L’exploitation des données fait désormais partie du parcours de transformation de l’industriel Bel. L’entreprise a d’abord mis l’accent sur les usages au service du marketing, mais prévoit d’optimiser l’ensemble de sa chaîne de valeur grâce à la Data.
« La data change véritablement la manière dont on opère », déclarait en mai 2022 Béatrice Grenade, Chief Data and Marketing Transformation Officer de Bel. Le producteur de produits tels que la Vache qui rit, Babybel, Kiri ou Boursin se situe cependant encore dans la première phase de sa transformation.
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Et comme dans d’autres secteurs, le groupe a fait le choix de mettre d’abord l’accent sur un métier souvent plus mature sur la Data, à savoir le marketing. Mais cette fonction est aussi la plus challengée par le climat économique actuel, à la fois incertain et volatil, souligne Gaël Demenet.
Un contexte d’hyper-volatilité et d’instabilité
Le directeur Data & AI de Bel s’exprimait à l’occasion de la conférence Retail & e-commerce du Hub Institute. Et de rappeler l’importance accordée aux données comme instrument essentiel de la prise de décision depuis les 24 derniers mois.
Covid, guerre en Ukraine et ses conséquences participent à créer « un contexte d’hyper-volatilité et d’instabilité. » Un tel environnement appelle à des évolutions de la part des décideurs. Cela vaut notamment en ce qui concerne les attributions de budgets marketing.
C’est pour répondre à ces enjeux que les usages de la Data se sont développés chez Bel. Pour les équipes Data & IA, rattachées à la direction de la transformation, les données servent ainsi trois finalités business : l’anticipation, l’arbitrage et l’empowerment (ou augmentation) des collaborateurs.
Acheteur de matières premières, dont le lait, mais aussi de carton pour le conditionnement de ses produits, Bel est très impacté par l’inflation. Grâce aux données, l’entreprise s’efforce donc “au maximum d’anticiper les fluctuations des prix et d’en déterminer les impacts afin, dans un second temps, de scénariser des prises de décisions.”
Pour le pilotage, l’anticipation à des horizons de deux à trois ans ne suffit pas. Celui-ci nécessite également des décisions à plus court terme via des arbitrages sous contraintes. Bel doit ainsi répartir ses dépenses entre 30 BU et des marques multiples, dont 5 fortes, chacune avec ses spécificités.
Version augmentée de l’humain grâce à l’IA
Les données sont donc un moyen pour la direction Data “de responsabiliser ses clients internes” et de les aider dans leurs décisions. La finalité : créer une complémentarité avec les collaborateurs métiers aboutissant à une “version augmentée de l’humain grâce à l’IA”.
Dans le domaine du marketing, cette ambition s’est traduite par la conception d’une suite de programmes. Leur usage permet aux marketeurs et financiers de répondre à la question de l’allocation optimale du budget marketing à trois niveaux (pays, marque et touchpoint).
Concrètement, lors de la conception du budget N+1, directeurs financier et marché ont accès à un premier outil conçu pour les aider à allouer les enveloppes entre les pays. “Nous avons développé un modèle assez simple qui score l’ensemble des pays sur deux axes : le potentiel de croissance d’un pays (…) et sur l’autre axe le potentiel de nos marques à délivrer”, détaille Gaël Demenet.
Ce modèle génère un score et ainsi un classement entre les pays en termes d’allocation de moyens marketing. “Cela marche plutôt bien, et ce depuis quelques années”, se félicite l’expert Data et AI de Bel.
Les tâches d’allocation sont cependant loin d’être finalisées à ce stade. Au niveau de chaque marché, l’industriel doit encore répartir ses dépenses entre ses marques et canaux de communication ou touchpoints (télé, PLV, réseaux sociaux…).
Recommandation des touchpoints à sélectionner
Sur le volet des canaux, Bel a mis au point un processus, supporté par “un petit modèle” basé sur RSQ (Reach Cost & Quality). Le modèle heuristique permet de créer une monnaie commune entre l’ensemble des canaux. Le RSQ détermine un coût contact qualifié (pour un objectif et une cible).
L’apport de la data science permet ici de modéliser des courbes de saturation pour chacun des touchpoints. Pour aider à la prise de décision, cette modélisation fournit des indicateurs à forte valeur ajoutée : les points minimal et maximal d’investissement, et le point optimal.
“Selon le score RSQ, le budget total et les courbes de saturation, l’algorithme va recommander les touchpoints à sélectionner avec les allocations associées”, explique Gaël Demenet. Ces insights sont exploitables directement par les équipes marketing, “notamment pour challenger ce que peuvent faire les agence média.”
La complexité s’accroît sensiblement lors de l’étape d’attribution entre les marques, souligne l’expert. Pour accompagner la prise de décision dans ce secteur, l’approche a consisté à appréhender le portefeuille de marques comme un portefeuille d’actifs financiers appréciés selon deux dimensions, le risque (ou volatilité) et les rendements.
Résoudre cette équation nécessite toutefois de tenir compte de facteurs multiples, une vingtaine en tout. Et parmi ces facteurs, certains sont contrôlés par Bel, dont le prix. D’autres, au contraire, ne le sont pas du tout (concurrence, etc.). Enfin, des facteurs sont inconnus et/ou imprévisibles, par exemple le covid par exemple ou des mouvements de grève.
Ces derniers facteurs peuvent avoir plus ou moins d’impact sur les ventes des marques du portefeuille. Illustration : la Vache qui rit s’est avérée résiliente aux Etats-Unis durant la période Covid, au contraire notamment du Babibel, compte tenu de son mode de consommation.
Des décisions basées sur une connaissance
Des variations plus ou moins importantes peuvent aussi être observées en fonction des dépenses marketing allouées. “Ces éléments génèrent énormément d’insights pour les équipes, qui passent de ‘je pense’ à ‘je sais’”.
Sur la base de ces données, Bel est en mesure de scénariser l’ensemble des allocations possibles entre ses marques, ce qui représente plusieurs milliers de simulations. Le métier obtient un “mapping” d’allocation pour arrêter des décisions data driven ou basées sur des faits.
Le marketing était une première étape, “assez normale pour une marque de grande consommation” pour des raisons notamment d’appétit et de disponibilité des données, commente le directeur Data et IA.
“Nous sommes au début du voyage de transformation par la Data chez Bel” poursuit-il. L’ambition est donc de “s’étendre” à d’autres métiers et cas d’usage sur toute la chaîne de valeur de l’entreprise. L’industriel planche ainsi actuellement sur la prévision du coût des matières premières afin de déterminer un prix de vente pour les équipes ventes.
“Nous avons aussi un sujet sur la supply afin d’automatiser l’allocation de nos produits des usines à nos entrepôts et ainsi réduire le temps consacré par nos différents demand planners”, cite également Gaël Demenet.
Les applications se situent aussi dans le domaine de l’innovation et de la R&D. A un horizon plus lointain, Bel s’efforce de modéliser le vieillissement de ses produits dans le but, à terme, d’étendre la date limite d’utilisation optimale (DLUO) et par ce biais de lutter contre le gaspillage alimentaire.