Comment se former à l’IA en France en 2025 ?

En accélérant la transformation numérique des entreprises, l’intelligence artificielle redéfinit le paysage des compétences professionnelles. Face à cette (r)évolution, la formation continue devient plus qu’une nécessité : une obligation. Pour permettre aux salariés de s’adapter aux nouvelles compétences exigées par l’IA, de nombreux programmes et initiatives se déploient pour rendre ces formations accessibles aux professionnels.

Une intégration progressive de l’IA qui s’accélère

Six mois après son lancement, la Commission de l’intelligence artificielle remettait au Président de la République un rapport, avec une priorité : « Créer les conditions d’une appropriation collective de l’IA et de ses enjeux en lançant un plan de sensibilisation et de formation de la nation », et notamment d’« investir dans la formation professionnelle continue des actifs et les dispositifs de formation autour de l’IA » grâce à un budget d’au moins 200 millions d’euros sur cinq ans. En effet, si 44 % des entreprises françaises intègrent déjà des outils d’IA dans leurs processus, que 68 % des professionnels de la vente prédisent qu’en 2024, la plupart des logiciels qu’ils utiliseront seront dotés de capacités intégrées d’intelligence artificielle, 51 % des Français se méfient encore de l’IA. Leur crainte ? Son impact sur l’emploi. Et surtout leur emploi.

« Dans le monde actuel et encore plus dans celui de demain, l’intelligence artificielle (IA) s’intégrera dans tous les processus de l’entreprise » affirme Axel Haentjens, Directeur général de learning robots, startup spécialisée dans la sensibilisation et la formation à l’IA. « Face à ce phénomène, nous avons le choix entre devenir des consommateurs passifs d’IA, risquant ainsi un appauvrissement intellectuel et une perte de savoir, ou maîtriser l’IA pour en faire une alliée. Cette seconde option nécessite une formation adaptée à l’IA pour chacun, en fonction des exigences spécifiques de son métier. »

A ce titre, l’acquisition des compétences IA ne se limite pas aux aspects techniques : la sensibilisation et la démystification, par la compréhension, permettent une adoption plus large, et surtout plus sereine​. Selon Axel Haentjens, les trois catégories d’IA que sont l’automatisation des processus grâce au Machine Learning, la création de documents et la recherche dans les bases de connaissances via les grands modèles de langage, ainsi que la stimulation de la créativité dans le marketing par les générateurs d’images, s’imposeront dans tous les domaines de l’activité humaine.

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Il devient alors nécessaire de distinguer, d’une part, les formations avancées pour les spécialistes de l’IA (data scientists, chefs de projet IA, développeurs d’applications IA) qui disposent de compétences généralement acquises lors des études supérieures et, d’autre part, l’acculturation de l’ensemble des autres employés. Cependant, peu d’entreprises prévoiraient des initiatives pour cette seconde composante. Or, limiter l’IA à un cercle restreint de spécialistes risque de condamner certains projets à l’échec, soit en raison du manque de pertinence des applications, soit à cause du manque d’engagement du personnel.

Or, comme le rappelle Quentin Amaudry, cofondateur de Mendo, l’IA générative telle que nous la connaissons s’intégrera de plus en plus avec les différents logiciels. Elle deviendra capable de mener des actions complexes via des agents, qui peuvent, par exemple, être chargés de faire signer un document à une personne spécifique. Le rôle des collaborateurs sera alors de comprendre ce que ces agents font, de leur donner les bonnes instructions et de piloter les différentes opérations. Il est important pour les collaborateurs de comprendre dès aujourd’hui comment ces technologies fonctionnent, quelles sont leurs limites et comment bien les utiliser.

« Dans un monde de plus en plus digitalisé, les compétences en IA ne sont plus réservées aux experts techniques. Elles deviennent essentielles pour tous les professionnels, qu’ils soient managers, responsables RH ou techniciens. L’IA a le potentiel d’améliorer la productivité, de faciliter la prise de décision et de créer de nouvelles opportunités » affirme Alexandre Chervet, Directeur Général Adjoint de Simplon. « Cependant, pour en tirer pleinement parti, il est nécessaire de se former afin de comprendre ses implications et ses applications concrètes dans le quotidien des entreprises. »

Construire les compétences IA de demain, chez tous les collaborateurs

Les formations à l’IA touchent des métiers variés, de la gestion des ressources humaines à la finance en passant par le marketing : ces compétences deviennent incontournables pour comprendre et piloter les processus automatisés, améliorer les relations clients, et exploiter les données en temps réel. Afin de fournir à leurs salariés les compétences nécessaires, les entreprises tendent à former leurs collaborateurs en interne ou à faire appel à des centres de  formation voire à des MOOCs. Résultat ? Le nombre de professionnels formés à l’IA a été multiplié par 6 en France depuis 2016.

