Alliancy poursuit son enquête sur la Guerre des talents IT. En partenariat avec Workday et après avoir organisé un premier atelier consacré à la vision des DSI en matière d’expérience employé, la Rédaction a de nouveau réunis une sélection de CIO et CTO d’entreprise. Objectif : étudier leurs besoins en matière de compétences dans le contexte des transformations multiples du système d’information.
Plus que jamais les DSI ont besoin de faire valoir leurs atouts pour attirer des talents et fidéliser leurs collaborateurs déjà en place. Mais au-delà de l’amélioration de l’expérience employé et d’un travail sur l’engagement des collaborateurs et leur empowerment, les entreprises ont également besoin de se projeter sur les compétences dont elles ont vraiment besoin… et de choisir leurs combats.
En effet, les systèmes d’information des organisations sont en profonde transformation, à l’heure où le cloud s’impose à presque tous les étages. Cette évolution pose aussi la question d’une gestion différente du legacy, de la dette technique et du catalogue de services proposé par l’IT. Il devient urgent de mettre en cohérence l’urbanisation, de travailler l’interconnectivité, de repenser les silos, de maîtriser l’hybridation… Or, la nature des compétences disponibles à la DSI va conditionner le champ des possibles. Quelles sont celles qu’il faut garder à tout prix ? Sur lesquels investir pour recruter ? Ou former en interne ? Et est-il seulement possible de faire évoluer tous les talents historiques de la DSI vers la nouvelle ère cloud ?
Ces à ces questions que se sont employés de répondre les CIO et CTO réunis à la rédaction d’Alliancy pour une soirée d’échange. Pour les entreprises de tailles variées qui ont partagé leurs avis, les profils « cœurs » qui permettent à la fois de capitaliser sur le système d’information existant et de préparer plus sereinement l’avenir, se répartissent en 4 groupes principaux :
- Le cœur du réacteur: les spécialistes des réseaux, des infrastructures et des strates les plus techniques ont encore largement la cote. Avec la cloudification des systèmes, le besoin d’avoir des experts maitrisant en profondeur le SI legacy et sa transformation « hybride » devient d’autant plus précieux. La maîtrise de la dette technique implique de nombreux changement culturels et organisationnels, mais aussi de « continuer à regarder le legacy en face », en en comprenant les tenants et les aboutissants.
- La cybersécurité: de l’ingénieur sécurité jusqu’au data privacy officer (DPO, obligatoire depuis 2018 et l’entrée en vigueur du RGPD) en passant par des responsabilités plus transverses de « trust officer », les participants ont souligné le besoin fort d’améliorer l’expertise, le partage de responsabilité, et la capacité à garder en interne des profils musclés sur la cyber. Un moyen pour eux de garder leur destin en main. La partie est d’autant plus difficile que la pénurie est particulièrement prononcée sur le secteur, avec une estimation d’environ 15 000 professionnels manquants en France, qui risque de se creuser d’ici 2030. Le fait de se doter de chefs d’orchestre « stratèges » capables par exemple de penser une cybersécurité plus collective, devient donc d’autant plus important.
- Les bâtisseurs de demain: architectes, technique et fonctionnel, urbaniste… sont plus que jamais recherchés car ils sont à la frontière des deux mondes du SI d’hier et de celui de demain. Surtout, ils adressent la problématique majeure de la « cartographie » de systèmes d’informations de plus en plus tentaculaires et fragmentés, à laquelle de plus en plus de DSI sont confrontés. Le souhait d’apporter simplification et cohérence pour les années à venir passe donc par une lutte importante pour se doter de ces spécialistes de premier plan, à la vision transversale.
- Les acteurs de la proximité métier: project owners, product managers, spécialistes DevOps… quel que soit leur nom ou leur périmètre exact, les CIO et CTO ont conscience qu’ils doivent préserver et attirer les compétences qui sont à l’interface de la relation IT-métier. En quelques années, les plus motivés ont ainsi appris à mieux valoriser les « experts métiers » et à porter une attention toute particulière sur les profils qui peuvent porter un regard acéré sur le cœur de métier. Avec un réflexe à acquérir : éviter la quête sans fin du « mouton à cinq pattes ».
