Avec l’IA générative, restons sobres et frugaux !

Notre chroniqueur Frédéric Bardeau revient sur le difficile sujet de l’engouement envers l’IA générative et s’interroge sur les caractéristiques d’une « adoption responsable ». Avec un message pour les professionnels de l’IT et du digital : vous avez tout intérêt à ne pas rester passif sur le sujet.

L’intelligence artificielle générative (IAgen) connaît un essor rapide, transformant de nombreux secteurs avec ses capacités innovantes. Cependant, cet engouement soulève des défis majeurs, notamment en termes d’impact environnemental et de risques sociétaux. Pour que cette technologie soit un véritable levier de progrès, il est crucial de promouvoir une adoption sobre et responsable, fondée sur une acculturation massive du public, une compréhension fine de ses impacts environnementaux, et l’adoption de pratiques frugales dans nos usages.

La première étape vers une adoption responsable consiste à éduquer un large public, des jeunes élèves aux professionnels, sur les fondamentaux de l’IA générative : qu’est-ce que c’est, comment fonctionne-t-elle, et quels sont ses cas d’usage pertinents. Cette acculturation doit être pratique, accessible à tous, et intégrée dans les systèmes éducatifs et les formations professionnelles.

Il est essentiel d’informer les utilisateurs des risques associés, tels que les biais des données d’entraînement, la fiabilité des systèmes (hallucinations, absence de raisonnement, etc.), et les problèmes de sécurité (RGPD, usages malveillants). Cette sensibilisation permettra une utilisation plus éclairée et critique des technologies.

L’IA générative, par nature, est gourmande en ressources, notamment en énergie. La phase d’entraînement des modèles consomme des quantités d’énergie considérables, contribuant à une empreinte carbone et une consommation d’eau importantes. Il est crucial que cette réalité soit bien comprise pour encourager une adoption plus sobre.

Les études spécifiques montrent que les émissions des data centers devraient doubler d’ici 2026, et que les cartes GPU consommeront d’ici 2027 autant que le minage de Bitcoin ou la consommation annuelle de certains pays. Par exemple, une simple conversation avec ChatGPT pourrait consommer l’équivalent d’une bouteille d’eau pour refroidir les serveurs nécessaires.

Les impacts environnementaux varient entre l’entraînement des modèles et la phase d’inférence. L’entraînement est particulièrement coûteux en énergie et réduire ces impacts nécessite des techniques comme la “distillation” ou la “prunisation” des modèles pour les rendre plus frugaux.

L’empreinte carbone ne se limite pas à l’entraînement. Lors de l’inférence, elle dépend de nombreux facteurs comme le pays d’hébergement des data centers, leur efficacité énergétique, et leur consommation d’eau. Évaluer ces critères est impératif pour minimiser l’empreinte écologique en production.

Des outils comme ceux d’Hugging Face ou d’Ecologits[1] permettent de faire des choix en connaissance de cause. Des chercheurs ont montré que l’empreinte carbone des grands modèles de langage (LLM) peut être réduite de 100 à 1 000 fois avec des algorithmes appropriés, du matériel adapté, et des centres de données économes en énergie.

Approche offensive ou défensive ?

Un aspect préoccupant concerne le matériel des utilisateurs, représentant 79% de l’impact écologique du numérique. La généralisation de l’usage des IA génératives nécessitera des ressources de calcul plus importantes, rendant obsolètes certains équipements, et obligeant à utiliser des “équipements IA” plus performants.

Malgré ces défis, l’IA générative peut être un outil puissant pour sensibiliser et renforcer la protection de l’environnement, par exemple en optimisant la gestion des énergies renouvelables, en modélisant les impacts climatiques, et en prévenant certaines catastrophes naturelles. Des initiatives comme “GIEC GPT” ou “Climate Q&A” démontrent que cette technologie peut aussi servir le bien commun.

Pour encourager des usages sobres et frugaux de l’IA générative, il est impératif de combiner éducation continue et sensibilisation accrue aux enjeux environnementaux. L’adoption de pratiques frugales doit être au cœur de tout projet d’IA, en optimisant les ressources utilisées et en privilégiant des solutions plus économes.

En combinant une acculturation généralisée et une compréhension fine des impacts environnementaux, il est possible de promouvoir une utilisation de l’IA qui soit à la fois efficace et respectueuse de l’environnement. Il est maintenant temps pour les acteurs de l’éducation, de l’industrie, et des pouvoirs publics de s’engager résolument dans cette voie pour construire un avenir durable avec l’intelligence artificielle.

Quant aux personnes qui travaillent dans l’IT et le digital, elles ont le choix pour prendre le sujet de manière défensive ou plutôt offensive en devançant l’appel et en étant les acteurs d’une IA générative sobre et responsable qui coche toutes les cases : les enjeux RSE et ESG autant que ceux de la transformation numérique, avec en prime un atout clé pour attirer les meilleurs talents qui cherchent également à mettre du sens dans la data et l’IA.

[1]  https://codecarbon.io/ d’Hugging Face et https://ecologits.ai/