Ils communiquent au sujet de leur entreprise sur les réseaux sociaux et, en particulier, sur Linkedin, avec le soutien de leur employeur, qui leur met à disposition une boîte à outils, un accompagnement, une formation… Voire un coaching individuel.
Ce sont des « ambassadeurs » et parfois même des influenceurs, au sens positif du terme ! Zoom sur ces profils de collaborateurs dont le nombre et la fonction semblent appelés à se renforcer, en pleine guerre des talents.
Qui mieux qu’un de vos salariés (un futur collègue en puissance) pour donner une opinion digne de foi sur une entreprise ? On connaît la valeur accordée aux avis clients, aux étoiles Airbnb et aux notes Google. Le même phénomène se joue du côté de la marque-employeur, avec des sites de notation comme Glassdoor, mais aussi avec le mouvement plus sophistiqué des collaborateurs-ambassadeurs.En la matière, les initiatives sont encore balbutiantes. Les entreprises tâtonnent car elles craignent les maladresses. De prime abord, la pratique est étrange : elle repose sur le volontariat, elle joue avec la limite vie pro / vie perso et elle peut faire plus de mal que de bien si elle est mise en œuvre correctement.
D’autant plus qu’être ambassadeur aujourd’hui, ce n’est pas juste dire aux clients « Regardez comme nos produits sont utiles », c’est aussi évoquer les valeurs de l’entreprise, la RSE et la raison d’être (le cas échéant).
Alors, quelle liberté de parole des collaborateurs ? Faut-il les inciter à s’exprimer ? Si oui, comment ? Faut-il les former ? Dans quelle mesure peut-on maîtriser le contenu de leurs messages ? Comment faire pour mesure leurs actions et leur impact ?
Chez Renault Group, le programme Ambassadeurs a été lancé en 2017. Il est piloté par la Communication interne, un département particulièrement développé dans l’entreprise. « Nous nous appuyons sur de bonnes bases, explique Mélanie Alexandre, Head of People & Culture Communications. Chez Renault, les enquêtes internes montrent que le niveau d’engagement des salariés est supérieur à la moyenne. Vous connaissez l’expression ? On dit souvent qu’ils ont “un losange à la place du cœur”. »
Le programme Ambassadeurs est particulièrement actif en France, avec 1 500 collaborateurs engagés sur la base du volontariat. Le groupe a choisi de mettre un outil à leur disposition, en interférant le moins possible dans les posts. « Nous sommes positionnés actuellement sur de l’amplification de contenus sur les réseaux sociaux, poursuit Mélanie Alexandre. Ces contenus générés par l’utilisateur (UGC) sont développés via la plateforme Sociabble, ouverte à tous nos employés qui le souhaitent. »
Ils y déposent leurs posts qui sont modérés : correction des fautes d’orthographe, ajouts de hashtags, proposition de phrases plus concises… A l’inverse, ils peuvent aussi venir piocher des posts « tout faits », classés par grandes chaînes (produits, développement durable, etc). « Le principe-clef pour moi, c’est la liberté d’expression, car ils prennent la parole depuis leurs compte personnels, qui souvent préexistent au programme. La modération se fait uniquement sur la plateforme. Nous n’exerçons pas de contrôle sur les publications des comptes de nos salariés. »
Selon Mélanie Alexandre, rares sont les couacs. Les corrections à apporter relèvent essentiellement du style, parfois d’une maladresse involontaire (une information encore sous embargo, par exemple), mais globalement « si les salariés s’inscrivent, c’est qu’ils ont envie de poster et envie d’être rassurés et formés avant de se lancer. »
De fait, le programme débute par une sensibilisation aux codes des réseaux sociaux. Les salariés-ambassadeurs du groupe postent par exemple sur les nouveaux modèles de véhicules, les salons auxquels ils sont conviés en avant-première, ou encore pour certains, sur la place des femmes dans l’entreprise. « Il n’y a pas de lien automatique entre leur fonction et le type de contenus qu’ils publient, ce sont leurs centres d’intérêt qui priment », observe Mélanie.
Il existe encore, pour l’instant, peu de mesure du ROI. « Tout cela nous apporte surtout un gain de notoriété, avec des posts plus authentiques, car rédigés par des salariés avec leurs propres mots », estime Mélanie Alexandre, qui travaille en parallèle sur l’extension du programme dans les usines, où il est encore peu déployé. « Quand on se lance dans ce type de programme, il faut accepter d’apprendre en marchant. Et accepter aussi de lâcher prise, ce qui n’est pas toujours facile à la Comm’ ! Une partie des contenus va vous échapper : c’est le deal. Il faut savoir faire confiance tout en accompagnant avec de l’écoute et de la pédagogie. Si vous êtes rigide et contrôlant, vous ferez fuir les ambassadeurs. »
Des ambassadeurs plus « professionnalisés »
Mélanie Alexandre s’interroge actuellement sur la création d’un second type d’ambassadeurs, plus « professionnalisés », avec des objectifs, une mesure de l’activité, une formation plus soutenue…C’est exactement le pari qu’a fait l’agence Ricochets, présente en Suisse et au Canada. Aux commandes, Robin von Känel, le co-fondateur, forme des collaborateurs appelés à devenir des « leaders d’opinion ». C’est le grade d’après, en quelque sorte !
