Codirecteur de la campagne électorale d’Anne Hidalgo, réélu dans le XIIe arrondissement, Jean-Louis Missika rempile au Conseil de Paris comme adjoint de la nouvelle maire. Il a désormais en charge les questions relatives à l’urbanisme, l’architecture, aux projets du Grand Paris, au développement économique et à l’attractivité.
Alliancy, le mag. Quelle première mesure de votre programme en faveur de l’économie numérique allez-vous mettre en oeuvre ?
Jean-Louis Missika. Elle a déjà été mise en oeuvre avec la signature du permis de construire de la Halle Freyssinet, dans le XIIIe arrondissement de Paris. Sur 30 000 mètres carrés, cet espace unique est destiné à l’accueil de 1 000 start-up innovantes. Créé en partenariat avec la Ville, cofinancé par la Caisse des dépôts et Xavier Niel, ce projet est emblématique d’une collaboration public/privé réussie en faveur des start-up et de l’implication de tout un écosystème.
Quel est le calendrier de ce projet ?
Les travaux de la Halle commenceront à la fin de l’été et s’achèveront fin 2015-début 2016. Surtout, ce projet s’inscrit dans une nouvelle étape de la politique de la Ville de Paris en matière d’incubation. La Ville a impulsé le mouvement avec les 100 000 mètres carrés d’incubateurs créés sous la mandature précédente, nous comptons sur l’implication du secteur privé pour prendre la suite. Il a déjà commencé à le faire avec l’ouverture de plusieurs lieux privés comme l’accélérateur The Family, la Pépinière 27, l’incubateur Spark de Microsoft…
L’équipe d’Anne Hidalgo compte-t-elle un adjoint chargé de l’innovation, comme vous l’étiez sous la précédente mandature ?
Je continuerai à m’occuper de l’innovation, mais avec des attributions qui intègrent ces questions dans le projet plus global d’une ville innovante et intelligente.
Vous avez parlé de « changer d’échelle » en matière d’innovation et de faire de Paris une ville d’avant-garde en ce domaine. Comment ?
Il s’agit de passer du stade d’expérimentations faites depuis six ans, sur un immeuble, dans une rue…, à un déploiement à grande échelle sur l’ensemble de la ville. La récupération de la chaleur des datacenters, les radiateurs numériques chauffés par des processeurs de calcul distribué testés dans le XVe arrondissement par Qarnot Computing… ce sont autant de solutions technologiques qui pourraient être intégrées systématiquement dans les nouvelles constructions, sous réserve de validation et de certification.
Vous voulez miser sur les « réseaux intelligents » pour la gestion de l’eau, de l’énergie, des déchets, de la circulation, des places de parking… En quoi le numérique peut-il aider ?
Fonction par fonction, la Ville a déjà des réseaux intelligents pour la gestion des feux de signalisation, pour la télérelève de la consommation d’eau, pour la collecte des ordures… Notre vision, c’est une interconnexion de ces systèmes afin de gagner en efficacité et en qualité de service, tout en ménageant nos ressources environnementales et financières.
Un exemple ?
Dans le domaine de l’énergie, les réseaux intelligents peuvent permettre de lisser les pics de consommation. Lorsque les Autolib’ d’une station située au pied d’un immeuble sont peu utilisées, par exemple, l’immeuble pourrait puiser dans leurs batteries pour faire face à un pic de consommation, plutôt que d’aller chercher son énergie dans le réseau électrique. Des réseaux de capteurs de pollution pourraient permettre de modifier la circulation selon les pics enregistrés. Pour développer de telles applications,nous devons ouvrir nos systèmes, les mettre en réseau et travailler avec des chercheurs, des startup, des entreprises privées…
Vous proposez 100 000 mètres carrés de plus pour des incubateurs, après les 100 000 déjà créés sous les mandats de Bertrand Delanoë. N’est-ce pas trop ?
Depuis 2008, chaque fois que la Ville a ouvert un nouvel incubateur, on prédisait qu’il ne pourrait pas se remplir… Trois mois après, il était plein ! Avec un bilan très positif en termes d’emplois créés (près de 15 000 depuis le début) et de taux de survie des entreprises incubées (près de 80 %). Mais nous avons cette fois parlé de 100 000 mètres carrés supplémentaires de « surfaces innovantes ». Cela comprend des incubateurs, mais aussi des espaces de coworking, des centres de télétravail, des surfaces modulaires pour les start-up qui deviennent des PME, et des immeubles « pluriels » accueillant logements, espaces de travail partagés, commerces…
Vous prévoyez d’installer ces nouveaux espaces dans un « Arc de l’innovation » autour de Paris. Le Sentier est déjà un quartier numérique, le nord de Paris le devient, il y aura la Halle Freyssinet… Cette dispersion n’est-elle pas un problème pour favoriser un écosystème dynamique ?
