L’effet Spoutnik déclenché par la Gen AI se traduit au sein du Crédit Agricole par le lancement d’un programme dédié pour tester les bons cas d’usage et former massivement les collaborateurs, sans oublier de sécuriser.
La consommation de ChatGPT, en termes de trafic, est en chute libre. Fin de la hype ? Peut-être, mais certainement pas des débats et projets autour du sujet plus large de l’intelligence artificielle générative et de ses usages.
La conférence AI for Finance du 14 septembre a chassé les doutes éventuels. Toutes les grandes banques de la place ont engagé des initiatives dans ce secteur, à l’image du Crédit Agricole SA. Pour son directeur général adjoint, Jean-Paul Mazoyer, l’IA générative ou IA Gen tient de “l’effet Spoutnik”.
Aller plus loin sur la personnalisation et l’aide aux conseillers
Cette métaphore vise à illustrer une rupture imprévue. Et celle-ci est encore plus prononcée pour une banque de détail dont “les valeurs cardinales sont plutôt la prudence, les cycles longs, une rémanence de résultats”, souligne le responsable de la division Technologie et Numérique.
Ce phénomène Spoutnik oblige donc Crédit Agricole “à penser en-dehors du cadre”. La banque planche actuellement sur l’identification des cas d’usage, dont elle sait qu’ils transformeront profondément le travail des conseillers en agence.
Grâce à l’IA, les institutions financières et les assurances se sont déjà dotées de systèmes permettant d’acheminer efficacement les emails, voire de fournir des éléments automatiques de réponse. Les modèles d’IA générative permettent d’aller un cran plus loin.
Jean-Paul Mazoyer cite son usage pour “apporter des réponses circonstanciées et personnalisées, beaucoup plus personnalisées qu’avant, aux mails de nos clients, que ce soit dans l’utilisation des informations ou le ton utilisé.”
Analyses de grands documents, synthèses, génération de code informatique… Les cas d’usage les plus fréquemment évoqués sont donc en test aujourd’hui. “Nous testons, mais nous sommes surtout en train d’apprendre”, déclare le dirigeant.
Former les collaborateurs et développer de nouvelles compétences
Jean-Paul Mazoyer en est convaincu, “nous pouvons aller beaucoup plus loin dans la personnalisation et l’aide apportée à nos conseillers.” D’ailleurs, selon lui, le principal volet du programme sur l’IA générative concerne la formation de cette population aux usages.
“De nombreuses personnes sont déjà à l’aise dans l’utilisation de la Gen AI. Il faut que l’ensemble des salariés de notre banque le soient aussi”, ambitionne le directeur général adjoint. Il concède, en particulier dans la finance, que le premier réflexe tend à être celui de l’interdiction.
Si les risques, notamment de fuite de données, sont réels, il convient d’accompagner l’utilisation faite souvent en mode shadow IT (ou plutôt shadow AI). Rendre cet usage intuitif dans le quotidien des collaborateurs de la banque demandera des efforts.
Adepte du digital augmenté par l’humain – soit la puissance des outils complétée par une “couche d’empathie, de flexibilité et d’émotion” -, Jean-Paul Mazoyer rappelle la nécessité d’augmenter en parallèle l’humain par le digital, dont de l’IA.
Pour le dirigeant, cette augmentation annonce une transformation des métiers et des compétences humaines, les soft skills. L’enjeu pour la technologie sera quant à lui de rendre l’utilisation de l’IA “aussi naturelle qu’avec n’importe quel outil, comme un mail ou un traitement de texte.”
L’humain doit apporter plus que l’expertise
La Gen AI s’accompagne dès lors d’un “changement d’organisation, de formation, de compétences et de management, car il faudra aussi repenser les habitudes.” Jean-Paul Mazoyer anticipe “une révolution”, récusant toute analyse considérant ces modèles comme “une simple technologie supplémentaire.”
Quid de l’IA générative axée clients ? Cdiscount le propose en beta, tout comme Carrefour sur l’e-commerce. Boursorama, qui témoignait aussi lors d’AI For Finance, injecte progressivement de l’IA Gen dans son chatbot historique Eliott pour en accroître les aptitudes.
En matière de chatbot, Crédit Agricole privilégie à ce jour les interfaces destinées à ses conseillers. Son directeur adjoint n’exclut néanmoins pas à terme la mise à disposition de chatbots pour les clients de la banque.
Un autre changement est toutefois plus immédiat, note-il. Les tâches sans valeur ajoutée ont jusqu’à présent été adressées par le digital, l’humain libérant du temps pour d’autres opérations et l’expertise.
“C’est terminé ça. Gen AI aura bien plus de compétences qu’un cerveau d’un conseiller dans une agence bancaire. C’est la raison pour laquelle il faut un changement profond”, juge Jean-Paul Mazoyer.
Les salariés remplacés par d’autres salariés formés à l’IA
Si la compétence n’est plus le monopole de l’humain, ce dernier “doit apporter autre chose”. Cette plus-value de l’humain nécessite de la formation, et aussi de convaincre “tous les managers, jusqu’aux plus hauts dirigeants”.
Convaincre donc pour que les décideurs intègrent le paramètre de l’intelligence artificielle générative dans leurs réflexions sur l’organisation et la stratégie de l’entreprise. Cet exercice devra aussi embarquer les salariés eux-mêmes.
Leurs métiers sont amenés à changer. Le collaborateur en agence risque-t-il l’obsolescence rapide et la disparition de son emploi ? Les études sont multiples sur ce thème. Pour le Forum économique mondial, 44% des compétences des travailleurs seront bouleversées au cours des cinq prochaines années.
L’IA, promesse annoncée de millions de suppressions d’emplois ? “Je crois que nous n’en savons rien”, considère le dirigeant du Crédit Agricole. Jean-Paul Mazoyer préfère se ranger derrière un autre scénario :
“Les salariés ne seront pas remplacés par de l’IA, mais ils le seront par d’autres salariés qui sauront utiliser l’IA. La réalité se situe là à mon sens. Cela signifie que nous devrons travailler sur cette intrication entre l’IA et les collaborateurs pour offrir le meilleur de l’expérience et être le plus efficace possible.”