D’autres profils recherchés par les CIO et CTO, sans entrer directement dans ces catégories, renvoient tout de même à des logiques approchantes : il en va ainsi des spécialistes cloud et notamment FinOps, dont se sont dôtées beaucoup de grandes organisations en quelques années, mais aussi des « SAM ». Ce besoin émergeant de « SAM », de plus en plus talentueux, est une réponse à la multiplication massive des solutions logicielles dans l’univers cloud. « Parmi mes besoins de compétences, celui que je mettrais en n°1 est le « Software Assets Manager », car les contrats des éditeurs deviennent de plus en plus complexes et difficiles à suivre. » témoigne ainsi Benjamin Rameix, DSI de Prévoir.
Stratégies de formation
Cependant, au-delà des typologies de profils en tant que tels, tous les participants à l’échange ont mis l’accent sur les enjeux culturels et de formation qui se cachaient derrière la question des compétences à garder et à attirer. Un point sur lequel insiste en particulier Jean Degage, Directeur SI Back office RO-RC Prévoyance et International de MGEN « La question à se poser n’est pas forcément « Quelles personnes doit vouloir garder la DSI ? », car nous voulons garder le plus de monde possible. Il s’agit plutôt de se demander comment faire évoluer les compétences dont on dispose. Nous avons en effet deux besoins fondamentaux : d’abord, sécuriser la connaissance des systèmes d’information dans l’organisation, en aidant les collaborateurs présents depuis longtemps à rester et à transformer leurs compétences ; et par ailleurs, il nous faut développer les rôles d’architecte qui vont avoir une vision transversale des évolutions de nos systèmes. Mais de manière générale, on se rend compte que plus une DSI peut s’appuyer sur ses collaborateurs les plus expérimentés dans l’organisation, plus elle parviendra à fidéliser les nouvelles recrues ».
Philippe Martin, le CTO de BPI France abonde sur l’importance d’avoir une vision développée autour des formations et de l’évolution des compétences, pour répondre à la fois aux enjeux d’attractivité et de fidélisation : « Même avec une dynamique ambitieuse de bascule vers de nouvelles technologies, il faut reconnaître que c’est le legacy qui fait souvent vivre une organisation. On ne peut donc tout simplement pas pousser le changement de compétences de manière autoritaire en ignorant cette réalité. En revanche, nous avons le parti pris de proposer d’importants moyens de formations, pour créer un effet de tractions sur les nouveaux sujets. En laissant de la liberté aux collaborateurs. »
Certaines organisations se concentrent en la matière sur une vision métier et transverse. « Nous avons depuis 7 ans, intégré la DSI du Club Med, dans une entité globale regroupant Marketing, Digital et Technologie. Dans ce contexte, même si nous avons toujours besoin de recruter des experts technologiques, nous cherchons aussi à valoriser et renforcer la compétence de « compréhension client » au sein des équipes » témoigne par exemple Arnaud Liétout, VP IT Assets and Support Applications de Club Med. A ce sujet, il attire l’attention sur l’importance de cette transversalité : « Le sujet des compétences n’est pas propre à l’IT. En particulier la question de l’évolution des collaborateurs sur une voie expertise, au-delà de la voie traditionnelle « management », concerne bien toute l’entreprise et ses métiers. »
En tant que jeune entreprise de la Tech, on constate que la plupart des candidats recherchent avant tout un travail qui leur permettra de progresser techniquement avec des possibilités de formation et une entreprise dans laquelle ils se sentent bien et qui les accompagnera dans cette progression. D’ailleurs la volonté de passer manager n’est pas systématique pour ces profils, qui préfèrent confirmer leur expertise, voire diversifier leurs expertises. » Louis-Marie Fusco – Head of IT de SWILE
Le rôle des RH dans l’équation est, sans surprise, un des facteurs les plus abondamment commentés lors de cet échange sur la guerre des talents IT. « Les DSI peuvent-ils vraiment se projeter seuls sur la question de savoir où seront leurs collaborateurs dans les années à venir ? Et sont-ils prêts à assumer ce rôle ? C’est bien aux DRH également de se mobiliser sur ces projections de transformation des métiers et de gestion de carrières pour aider » s’interroge ainsi légitimement Benjamin Rameix, de Prévoir.