Si on observe la cartographie des start-up parisiennes, elles sont partout, avec des points de cristallisation. La question n’est pas tant celle de la dispersion des activités numériques, que celle de leur densité. Tout Paris est un grand quartier numérique. La Silicon Valley ne s’étend-elle pas sur des dizaines de kilomètres ? Quand Londres met en avant sa Tech City, elle annonce une concentration impressionnante d’entreprises, mais à y regarder de près, la proportion de vraies start-up y est assez faible. Concentrer le « numérique » dans un seul quartier obligerait par ailleurs à le vider de ses autres activités. Je n’y suis pas favorable. Justement, l’Arc de l’innovation vise à transformer toute la bordure de Paris, de la porte de Versailles à celle de Clichy, en une nouvelle aire économique centrée sur l’innovation, avec des usages mixtes : universités, logements, pépinières, incubateurs, terrains d’expérimentation de produits innovants et activités commerciales. L’idée, c’est de profiter du potentiel foncier qui existe, de la desserte du tramway pour créer une zone économique unifiée avec les communes voisines. Il s’agit de faire de l’innovation un trait d’union pour gommer la frontière du périphérique. Nous travaillons à l’échelle du Grand Paris.
Pensez-vous obtenir un consensus avec la droite, qui devrait présider le Grand Paris, sur ces sujets ?
Paris n’a pas de difficultés à travailler avec les communes voisines. Velib’ et Autolib’ ont été implantés dans des communes de gauche comme de droite autour de Paris. Ce sont des sujets où l’intérêt général et économique peut primer sur les guerres politiques.
Les start-up du numérique auront-elles une place particulière dans le projet de Small Business Act de la Ville ?
Nous aurons une réflexion globale sur la place des start-up et des PME dans la commande publique de la Ville. Mais l’achat de services numériques peut justifier des clauses particulières. Quand la Ville passe un gros marché de développement informatique, elle achète des lots de journées de développement. C’est peut-être la formule la plus efficace économiquement, mais sans doute pas la meilleure pour intégrer des start-up. Nous devons lancer la réflexion.
En quoi consistera concrètement le pack « jeune entrepreneur » que vous avez annoncé ?
C’est une formule d’accompagnement qui concernera 2 500 créateurs d’entreprise chaque année, sélectionnés sur leur business plan. Ils bénéficieront, à coût modéré, de l’accès à tous les services utiles au lancement de leur projet. Ce pack va être mis en place avec la chambre de commerce et d’industrie de Paris.
La Ville de Paris propose des soutiens pour l’amorçage, mais ensuite les start-up ont du mal à grossir, faute de financement. Avez-vous une solution ?
Avec le fonds Paris Innovation, la Ville fait en effet le maximum en termes de pré-amorçage, avec 30 000 euros de subventions pour les start-up incubées ou 100 000 euros d’avance remboursable, et cela sans entamer le capital de l’entreprise. C’est le rôle de la collectivité de donner un coup de pouce au moment où personne d’autre n’est prêt à le faire. Mais pas d’aller au-delà. Ce sont aux investisseurs privés de prendre le relais et les choses s’améliorent justement. La première génération des entrepreneurs Internet, les Marc Simoncini et Xavier Niel, par exemple, redistribue et investit dans de nombreuses sociétés… A l’international, les investisseurs commencent à réaliser qu’il se passe des choses à Paris, qu’au lieu de se battre à cinquante sur une start-up de la Silicon Valley, ils peuvent trouver la même à Paris. Nous travaillons sur l’attractivité de la Ville, et on discute avec le gouvernement pour essayer d’éviter les mauvaises mesures fiscales.
En termes d’open data, toutes les données de la Ville de Paris sont-elles ouvertes ?
Beaucoup de données sont déjà ouvertes, mais pas toutes, souvent simplement parce que leur ouverture pose des questions techniques. Comme pour les applications Velib’ et Autolib’, nous voulons encourager nos prestataires à mettre leurs données dynamiques à disposition pour créer de nouveaux services et de nouvelles applications. Ce que nous avons commencé à faire en 2013 avec le concours Moov’In The City, pour développer des applications améliorant l’usage des transports parisiens, en utilisant les données de la Ville de Paris, de la RATP, de JCDecaux, d’Autolib’ ou de la SNCF. Plus de 150 projets ont été présentés, montrant une vraie appétence pour tirer parti de ces données.
Comment les entreprises peuvent-elles participer ?
