Notre chroniqueur invité Stéphane Calé vous propose une plongée dans certaines des plus brillantes manipulations d’information de l’Histoire. A chaque nouvelle technologie, son arnaque informationnelle, qui appelle à une nouvelle vigilance.
Nous nous rappelons tous où nous étions le 11 septembre 2001. Mais vous rappelez- vous où vous étiez le 23 avril 2013 quand Barack Obama a été blessé, à la suite d’un attentat terroriste à la Maison Blanche ?
Non… et c’est bien normal. Cet événement que le monde a découvert sur le compte Twitter (maintenant nommé X) d’Associated Press, via ce simple message « Breaking : Two explosions in the White House and Barack Obama is injured »[1]… n’a en réalité jamais eu lieu. Il s’agissait d’une opération menée par un groupe de pirates qui, ayant réussi à prendre le contrôle du compte Twitter d’Associated Press, en a profité pour diffuser cette fausse information.
Et le résultat a dû dépasser leurs espérances, car le cours du Dow Jones a ainsi perdu 130 points, soit l’équivalent de 136,5 milliards de dollars, pour aussitôt remonter dès que les démentis ont été publiés ; permettant ainsi aux pirates de jouer dans un premier temps sur la baisse du cours, pour ensuite miser sur sa hausse.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ces pirates, qui n’ont pas, à ce jour, été retrouvés, n’ont pas fait preuve d’une grande imagination. Il leur a suffi d’ouvrir leur livre d’histoire pour découvrir que, selon la légende, le 18 juin 1815, Nathan Rothschild aurait utilisé une technique similaire, à la suite de la bataille de Waterloo pour asseoir sa fortune. Prévenu avant ses concurrents, grâce à un réseau de pigeons voyageurs, de l’issu de la bataille, Nathan Rothschild aurait vendu une forte quantité de ses titres de la dette britannique. Pris de panique, voyant dans la baisse de la valeur du titre, le signe de la défaite du duc de Wellington, les autres courtiers auraient alors suivi le mouvement, ce qui entraîna la chute du cours en bourse. C’est alors que Nathan Rothschild racheta à vil prix les titres d’emprunt du gouvernement britannique ainsi dévalués.[2]
Mais Nathan Rothschild, n’a pas été le seul à détourner les « nouvelles technologies » de son époque afin de s’assurer de gagner en bourse. Ainsi, en 1834, les frères Blanc qui avaient une société de placement sise à Bordeaux, s’étaient aperçus que l’évolution des cours de la bourse de la capitale girondine s’alignait sur celle de Paris ; et donc de l’avantage qu’ils pourraient avoir sur leurs concurrents, s’ils disposaient avant ces derniers d’informations sur l’évolution du marché de la ville lumière. Ils décidèrent donc de corrompre un fonctionnaire en charge du télégraphe Chappe, pour que celui-ci insère une « coquille » dans les messages transmis qui signifiait ou « marché en baisse » ou « marché en hausse ».
Cher lecteur, après ces deux premières histoires où les escrocs purent profiter impunément de l’argent qu’ils avaient indélicatement gagné, vous vous attendez surement à ce que cette dernière aventure se conclue par la mise en prison des frères Blancs. Et bien malheureusement, cela n’a pas été le cas, car s’il y a bien eu à l’époque un procès, ils furent acquittés parce qu’un tel cas de figure n’avait pas été prévu dans la loi. Ils furent simplement condamnés à payer une amende pour corruption de fonctionnaire.
Si depuis la nuit des temps, les défenseurs ont toujours su adapter leurs solutions de protection techniques en fonction des innovations des attaquants (paradigme du glaive et du bouclier), en cybersécurité, cela n’est pas suffisant. Car il est également essentiel de toujours veiller à faire évoluer son arsenal législatif en fonction de l’apparition de nouvelles menaces éventuelles, comme, aujourd’hui, avec l’arrivée de l’intelligence artificielle. Mais ceci est un autre sujet, que nous aborderons dans un prochain article.
[1] « Deux explosions à la Maison-Blanche, Obama blessé »
[2] Cette version de la genèse de la fortune de Nathan Rothschild a été remise en cause par M. Niall Ferguson, (professeur à l’Université d’Harvard et d’Oxford) pour qui ses achats massifs de titres d’emprunts publics seraient dus au fait qu’il craignait que la valeur de l’or s’effondre, alors qu’il en disposait d’une importante quantité.