Dossier interface Humain-Machine - la difficile révolutionDans ce contexte, Alexandre Chervet relève que les entreprises sont confrontées à plusieurs défis majeurs pour intégrer ces nouvelles compétences : d’une part, le manque de temps des collaborateurs et la diversité des niveaux de compétence. D’autre part, la réticence de certains à adopter ces technologies, souvent perçues comme complexes ou menaçantes pour l’emploi.

« Pour surmonter ces obstacles, il est crucial de personnaliser les parcours de formation et de les adapter à la réalité de chaque équipe » confirme Alexandre Chervet. « L’intégration de la formation à l’IA dans le parcours des salariés doit s’inscrire dans une stratégie globale de montée en compétences. Il ne s’agit pas seulement d’ajouter des compétences techniques, mais aussi de développer une culture numérique et d’encourager une compréhension de l’impact de l’IA sur les métiers.»

Or, la meilleure façon d’éviter l’appréhension est d’acculturer à l’IA l’ensemble du personnel concerné ou impacté par les projets IA de l’entreprise, et lancer des projets IA fonction par fonction dans l’entreprise. S’il est possible de commencer par un projet pilote sur un périmètre restreint, il deviendra pertinent de travailler à sa généralisation.

« Nous avons développé chez Learning Robots un module qui commence par une présentation de l’histoire de l’IA depuis la fameuse conférence de Dartmouth en 1956, qui a lancé l’IA moderne, jusqu’aux récents développements des IA génératives. Nous faisons suivre cette introduction par une manipulation de l’IA avec le logiciel et le robot AlphAI (apprentissage supervisé dans une arène de course, suivi de la fameuse « course de robots autonomes ») » explique affirme Axel Haentjens. « Cette séance d’acculturation, si elle est suivie par un nombre suffisant de personnes, va permettre de créer une culture commune favorable au déploiement de projets IA. Nous l’avons expérimenté avec succès dans une grande entreprise française où plus de 300 personnes ont été acculturées en 10 mois, fonction par fonction (commercial, marketing, production, achats, finance, RH, R&D, marque, packaging… ). Les participants en sortaient en disant : « Finalement, l’IA, c’est sympa ! ». Cette acculturation va maintenant être “cascadée” dans les différentes Directions. »

Former à l’IA, autrement

« En leur montrant ce qui est possible avec l’intelligence artificielle et en les faisant évoluer avec cette technologie, ils se rendront rapidement compte des avantages. Une tâche qu’ils n’apprécient pas et qui prenait auparavant 30 minutes à une heure peut désormais être accomplie en quelques minutes grâce à l’IA » explique Quentin Amaudry, cofondateur de Mendo. « Cette prise de conscience facilite l’adoption de la technologie et réduit les peurs. En ce qui concerne la résistance au changement, même si les personnes sont convaincues des avantages de l’IA, changer ses habitudes reste difficile. C’est là que l’ancrage mémoriel entre en jeu. En répétant des micro-actions et en créant des rituels, nous aidons les collaborateurs à intégrer progressivement l’IA dans leur quotidien. Cette approche permet de faciliter la transition et d’assurer une adoption durable des nouvelles technologies. »

Aujourd’hui, les parcours de formation doivent être adaptés à chaque profil, en allant du e-learning aux formations immersives en présentiel, en passant par les ateliers pratiques, des learning expeditions, ou même des Hackathons, afin de favoriser une montée en compétence progressive et non contraignante​. De plus en plus d’entreprises se tournent vers des solutions ludiques, interactives et immersives comme les serious games, permettant aux collaborateurs de vivre des expériences virtuelles réalistes où ils appliqueront directement leurs nouvelles compétences. Ainsi, par exemple, le groupe Laposte a choisi de faire appel à un organisme externe comme Simplon pour transformer la formation de leurs collaborateurs à l’IA.

« La création de l’Ecole de la DATA&IA est une des réponses pour le Groupe La Poste à ces questions en inscrivant l’éthique, l’inclusion et la parité dans son ADN. Nous souhaitons développer par ailleurs des parcours professionnalisants pour les métiers les plus exposés par l’automatisation et l’augmentation des compétences. » affirme Robert Demory, Directeur du Développement Professionnel et de l’Expérience Collaborateur.  « Tout l’art de l’ingénieur de formation aujourd’hui est de constituer une proposition de formations en ‘’blended leanrning’’ alliant les meilleures modalités en fonction de l’objectif pédagogique. Nous avons par exemple déployé un serious game pour appréhender les projets DATA/IA permettant à l’apprenant de vivre des expériences virtuelles auxquelles il se trouvera confronté dans son milieu professionnel. Cette approche rejoint la volonté de simplifier la DATA et l’IA et mettre la culture de données à disposition du plus grand nombre de salariés. »

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Ces approches réduisent non seulement la barrière psychologique à l’adoption de la technologie, mais permettent également une meilleure assimilation des concepts fondamentaux de l’IA. Des grandes entreprises, baignant déjà dans l’IA, peuvent également décider d’accompagner de plus petites structures dans leur acculturation. Microsoft, par exemple, souhaite former 100 000 Français à l’IA générative d’ici fin 2024, avec des sessions organisées à travers tout le pays. Ce programme est destiné principalement aux PME et aux associations, et met l’accent sur les besoins métiers plutôt que sur la technologie elle-même. Mistral AI propose également des plateformes de formation et des modèles spécifiques pour les entreprises.