Dorénavant, nous intégrons dans tous les marchés publics passés par la Ville, une clause « open data », qui doit permettre l’accès aux données et leur réutilisation pour de nouveaux services. Dans le domaine de la culture, de la circulation, des espaces verts…, nous espérons que la réutilisation des données enrichira les services pour les Parisiens. Le projet est de créer un bouquet de services unique, avec un accès unifié pour chaque Parisien, rassemblant les applications créées par la Ville de Paris ou les acteurs privés.
Comment la Ville compte-t-elle participer à l’animation de la communauté parisienne du numérique ?
Nous voulons multiplier les événements, travailler avec les « têtes de pont » de la communauté comme Silicon Sentier, Cap Digital, et travailler sur des événements grand public comme Futur en Seine pour créer le plus souvent possible des points de rencontre de cette communauté. Le 28 avril, nous organisions un premier Meetup Open Data Paris à l’Hôtel de Ville et nous voulons répéter ce genre de rencontres.
Vous avez annoncé un programme de 8,5 milliards d’euros d’investissement. Y a-t-il une part réservée aux entreprises et plus particulièrement au numérique ?
Un milliard est dédié à la ville intelligente et durable, donc en partie aux réseaux intelligents, à des services numériques et, plus largement, à des enjeux technologiques. Pour l’Arc de l’innovation, les études d’opportunité ne sont pas achevées, il est trop tôt pour annoncer des chiffres.
Augmenterez-vous les impôts des entreprises ?
Anne Hidalgo s’est engagée à ne pas le faire et elle tiendra sa promesse. Mais une bonne partie de la fiscalité des entreprises n’est pas du ressort d’une ville. Et actuellement, le rapport avec l’Etat en matière de finances publiques n’est pas favorable aux collectivités…
Les chefs d’entreprise attendent du maire de Paris qu’il joue les ambassadeurs dans le monde pour attirer des talents, des investisseurs… comme le fait le maire de Londres. Quel est votre programme dans ce domaine ?
L’agenda des déplacements internationaux de la maire de Paris est en cours d’élaboration. Mais dès qu’un déplacement aura un aspect économique, elle s’entourera de chefs d’entreprise. Elle veut être l’ambassadrice de Paris, ville innovante et économiquement attractive, et pas seulement ville de l’amour, du bon vin… comme on la voit trop souvent à l’étranger.
Paris et les réseaux…
… Wi-Fi
« Pour atteindre l’objectif d’être toujours à moins de 5 minutes à pied d’un hotspot Wi-Fi, il en faudra plusieurs milliers dans la ville (contre 400 aujourd’hui). Nous voulons que le déploiement soit neutre en termes de coût pour les Parisiens. Il faut donc trouver un modèle économique avec les opérateurs dans lequel les coûts ne seront pas portés par la Ville. Par exemple, en déployant des micro-antennes de téléphonie mobile en même temps que les bornes Wi-Fi. Nous lancerons, avant la fin de l’année, une mise en concurrence auprès des entreprises. »
… 4G
« Paris se doit d’être une ville moderne et les Parisiens eux-mêmes veulent une ville très connectée. La Ville a fait adopter une charte contraignante aux opérateurs. Nous travaillons avec eux et avec les associations, les habitants… La Ville accompagne le déploiement de la 4G, qui se fait avec des seuils d’exposition aux ondes bien inférieurs aux normes européennes. Les antennes sont directionnelles : elles ne sont pas autorisées si elles sont dirigées vers des points sensibles comme les écoles, les crèches… Il existe une commission de concertation dans laquelle le respect de la charte est vérifié. Nous réalisons fréquemment des mesures à la demande des riverains. Paris est une ville très protégée dans ce domaine. »
… Internet dans le métro
« Cela relève du domaine privé et des discussions entre la RATP et les opérateurs. La Ville ne peut qu’inciter, mais elle n’a que peu de poids sur ce sujet. Cela dit, la couverture 2G est parfaite dans le métro : les touristes américains sont souvent surpris de nous voir téléphoner dans le métro, ce qui est rare chez eux. Quant à la 3G, elle s’améliore. »
… très haut débit fixe
« Paris est l’une des premières villes du monde à être entièrement couverte par la fibre optique, grâce à son réseau d’égouts qui a rendu le déploiement très facile, jusqu’au pied des immeubles. Ensuite, pour le raccordement des foyers, la Ville est là pour faciliter les choses. Nous avons édité un guide à l’attention des bailleurs, des syndics pour leur faciliter les procédures, mais c’est quelque chose qui se négocie entre les propriétaires privés et les opérateurs. Un réseau interne à la Ville de Paris raccorde en très haut débit l’ensemble des mairies d’arrondissement, les collèges, les lycées… Nous sommes plutôt en avance par rapport aux usages. »
Photos : Henri Garat/Mairie de Paris – Pline
Cet article est extrait du numéro 8 d’Alliancy, le mag