Le démantèlement de Google peut-il vraiment devenir une réalité dans les prochains mois ? La question, par le passé très théorique malgré l’ampleur des activités du géant, a refait surface avec force ces derniers jours.
Vendredi, l’entreprise a amorcé une nouvelle phase d’un procès de haut vol, dans lequel le juge Amit Metha, à Washington, estime que la position dominante de la firme sur le marché des moteurs de recherche constitue un monopole abusif. Au-delà de la sempiternelle punition sous forme d’amende, les discussions récentes ont surtout remis au goût du jour la recherche d’un « remède structurel », en évoquant par exemple la cession du système d’exploitation Android.
Cette actualité s’inscrit dans un cadre plus large de frictions renouvelées ces dernières semaines entre les États et les grandes entreprises de la Tech. Ainsi, Google est également menacé par la CMA, l’autorité britannique de régulation de la concurrence, cette fois concernant un abus de position dominante dans la gestion des intérêts publicitaires de ses concurrents. Cet avis, provisoire, pourrait conduire prochainement à une enquête plus poussée. En 2023, c’était l’Union européenne qui était montée au front sur ce segment publicitaire, évoquant qu’il pourrait être demandé à l’entreprise de se séparer de ses activités « ad tech », une sanction jugée démesurée par la principale concernée.
Mais Google n’est pas le seul acteur visé dans ce nouveau bras de fer. Au Brésil, le réseau social X a été interdit fin août par le juge de la Cour suprême Alexandre de Moraes, en conflit ouvert et médiatisé avec le tonitruant Elon Musk, qui ne manque pas de défier la justice du pays au nom de sa vision de la liberté d’expression. En France, c’est l’arrestation de Pavel Durov, énigmatique patron de la messagerie Telegram, qui a fait sensation. À chaque fois, ces rapports de force et d’influence soulèvent des interrogations sur de nouveaux équilibres en construction.
Ainsi, après avoir fait profil bas pendant sa garde à vue, le milliardaire franco-russe de 39 ans n’a pas tardé à riposter après sa mise en examen et sa libération sous contrôle judiciaire. Le 5 septembre dernier, il a tout simplement menacé de fermer la plateforme Telegram en France. « Nous sommes prêts à quitter les marchés qui ne sont pas compatibles avec nos principes, car nous ne faisons pas cela pour l’argent », a-t-il déclaré, rappelant que l’application était déjà interdite depuis 2011 en Russie.
L’année 2024 a été particulièrement propice à l’aggravation des conflits entre les plateformes technologiques et les pouvoirs publics dans le monde, notamment en raison de la multiplication des échéances électorales de grande ampleur. Les scrutins de l’Union européenne, mais aussi du Royaume-Uni, de la France (de manière imprévue) et bientôt des États-Unis, favorisent en effet les déclarations péremptoires et les démonstrations de force. Dernier exemple en date : les déclarations de Mark Zuckerberg à propos des demandes de la Maison Blanche. Dans une lettre adressée au président de la commission judiciaire de la Chambre des représentants des États-Unis, le dirigeant de Meta a dénoncé les pressions exercées sur ses réseaux sociaux, Instagram et Facebook, par les autorités pendant la pandémie. Sans surprise, les représentants de l’administration Biden, ont quant à eux évoqué la nécessité de ne pas laisser circuler de fausses informations. Mais la déclaration très médiatique du patron de la Tech s’inscrit dans l’agenda particulier des dernières semaines de la campagne présidentielle américaine. Elles semblent ainsi être une tentative de retour en grâce auprès de l’ex-président Donald Trump. Dans son dernier livre, ce dernier n’avait pas hésité à attaquer nommément le dirigeant de Meta : « Nous avons Mark Zuckerberg à l’œil. S’il fait quelque chose d’illégal, il passera le reste de sa vie en prison – comme tous ceux qui interféreront avec la présidentielle de 2024. »
Cet échange illustre le caractère souvent très politique de l’antitrust étatique. Mais au-delà du cas extrême de Trump et des grands réseaux sociaux, les résultats à long terme des bras de fer engagés par les États avec la Tech restent une inconnue. L’Union européenne n’a pas manqué de se montrer très militante ces dernières années, en promulguant des réglementations ambitieuses à l’encontre des champions du numérique, notamment le Digital Services Act et le Digital Markets Act. Elle a cependant la partie presque facile, car ceux-ci sont en grande majorité étrangers et sont perçus comme écrasant leurs concurrents locaux.
Outre-Atlantique, la question se pose différemment, comme le montrent les déclarations autour du procès de Google concernant son moteur de recherche. Cité par nos confrères du Télégramme, l’expert Joseph Coniglio, de la fondation « Information Technology & Innovation », estime qu’une sanction antitrust conduisant à la scission de Google « nuirait à notre compétitivité, à l’innovation et profiterait à la Chine. »
Dernière entreprise en date à être au cœur de ces tiraillements incessants, le nouveau « chouchou » Nvidia. Son action en Bourse a chuté après les annonces du département de la Justice américain concernant l’élargissement d’une enquête sur ses relations commerciales. Le fabricant de puces pour l’intelligence artificielle, bénéficiant d’un quasi-monopole sur le marché, fait face à des interrogations sur l’absence d’alternatives en matière de hardware pour motoriser la transformation IA. Or, c’est justement cette position « seule au monde » qui a fait la gloire éclair de l’entreprise et son succès auprès des investisseurs américains eux-mêmes ces deux dernières années.