Exclusion numérique des personnes en situation de handicap : deux associations se mobilisent

Les personnes en situation de handicap sont-elles plus touchées par l’exclusion numérique ? C’est la question à laquelle Emmaüs Connect et La Croix-Rouge française répondent dans un rapport réalisé avec le soutien de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et de l’Association nationale de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph).

Selon la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), la France compte entre 2,6 et 7,6 millions de personnes handicapées ou dépendantes de 15 ans ou plus vivant en logement ordinaire, ainsi que plus de 140 000 personnes de 16 ans ou plus hébergées en établissement spécialisé dans la prise en charge du handicap.

Bien que les situations de handicap soient multiformes, il apparaît que les personnes en situation de handicap sont plus à risque d’être éloignées du numérique et ce, pour trois raisons principales. La première tient aux difficultés d’accès à l’équipement et à la connexion internet en raison du coût, du caractère inadapté / inaccessible des équipements, des conditions de vie, du statut de la personne (protection juridique de type tutelle ou curatelle).

La deuxième porte sur la difficulté d’acquérir des compétences et usages numériques, de par le peu d’opportunités d’apprentissage et de montée en autonomie sur le numérique, la faible accessibilité des ressources pédagogiques, un niveau d’éducation moyen des personnes en situation de handicap plus faible, la non-maîtrise de certaines compétences de base comme la lecture et l’écriture, ou des pratiques professionnelles peu connectées. Enfin, la troisième raison tient au fait que certains outils ont initialement été pensés par et pour les personnes valides. Ils sont donc peu adaptés aux besoins des personnes en situation de handicap et aux difficultés qu’elles peuvent rencontrer.

Tel est le constat que dresse un rapport publié par Emmaüs Connect et la Croix-Rouge française en septembre 2024. Dans ce document, qui s’intitule « L’inclusion numérique des personnes en situation de handicap », les deux associations formulent plusieurs recommandations dont l’objectif est de donner de premières pistes pour accompagner vers l’inclusion numérique les personnes présentant une déficience intellectuelle (DI), un trouble du spectre de l’autisme (TSA) et/ou des troubles du comportement (TC).

Rendre les personnes en situation de handicap actrices de leur équipement et de leur montée en compétences

Une des premières recommandations d’Emmaüs Connect et la Croix-Rouge française est de faire en sorte que le travail sur l’inclusion numérique émane d’un besoin ou d’une envie exprimés par les personnes concernées. Ce travail doit aussi s’appuyer sur une bonne connaissance des possibilités offertes par le numérique et ses potentiels impacts, permettant la formulation d’un choix éclairé.

« Plus précisément, sur la question de l’accès à l’équipement, il est essentiel de proposer un matériel adapté à la personne et de l’aider à rendre accessible son équipement afin qu’elle puisse s’en saisir en toute autonomie. Quant à l’acquisition des compétences, les personnes doivent pouvoir avoir accès à des ressources pour prendre en main le numérique et monter en compétences en toute autonomie. En somme, les personnes accompagnées doivent être au centre de la définition de leur projet d’inclusion numérique et doivent pouvoir se saisir de ressources accessibles », avancent les auteurs du rapport.

Pour s’assurer que le numérique trouve sa place dans l’accompagnement, il peut être intéressant de s’appuyer sur des outils et méthodes des professionnels du handicap, notamment dans le cadre d’activités en ESSMS (Établissements et services sociaux et médico-sociaux), et donc de penser les temps liés au numérique en les intégrant dans les projets et parcours des personnes.

Donner aux accompagnants les clés pour aider les personnes en situation de handicap sur le numérique

Sensibiliser et outiller les accompagnants est une étape primordiale. Les médiateurs et conseillers numériques connaissent en effet rarement le secteur du handicap et ont parfois rarement côtoyé des personnes en situation de handicap. Ils peuvent donc avoir des préjugés et/ou ne pas savoir quelle posture adopter. Les professionnels du handicap doivent eux aussi être accompagnés. La plupart des ESSMS ne bénéficient en effet pas de la présence d’un médiateur ou d’un conseiller numérique. La prise en charge de ce volet d’apprentissage incombe ainsi souvent aux professionnels du handicap qui doivent alors intégrer ce sujet dans l’ESSMS et dans les parcours des personnes.