L’épineuse question RH-IT
Hans Vanbets, responsable des ressources humaines de l’IT du Groupe BNP Paribas, a pu ainsi lors de l’atelier organisé par Alliancy, partager ses propres constats, avec une vision RH. Il insiste dans ce cadre en particulier sur le besoin qu’ont les grandes entreprises d’avoir une vraie cartographie de leurs compétences, pour non seulement gérer le présent, mais aussi anticiper l’avenir. Un travail ambitieux qui demande d’être perpétuellement interrogé et affiné : « A l’aide d’un dispositif dédié, nous avons identifié près de 90 rôles dans les différents métiers au sein de l’IT de BNP Paribas (expert sécurité, architecte système, ingénieur data, etc.), auxquels nous avons associé des compétences clés. Nous avons ensuite attribué ces rôles aux collaborateurs de l’IT. Cette cartographie et cette attribution renouvelées régulièrement, nous permettent d’anticiper les expertises qui font et feront la banque de demain. En parallèle, nous faisons évoluer en continu nos programmes de formation interne. Nous nous appuyons notamment sur la Digital, Data & Agile Academy développée par le Groupe en 2018, qui propose des formations certifiantes dans plusieurs domaines tel que l’IA. »
« Pour s’approcher de l’équilibre recherché entre garder les bonnes compétences en interne, recruter celles de demain, et gérer celles venant de l’externe, on a besoin de beaucoup de data. Une organisation ne peut pas être sûre d’avoir la bonne approche si elle n’a pas d’information précises sur les skills, sur les évolutions en cours, etc. » confirme Pierre-Alain Doffoel, regional sales director de Workday.
Conscients de ces enjeux RH, les DSI estiment cependant que des leviers complémentaires doivent être activés pour faciliter l’attractivité des métiers dont ils ont le plus besoin. « Un de nos constats est que quand on offre de la visibilité sur le devenir du système d’information et sur les opportunités d’évolution des compétences et rôles, on génère aussi une forte appétence des collaborateurs pour la mobilité interne » illustre ainsi Jean Degage, de la MGEN.
Changements organisationnels et de perspective
Pour sa part, Philippe Martin de BPIfrance met en avant l’importance d’une refonte organisationnelle pour accompagner ces nouvelles réalités RH. « « Aujourd’hui, nous sommes une organisation duale, avec un modèle SAFe : on est hyper-agile sur l’organisation, mais hyper-stable sur la hiérarchie ». De quoi donner des perspectives à la fois aux nouveaux entrants et aux collaborateurs en place, sans que les changements soient facteurs de ruptures trop délicates.
Bien entendu, les réflexions sur la gestion des compétences ne peuvent être complètes sans une analyse fine des besoins et des rôles des prestataires externes, dont les spécialistes sont largement utilisés par les DSI de toute taille. Antoine George, Group Chief Information Officer de Allianz Trade appelle à se saisir du sujet sérieusement pour préparer l’avenir de façon plus sereine, au-delà de la dimension « variable d’ajustement » : « Dans une organisation IT, le pourcentage de compétences externes sur lesquelles on s’appuie à clairement un impact sur le knowledge management de manière générale et sur la transmission de la connaissance du SI sur le long terme. C’est un effet peu anticipé qui créé des lenteurs supplémentaires dans la transformation. C’est aussi ce qui explique la recherche d’un équilibre différent dans les DSI actuellement, avec une volonté de réintégration de compétences techniques ». Un phénomène qui pousse également les prestataires, ESN, cabinets de conseils, voir même éditeurs, à se remettre en question. Car après tout, eux aussi sont confrontés aux mêmes enjeux d’attractivité, de fidélisation et de formation de leurs talents clés.