La gestation aura duré 4 ans, mais le Digital Markets Act (DMA) est bien entré en vigueur depuis le 7 mars. La législation européenne sur les marchés numériques, qui a été portée avec beaucoup d’ardeur par les commissaires Thierry Breton et Margrethe Vestager, est l’une des réponses mises en œuvre ces dernières années par l’UE pour contrebalancer la place oligopolistique prise par les grandes plateformes numériques dans l’économie européenne. Ses effets concernent en effet au premier rang les GAFAM américains. Avec une ambition assumée : éviter les potentiels abus de position dominante de ceux qui sont de facto des « contrôleurs d’accès » au numérique pour la population.
Pour les utilisateurs des services de Meta ou Google, par exemple, l’application du DMA se traduit par une multiplication des demandes de consentements et un moindre partage des données entre les services. Plusieurs juristes évoquent toutefois aussi le risque de multiplication de plaintes en Europe pour abus de position dominante du fait de mises en conformité encore insuffisantes de la part des plateformes.
De fait, l’activisme réglementaire européen de ces dernières années commence à porter ses fruits. Si le règlement général sur la protection des données (RGPD) a ouvert la voie dès 2018, l’année 2024 signe une accélération notable. Outre, le DMA, le début de l’année a vu l’entrée en vigueur du nouveau règlement sur les données (« Data Act »), qui a d’ores et déjà provoqué des réactions sur le marché du cloud. Mais sont-elles suffisantes ?
Amazon Web Services a ainsi changé cette semaine sa politique sur les « frais de sortie » de son cloud. Le Data Act détermine en effet qu’une entreprise doit pouvoir « passer efficacement d’un fournisseur de services de traitement de données à un autre ». Et assume en la matière de vouloir « déverrouiller le marché du cloud », au niveau européen.
Amazon prévoyait déjà un « transfert gratuit » de 100 gigaoctets de données par mois, mais une grande entreprise ne pouvait pas imaginer passer entièrement d’un fournisseur à l’autre dans ces conditions. L’hyperscaler a donc imité son concurrent Google qui avait déjà annoncé l’évolution de ses pratiques en janvier. « Nous croyons dans le choix des clients », a mis en avant l’opérateur de cloud à cette occasion. Les possibilités de sorties ne se font cependant pas totalement sans conditions (remboursement sous forme de crédit, certains services exclus…)
Il faut dire que le règlement prévoit une suppression progressive des frais de changement de fournisseur, mais que l’interdiction d’en facturer n’entrera en vigueur qu’en janvier 2027. La transposition du règlement dans la loi française, en cours au travers du projet de loi dit « Sécuriser et réguler l’espace numérique », parle aussi d’une limitation des frais selon les coûts directs que représentent la sortie pour le fournisseur, plutôt que de gratuité.
Surtout, le Data Act ne vise pas la suppression des frais qui seraient liés à la mise en œuvre des stratégies multicloud des entreprises, c’est-à-dire des sorties de données nécessaires pour faire le lien entre les services de différents opérateurs cloud. À ce stade, le léger gain de fluidité obtenu dans le désengagement vis-à-vis d’un cloud n’est donc pas pour autant un chemin clair vers l’ouverture de la compétition cloud en Europe. Microsoft Azure, AWS et Google Cloud dominent 67% du marché au dernier trimestre 2023. Qui plus est, ils continuent de creuser l’écart en bénéficiant encore de taux de croissance à deux chiffres. Une situation qui dure et dont l’Autorité de la concurrence observe les rebonds avec intérêt. Même si des acteurs de deuxième tiers se mobilisent bien plus aujourd’hui pour se présenter comme des alternatives crédibles, le marché présente une dure réalité de dépendance. Et face aux enjeux en termes d’acquisition de compétences, de contraintes techniques, et donc de coûts, de nombreuses entreprises préfèrent encore parier sur l’un ou l’autre des leaders plutôt que d’affirmer des stratégies multicloud ambitieuses, pourtant synonymes d’une plus grande maîtrise de leur destin.