consommation grandissante de hardware, mécaniquement, NDLR). La dirigeante a souligné que des outils existaient déjà pour amener à la création de « communs », en particulier autour de l’initiative Planet Tech Care, qui fête ses deux ans d’existence (Nota : Alliancy est ambassadeur Planet Tech Care), à l’image d’ateliers mensuels et d’un annuaire référençant les solutions disponibles.
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Jean-Michel André, chief information officer du groupe SEB, a de son côté encouragé à tout faire pour augmenter massivement la durée de vie des équipements numériques utilisés dans les organisations : une responsabilité partagée aussi bien par les DSI eux-mêmes que par leurs prestataires et les fabricants. Il a également résumé les trois actions-clés pour les directions du numérique : faire naître une logique de « RSE by design » dans la création des produits et services ; identifier au plus vite là où le numérique a des effets très positifs sur les processus de l’organisation ; et enfin éduquer et développer les compétences pour mesurer l’empreinte carbone des produits, services et activités numériques.
Répondre à la pénurie de compétence par la féminisation
Le défi d’inclusion n’est pas non plus ignoré par le Cigref : il est notamment vu à travers le prisme du besoin impérieux de formation dans un contexte où « le président de la République s’est engagé à former 400 000 nouveaux experts pour le numérique, en massifiant la formation et en faisant émerger des pôles d’excellence français », comme l’a rappelé le ministre Jean-Noël Barrot. Sarah-Diane Eck (France Digitale) a souligné au nom du collectif Convergences numériques « le constat dramatique sur l’absence des femmes » qui nécessitent de mettre la question au cœur de l’action, tant au niveau de l’enseignement dès la primaire, que de la formation des enseignants eux-mêmes et des messages à faire passer aux parents pour créer des vocations.
Un sujet dont s’est ému également Jean-Claude Laroche : « Nous faisons le constat d’un recul sans précédent de la place des femmes dans les voies d’accès à nos métiers : -30% en deux ans sur les parcours technologiques et scientifiques. Je pèse mes mots : c’est une catastrophe. Un drame autant économique que social ». En appelant à une action massive de tous sur ce sujet, il a reconnu qu’il était impossible de se satisfaire de « ce désintérêt croissant de la moitié de notre population pour le numérique et de ce déterminisme sociétal », car pour lui, il parait évident qu’il ne sera possible d’organiser le futur du numérique de façon responsable qu’en incluant à part égale les femmes.
« Nous ne sommes pas bons, nous tous collectivement dans cette salle, pour adresser la question des pénuries » a déploré Jean-Christophe Lalanne, directeur général adjoint en charge des SI d’Air France – KLM, en résumant les priorités d’actions autour de sept « R » au sein de toutes les organisations : Révéler (l’appétit pour le numérique de tous les collaborateurs), Reskill (gérer la montée en compétence permanente), Retain & Reward (les actions de fidélisation et de récompense), Relocate (profiter du télétravail pour s’adapter aux nouvelles attentes des recrues et collaborateurs), Reposition (redonner de la noblesse aux métiers du numérique, notamment d’experts – y compris en dehors des postes de management) et Restaff (se donner les moyens de pouvoir gérer agilement les attributions de ses effectifs, en fonction des besoins).
Ne pas se tromper de combat sur la confiance et la souveraineté
Le dernier grand axe d’incertitude et de risque qui été mis au centre de l’assemblée générale du Cigref est la question de la souveraineté technologique française et européenne. « Le Cigref reste prudent sur cette notion, car la souveraineté est un attribut de l’Etat. Nous préférons caractériser les facteurs de confiance dans le numérique » a décrit son président en clarifiant la position de l’association : « Nous ne sommes d’aucune manière pour l’exclusion des acteurs américains du marché et nous estimons que l’autarcie numérique est une chimère ; pour autant nous pensons qu’il faut conjuguer cette accessibilité aux technologies innovantes à court terme, avec de la régulation pour gérer les risques réels de perte d’autonomie à moyen et long terme ».
Rejetant les « diatribes des jusqu’au-boutistes » autant que les assertions « mensongères des représentants de certains hyperscalers » comme stériles, Jean-Claude Laroche a donc mis avant deux priorités : le besoin d’une régulation de haut niveau sur le cloud, y compris au niveau européen, protégeant les organisations du droit extraterritorial d’une part (qui pourrait prendre la forme du texte technique en discussion, dit EUCS, inspiré du SecNumCloud français, NLDR), et d’autre part, la création d’un « RGPD sur les données sensibles non personnelles », en réservant son jugement sur la capacité du Data Act en préparation à jouer ce rôle.
En Europe, le Cigref fait front commun avec ses associations sœurs
L’association professionnelle des grandes organisations françaises veut peser collectivement sur les futures législations européennes et le fait savoir. Au cours de son assemblée générale publique du 12 octobre, elle a donc mis en scène cette « alliance naturelle » avec ses alter-ego d’Allemagne (Voice), de Belgique (Beltug) et des Pays-Bas (CIO Plateform Nederlands), les invitant à s’exprimer sur les régulations européennes en discussion ou sur le point d’entrée en vigueur : Cyber Resilience Act, AI Act, Data Act… Les représentants des associations européennes se sont dans l’absolu félicités de ces règles émergentes, tout en soulignant que pour la plupart, les 12 à 24 prochains mois allaient s’avérer crucial pour peser et faire en sorte que la réalité de leur mise en application soit à la hauteur des espérances.