Il est convaincu qu’ils sont le futur de la marque-employeur et plaide en faveur d’un encadrement ultra-professionnel. « Nous avions commencé par une offre à destination des CEO, raconte-t-il. Nous les aidions à développer leur personal branding. Pendant le Covid, l’utilisation de Linkedin a explosé : + 60% en Suisse. Les patrons nous ont dit : je ne peux plus être le seul à communiquer, aidez-moi à former des collaborateurs. »
L’équipe de Ricochets a développé sa propre méthode, qui passe d’abord par un casting très resserré : 1 à 5% des employés, même pour une grande entreprise qui en compterait plusieurs milliers. « Réussir ce casting est indispensable, reprend Robin von Känel. 80% du succès du programme repose sur le choix des bons ambassadeurs. »
C’est donc une sélection qui est faite : les collaborateurs postulent, pour pouvoir bénéficier d’un coaching de six mois. « L’entreprise investit pour eux, elle leur permet de développer leur employabilité : c’est un cadeau qu’elle leur fait », souligne Robin.
Ce casting est directement relié aux objectifs à atteindre. « C’est comme sur un plateau d’échecs. Vous avez une reine qui peut se déplacer dans tous les sens et d’autres figures qui occupent le terrain en fonction de leurs spécificités. Si vous voulez valoriser la politique RSE, ou la capacité d’innovation de l’entreprise, vous n’irez pas chercher les mêmes profils. »
Attention, tous les ambassadeurs ne sont pas forcément au ComEx. « Nous avons par exemple, chez un client assureur, un junior qui fait exploser les scores de son patron. Il poste des photos de terrain : les vignes sous la grêle, les assurés en train de reconstruire… » Pour être sélectionné, quatre critères comptent : la loyauté, le potentiel (qualité du réseau, ligne éditoriale pré-existante, niveau de concurrence sur les thématiques abordées…), la motivation et le temps disponible.
« Les deux derniers, temps et motivation, sont les plus importants, indique Robin. Il faut disposer d’au minimum deux heures par semaine et c’est à l’employeur de décider s’il accorde ce créneau sur le temps de travail, ou pas. Chez nos clients canadiens, cela varie. En Suisse, c’est toujours offert. Bien entendu, les RH sont impliqués dans le programme dès le départ. C’est crucial. »
L’agence veille aussi à la diversité de genres, d’âge, de langues… « Le marché commence tout juste à apparaître, en France et en Suisse, alors qu’il est mûr au Québec depuis cinq bonnes années. »
Au début des six mois de formation, l’agence rédige les posts pour les ambassadeurs. Ensuite ils prennent progressivement leur autonomie. « On voit bien qu’ils font rarement des bêtises. Ce que l’on voit souvent en revanche sur Linkedin – et vous devez en connaître – c’est une personne qui donne une mauvaise image de l’entreprise, en likant ou commentant des posts non professionnels ou polémiques. »
Robin von Känel s’est positionné à l’opposé des applications de contenus dont il redoute « l’effet perroquet » et valorise les contenus inédits, comme celui de cette employée suisse du service des eaux de Lausanne, « qui fait le buzz avec des photos de tuyaux rouillés, raconte comment elle envoie des mini drones dans les canalisations… et a permis à son entreprise de recruter enfin les ingénieurs qu’elle peinait tant à attirer. »
La mesure se fait de manière très factuelle, sur les indicateurs de performance habituels : score SSI (Social Selling Index), nombre de vues des posts, nombre d’interactions, nombre de vues du profil, croissance du réseau…, mais aussi sur des indicateurs adaptés aux objectifs, comme le nombre de CV reçus (côté RH) ou le nombre de rendez-vous générés (côté commerciaux).
Dernière chose, y a-t-il des prérequis ? A-t-on plus de chances de réussir un programme Ambassadeur si on a « quelque chose de facile à vendre », si l’on est une entreprise à mission, par exemple ?Pas du tout, répond Robin von Känel. « La seule fois où nous avons refusé un client, c’est parce qu’il sortait d’un plan social rude. La cicatrice était récente, les employés désengagés. Il faut, pour démarrer, une situation saine. »
Vivien Pertusot (La Machine à Sens) le confirme. Consultant spécialisé, il accompagne les futures entreprises à mission. « Les programmes d’employee engagement sont encore peu fréquents en France, y compris dans les entreprises à mission, indique-t-il. L’appétence des équipes n’y est pas forcément plus forte qu’ailleurs. Ce qui joue beaucoup en revanche, c’est le fait que les collaborateurs se sentent bien dans l’entreprise : qu’ils soient reconnus, valorisés. Dans ce cadre-là, il devient plus facile de mobiliser une équipe. Il faut commencer par être un bon employeur, tout simplement – et ce n’est pas parce qu’on est une entreprise à mission qu’on est meilleur en tant qu’employeur. »