Quantique : IBM part à la conquête de l’industrie européenne

Le groupe américain IBM a inauguré mardi son premier centre européen de données quantiques, installé en Allemagne et destiné à séduire entreprises et industriels du Vieux Continent désireux de tester cette technologie prometteuse.

L’équipementier Bosch, le constructeur automobile Volkswagen ou la banque britannique HSBC font partie des 80 clients européens qui vont profiter du « datacenter quantique » d’IBM installé à Ehningen, près de Stuttgart (sud-ouest). C’est le premier centre de ce type qu’IBM installe hors des États-Unis et « c’est le premier pan d’une région européenne cloud quantique », a promis Pierre Jaeger, directeur technique au sein d’IBM. « C’est important pour les clients que leurs données restent en Europe », explique à l’AFP Saba Zia Hassan, ingénieure en physique quantique chez IBM. Le centre de données est équipé de deux ordinateurs quantiques, reliés à des processeurs quantiques, rendus accessibles via le « cloud » aux clients d’IBM qui testent la conception de solutions quantiques applicables à l’industrie, aux banques ou encore aux gouvernements. Encore au stade primaire de développement, l’ordinateur quantique est appelé à transformer radicalement l’informatique, avec des puissances de calcul gigantesques, sans commune mesure avec les machines classiques.

Des applications multiples déjà identifiées

« Cette technologie ouvre une nouvelle possibilité où les problèmes complexes peuvent être résolus », estime Frantz Rublé, directeur général adjoint de la banque française Crédit mutuel. Il cite « l’optimisation de portefeuilles d’actifs ou la compréhension des besoins des clients, grâce à la détection de signaux faibles que l’analyse classique de données ne décèle pas ». Nikolai Ardey, directeur exécutif de Volkswagen, voit dans le centre d’Ehningen « une autre pièce indispensable du pont entre les ordinateurs quantiques et les applications industrielles à grande échelle ». L’Allemagne a « besoin » de ces technologies « clefs ». C’est un domaine « où nous devons être à la pointe et où nous ne pouvons pas être dépendant des autres », a souligné le chancelier Olaf Schoz, présent pour l’inauguration. Calcul d’itinéraires, développement de médicaments, création de matériaux innovants, etc., encore largement expérimental pour le moment, le quantique pourrait permettre de résoudre en un temps record des problèmes trop complexes pour les calculateurs actuels et futurs. Au lieu des « bits » de l’informatique classique, qui peuvent prendre les valeurs 0 et 1, le calcul quantique utilise des « qubits » qui peuvent prendre des valeurs combinant le 0 et le 1, grâce au phénomène de la superposition quantique. Couplé à celui de l’intrication, cela permet — en théorie — de réaliser des calculs plus rapidement que les ordinateurs classiques.

Un taux d’erreur réduit dans la dernière version

La feuille de route d’IBM promet de fournir à ses clients un ordinateur quantique capable d’exécuter des applications utiles en production d’ici 2029. « On est très confiant », assure M. Jaeger. Le groupe mène des recherches depuis plus 20 ans, tout comme d’autres géants des technologies (Google, Amazon, Microsoft), des laboratoires scientifiques et des dizaines de start-up. La difficulté principale est de réduire le taux d’erreurs des machines déjà développées. Le centre de données doit accueillir d’ici la fin de l’année le système quantique dernier cri d’IBM, appelé Heron. Il permet « un taux d’erreur réduit » et une vitesse de calcul multipliée par 25 par rapport au dernier système développé en 2022, d’après le groupe. « Sur certains aspects comme le développement des qubits supraconducteurs, leur qualité et leur quantité, le système Heron est le plus avancé aujourd’hui », confirme à l’AFP l’expert indépendant Olivier Ezratty.

Google, Amazon et la start-up française Alice&Bob déjà en avance

En outre, IBM s’est constitué le plus grand écosystème d’entreprises et d’institutions « qui testent déjà leurs outils à l’échelle expérimentale », souligne-t-il. Toutefois, nuance-t-il, « ses qubits sont encore bruités, c’est-à-dire qu’ils ont un taux d’erreurs des opérations trop élevé pour réaliser des calculs utiles à grande échelle. » En face, certains concurrents comme Google, Amazon et la start-up française Alice&Bob ont fait de « grandes avancées », selon lui, en direction des qubits « corrigés » dits « logiques ». « Le futur du calcul quantique, c’est la correction d’erreurs, qui est la seule approche viable », commente Élie Gouzien, physicien chez le concurrent Alice & Bob, qui travaille depuis 2020 sur un ordinateur quantique résistant aux erreurs.