« Chez Mendo, nous avons développé des méthodes pour rendre la formation plus immersive et efficace. Par exemple, nous faisons gagner des points d’expérience aux collaborateurs qui progressent dans leur parcours de formation » illustre Quentin Amaudry. « Nous leur attribuons des badges et organisons des concours internes avec des récompenses pour motiver les équipes. Cette approche rend l’expérience de formation plus agréable et concrète, en intégrant directement les nouvelles compétences dans le travail quotidien des collaborateurs. De plus, les entreprises peuvent suivre les progrès grâce à des tableaux de bord avec un reporting transparent. »

« L’IA et l’IA Gen imposent avant tout un accompagnement fort en acculturation de l’ensemble des collaborateurs pour rester dans une approche rationnelle et sécurisée de ses usages et cela d’autant plus que souvent l’expérimentation individuelle précède la formation » complète Robert Demory, en prenant notamment l’exemple de projets en cours sur ces thématiques. « Le Groupe La Poste a ainsi sensibilisé 70.000 postiers à date et vise l’ensemble de ses collaborateurs à fin 2025. Une data Academy est en cours de déploiement pour comprendre les grandes tendances de l’IA et de la DATA auprès de 5000 managers. L’IA et la DATA font émerger des nouveaux métiers (data analyst, data scientist,…) qui se traduisent par des opportunités de reconversion pour nos salariés, et [cette] école de la DATA&IA est née en 2022 pour développer les compétences et former de nouveaux talents dans ces domaines. A date, c’est plus de 150 collaborateurs ou alternants qui ont intégré cette école. »

Vers une démocratisation de la formation à l’IA ?

Selon l’OCDE, les emplois nécessitant des compétences en intelligence artificielle restent rares (moins de 1 % des offres d’emploi aux États-Unis), mais leur nombre est en forte progression. Ces postes sont principalement concentrés dans quelques secteurs et métiers spécifiques. Bien que les entreprises aient un intérêt évident à développer les compétences IA de leurs employés, beaucoup hésitent encore, en raison d’une certaine incertitude autour des compétences nécessaires et des formations adaptées pour accompagner cette transformation. Cette clarification ne pourra se faire que progressivement, afin de rendre plus lisible l’offre de formation souvent abondante.

« Se former à l’IA, c’est bien plus que d’apprendre une nouvelle technologie : c’est se préparer au monde de demain. Chez Simplon, nous croyons fermement que l’IA doit être inclusive et accessible à tous, sans distinction de parcours ou de niveau initial […] » précise Alexandre Chervet. « La formation à l’IA va continuer à se démocratiser et se diversifier. On observe déjà une tendance vers des formats de plus en plus modulaires, personnalisés, et orientés vers des apprentissages par la pratique. Les formations à l’IA intégreront de plus en plus les technologies immersives comme la réalité virtuelle pour simuler des environnements d’apprentissage interactifs. De plus, l’accélération des développements en IA Générative impose aux entreprises de maintenir un cycle de formation continue pour rester à jour. [Nous visons] l’acculturation de 100 000 personnes à l’IA d’ici 2025. »

Ainsi, selon Robert Demory, les entreprises doivent s’attendre à davantage de sensibilisations sur l’implication de l’usage de l’IA en parallèle des formations plus académiques par métier (génération d’images ; l’art du prompt pour les métiers dits supports comme les juristes, communicants…), grâce à des actions de développements en groupes de réflexions se déploieront. En effet, en matière de GPEC, les besoins en entreprise de fonctions DATA&IA devraient continuer à croître avec un marché restreint des jeunes diplômés imposant d’élargir les dispositifs de reconversion pour les salariés existants. Il est indispensable que les opérateurs de formations se saisissent de cette opportunité en concevant des parcours spécifiques pour les salariés qui ne peuvent s’apparenter à une simple ouverture des parcours universitaires existants.

« La formation à l’IA sera progressivement généralisée dans les processus scolaires, même si l’évolution des programmes scolaires tarde à inclure l’IA de façon explicite, ce qu’il fait qu’elle est aujourd’hui l’apanage d’early adopters passionnés et dynamiques, mais qu’elle reste largement ignorée par le reste du corps enseignant » conclut Axel Haentjens, Directeur général de learning robots. « Actuellement seulement 300 collèges et lycées sur les 10.000 que compte la France ont mis en œuvre un programme d’éducation à l’IA basé sur la solution AlphAI. Nous la voyons également arriver dans les programmes des universités et grandes écoles. Donc ne tardez pas à prendre le train de l’IA, et ça ne pourra pas se faire sans l’adhésion de vos personnels ! Ca peut-être également un magnifique moyen de donner du sens à l’action managériale en valorisant la fierté d’être parmi les pionniers d’une révolution capitale. »