[Billet d’humeur] L’Europe et la France sont-elles vraiment prêtes à passer de la parole aux actes, quand il est question d’investir dans l’avenir décisif du numérique pour leur économie ?
Faute de s’être unie et d’avoir investi au bon moment, l’Europe tarde encore à trouver sa place sur l’échiquier mondial du numérique, préempté par la Chine et les Etats-Unis. Malgré les nombreux avertissements, le sang de la Silicon Valley coule désormais dans les veines des systèmes d’informations du vieux continent dont les cœurs battent grâce aux semi-conducteurs asiatiques (Taiwan, Corée et Chine). Les deux nations, devenues des divinités digitales dont le monde entier a d’abord chanté les louanges, se sont attiré les foudres d’autres États qui se réclament, un peu tard, d’un droit profond d’indépendance et de souveraineté.
Pour ne pas battre de l’aile, le coq hexagonal, lui, cloué au sol, appelle de ses vœux l’Europe à se positionner afin de réussir l’impossible envol. Un positionnement qui ne peut se limiter à empiler des normes ou à distribuer des cartons rouges. Même si, avec Apple condamné à restituer 13 milliards d’euros à l’Irlande, une amende de 2,4 milliards infligée à Google et le patron de Telegram menacé… de prison !, on peut se demander si la roue ne serait pas en train de tourner. La (mauvaise) plaisanterie aurait-elle (enfin) assez duré ? Reste qu’il faut poser le sifflet et mouiller le maillot, d’acteur cette fois.
C’est en tout cas ce qu’on lit entre les lignes du dernier rapport du président de la BCE, Mario Draghi. Celui que l’on surnomme Super Mario dans les couloirs de la Commission européenne appelle les 27 Etats membres à passer à l’action et à s’unir autour d’un budget de… 800 milliards d’euros, pour s’assurer que l’UE ne devienne pas ce que redoutait déjà en 2013, la sénatrice Catherine Morin-Dessailly, la “colonie du monde numérique”. Si le montant du budget peut faire ouvrir grand les yeux, n’oublions pas les 280 milliards de financement accordés en 2022 par Joe Biden via la loi CHIPS and Science Act et destinés à stimuler la recherche nationale et la fabrication de semi-conducteurs.
Restent encore deux coups stratégiques à jouer, à savoir l’intelligence artificielle et l’informatique quantique où rien n’est encore perdu. Si, pour le premier, l’Europe enregistre un certain retard, elle figurait en 2022 (source BCG) en haut du classement de la course à l’informatique quantique avec 14% de parts d’un marché dominé par les Etats-Unis qui pesaient 679 milliards de dollars avec 27% de parts de marché. Bref, rien n’est joué et tout reste à faire. Surtout à espérer que l’appel de Mario Draghi sera entendu et que, côté français, Michel Barnier, nouveau chef du gouvernement, nomme rapidement un ministre du numérique pour qu’elle ou il puisse se mettre dans les plus brefs délais, “au travail”.