Les auteurs du rapport soulignent par ailleurs qu’une des premières étapes d’un accompagnement numérique réside dans l’analyse de la situation de la personne accompagnée. Dans le cas d’une personne présentant une DI, des TSA et/ou des TC, cette analyse est d’autant plus importante qu’elle doit mettre en lumière non seulement les besoins et envies numériques de la personne, mais aussi ses freins, qu’ils soient liés à ses habitudes, son environnement, son handicap, voire des mesures de protection juridiques.

L’analyse de la situation s’oriente autour de 5 axes principaux :

  • Le niveau d’équipement et de connexion de la personne
  • Les compétences et usages numériques de la personne
  • Les capacités de la personne et les difficultés rencontrées sur le numérique
  • L’environnement de la personne et les éventuelles contraintes qui y sont liées
  • Le souhait de la personne

« Loin d’être envisagée comme un interrogatoire, la réponse à ces questions doit intervenir par l’observation et la discussion avec la personne. Si le médiateur ou conseiller numérique le juge nécessaire, il peut être intéressant d’avoir une analyse partagée et pluridisciplinaire entre les différentes parties prenantes », analysent les auteurs du rapport.

Il est ensuite nécessaire de s’adapter aux difficultés de chacun en optimisant le matériel des personnes accompagnées et en privilégiant la différenciation pédagogique pour prendre en compte :

  • Les difficultés de lecture et d’écriture grâce à des supports peu écrits, en FALC (Facile À Lire et à Comprendre), et/ou avec des images et des pictogrammes ;
  • Les difficultés de concentration en proposant des modules courts et adaptés, en alternant les formats et en privilégiant les petits groupes ;
  • Les difficultés de mémorisation en échelonnant les formations, en répétant ou encore en créant des supports de mémorisation à conserver suite à l’accompagnement ;
  • Les difficultés d’abstraction et de conceptualisation en respectant la charge cognitive des personnes accompagnées et en privilégiant les explications simples et les plus concrètes possibles.

Favoriser l’implication de toutes les parties prenantes

Favoriser le travail collaboratif pour croiser les expertises s’impose aussi. « Le dialogue et l’échange d’informations et d’expertises entre professionnels du handicap et du numérique doit être favorisé pour permettre l’échange de visions et de pratiques. Puisque l’ensemble des parties prenantes vient d’horizons et de disciplines différentes, il est essentiel de proposer des outils permettant l’instauration d’un langage commun », préconisent les auteurs du rapport. Au-delà des professionnels, il est également nécessaire d’inclure autant que possible les personnes accompagnées elles-mêmes avec leur propre vision et leurs expériences. Il est par exemple essentiel de recueillir leurs besoins et envies avant de mettre en place des ateliers. Il est donc important de travailler avec elles sur les outils à mettre en place.

Enfin, le rapport d’Emmaüs Connect et de la Croix-Rouge française suggère de mettre en œuvre la « pair-aidance », pratique reposant sur une entraide entre personnes souffrant ou ayant souffert d’un même handicap. Ces synergies ont un double bénéfice : d’une part, les personnes qui se font aider se sentent parfois mieux comprises et plus autonomes du fait qu’elles ne dépendent pas d’un professionnel, mais qu’elles demandent plutôt de l’aide à un pair. D’autre part, il y a également un impact positif sur la personne qui aide : en aidant ses pairs, les personnes « se sentent valorisées dans leurs acquis » (propos recueillis lors d’un entretien avec Madeleine, monitrice éducatrice dans un service d’accueil de jour).

« Pour les personnes aidées et celles qui aident, la pair-aidance permet également de renforcer le lien social puisque les personnes en situation de handicap peuvent échanger sur les problèmes qu’elles rencontrent, mieux comprendre certaines situations et trouver des solutions ensemble. De même, ouvrir de tels espaces d’échanges et/ou de pair-aidance pour les professionnels pourrait être pertinent pour faire émerger de nouvelles solutions et pour interroger les pratiques de chacun », peut-on lire dans le rapport.

Le document produit une première étape d’un projet de plus long terme porté par la Croix-Rouge française et Emmaüs Connect et soutenu par l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) et l’Agefiph : concevoir et diffuser des outils pédagogiques adaptés pour les personnes concernées elles-mêmes et pour leurs accompagnants pour favoriser leur autonomie et leur émancipation.