Valeurs des données : comment les traders s’appuient sur des satellites pour mieux investir ?

Evaluer la hauteur d’un champ de blé à l’autre bout du monde, le volume d’un bassin de stockage de pétrole ou la croissance d’une ville, sans bouger de son bureau ou de son garage pour arbitrer ses investissements, est de plus en plus aisé avec les données satellites qui renseignent sur cela et plus encore.

Apparue il y a plus d’une vingtaine d’années, l’utilisation de données satellites pour arbitrer les choix d’investissements des traders a le vent en poupe pour deux raisons principales. Paul Brabant, expert en analyse de preuves numériques et directeur chez HSAT, explicite la première : « Beaucoup de traders utilisent des modèles depuis longtemps. Et nous, nous leur fournissons la pièce qui leur manque. Par exemple une prévision météorologique avec une précision au niveau du champ de maïs ou de soja. Le marché est en croissance car tous les modèles sont actuellement en exergue à cause du changement climatique. Il y a plus de volatilité, avec des phénomènes météorologiques jamais vus, ce qui signifie que les traders veulent des informations plus ponctuelles et plus fréquentes. »

La deuxième raison est l’abaissement des coûts des solutions. Selon les chiffres d’un vieil acteur du milieu qui a fait faillite, quelqu’un qui emploie des techniques de processing traditionnelle pour traiter des milliards de données peut dépenser jusqu’à 500 000 £ par mois. En revanche, quelqu’un qui vient de rentrer dans le marché, avec les avantages des dernières technologies, il est possible de faire un processing beaucoup plus précis pour seulement 30 000 £. « Nous utilisons aussi l’IA générative, sans nous fier à elle à 100 %, en l’intégrant dans notre processus afin de réduire nos coûts. Au lieu d’embaucher trente analystes pour répondre aux demandes de nos clients ou on peut écrire le rapport en s’aidant de l’IA générative », dévoile Paul Brabant.

Observer, évaluer, estimer

Il y a trois choses que l’on peut faire avec des images satellite. L’observation avec une image optique. On peut faire l’analogie avec Google Maps. On peut mesurer ensuite, par exemple la hauteur des bassins qui stockent le pétrole car certains ont un plafond qui s’élève ou s’abaisse en fonction du volume de pétrole, ou même le niveau d’eau dans un réservoir. Enfin, il est possible d’évaluer, qui est une fonction un peu plus critique car il faut utiliser plusieurs données différentes que l’on agrège avant d’arriver à des conclusions que les deux précédentes. Si on regarde par image satellite un champ de blé, la couleur permet de connaître la qualité de la pousse. On peut ainsi estimer la production de tous ces champs.

Ces données se présentent sous des formes diverses, comme nous l’explique Elisabeth Duffy, senior manager marketing chez EarthDaily Agro : « L’imagerie multispectrale fournit des informations précieuses sur la santé des cultures, les indices de végétation et l’état des sols en capturant des données sur différentes longueurs d’onde. Le radar à synthèse d’ouverture (SAR), ensuite, est utile pour surveiller l’état des cultures et l’humidité du sol même à travers la couverture nuageuse, ainsi que pour surveiller les incendies à travers la fumée. Il y a aussi les données infrarouges thermiques qui d’évaluer le stress hydrique des plantes et les niveaux d’humidité du sol. »

Le ratio maïs/soja intéresse particulièrement les traders

Certaines données ont beaucoup de valeur pour les traders alors qu’elles apparaissent anodines pour le commun des mortels, comme le ratio plantation de maïs et de soja. Les traders travaillent sur la détermination de ce ratio de maïs et de soja en comptant tous les champs dans les régions du monde concernées qui cultivent l’un ou l’autre. Car il existe un phénomène de bascule lorsqu’un fermier passe du maïs au soja, et inversement : « Les traders sont très attentifs à ce ratio car ils déterminent la formation du prix de ces deux denrées. Le problème c’est de savoir la limite d’un champ et ce qu’il y a de l’autre côté de cette limite. Donc on fait une autre analyse qui nous précise ce qu’il y a à la limite des champs de maïs et de soja. L’idée c’est de ne pas se fier entièrement à ces images satellites. Même s’il est possible dans certains cas d’avoir l’information que l’on veut, comme des camions qui entrent et sortent d’une usine, lorsque l’on parle d’agriculture, c’est souvent plus complexe », renseigne Paul Brabant.

Jusqu’à présent c’est l’agriculture et son dérivé le climat qui emmagasinent le plus de commandes de traders. Depuis l’espace, nous pouvons estimer, mesurer et évaluer un large éventail de facteurs agricoles. Le rendement des cultures, par exemple, en analysant les indices de végétation et la biomasse ; cela peut être fait pour des cultures spécifiques. On est renseigné sur les niveaux d’humidité du sol, ce qui est essentiel pour comprendre les besoins d’irrigation et prévoir les conditions de sécheresse.

Compter le nombre de grues

« Nous connaissons la santé et le stress des cultures en utilisant du NDVI (images spectrales) et d’autres indices de végétation pour surveiller la santé des plantes. Nous estimons le calendrier des récoltes, en suivant les stades de développement des cultures, les traders peuvent ainsi mieux planifier leur entrée sur le marché. Nous repérons les changements dans l’utilisation des terres en identifiant les changements dans les types de cultures, ou l’expansion ou la contraction des zones agricoles. Enfin, nous sommes en mesure d’analyser la chaîne d’approvisionnement avec historique de la productivité et des rendements estimés et nous les comparons au suivi en cours de saison », précise Elisabeth Duffy.

Ainsi, pour HSAT, 90 % de l’activité concerne l’approvisionnement en denrées alimentaires, mais la jeune entreprise a eu à gérer plusieurs interventions pour aider leurs clients à comprendre les conséquences de tremblements de terre, d’inondations, de problèmes logistiques et de soucis de récolte de champs ukrainiens impactant le marché mondial : « On a choisi pour cette dernière mission d’employer des drones plutôt que des satellites pour être plus rapides », commente Paul Brabant.

Mais pour les fondamentaux, rien ne vaut les satellites. Ceux qui essaient d’évaluer la croissance dans un pays peuvent choisir un indicateur de croissance. Aux Etats-Unis, par exemple, on compte le nombre de grues dans les villes, qui donne des informations sur l’activité de construction. On sait non seulement le nombre de grues, mais aussi la taille, ce qui renseigne sur le niveau de croissance de ces villes. CQFD.