Les jeunes pousses de l’IA françaises sont-elles vraiment innovantes ? 

Les startups françaises de l’IA redoublent d’efforts pour se démarquer et proposer des solutions réellement novatrices. Mais face aux géants mondiaux, sont-elles suffisamment disruptives pour rivaliser à l’échelle internationale et capter les investissements, nationaux comme internationaux ?  

Les États-Unis et la Chine captent, à eux deux, la majeure partie des investissements mondiaux et plus de 70 % des financements en intelligence artificielle. La France, malgré ses initiatives publiques, peine à atteindre ce niveau : en 2023, les startups françaises n’ont levé qu’environ 2,4 milliards d’euros dans le secteur de l’IA, soit bien en deçà des sommes investies par les mastodontes américains comme OpenAI.  

 Pour tirer son épingle du jeu, la France mise donc sur une stratégie d’innovation différente, basée sur des concepts comme l’IA de confiance, frugale ou encore décentralisée, où les aspects éthiques et la souveraineté technologique jouent un rôle primordial. Grâce à un réseau de laboratoires de recherche et de collaborations entre le secteur privé et les universités, la France est parvenue à créer des solutions adaptées aux spécificités et aux besoins européens, au sein des trois niveaux d’innovation : le développement de briques technologiques dans la chaîne de valeur de l’IA, l’adoption incrémentale dans les processus métiers ainsi que les ruptures d’innovation sectorielles du fait du croisement entre l’IA et d’autres technologies sectorielles.   

« [L’IA est] une réponse inespérée à des défis majeurs de notre société (découverte de nouveaux médicaments, nouveaux matériaux, nouvelles molécules…) » affirme Bruno Bonnell, secrétaire général pour l’investissement en charge de France 2030. « Les acteurs (PME, ETI, grands groupes, laboratoires de recherche…), tous s’en sont saisis à des degrés de maturation différents. […] Le choix des axes repose sur les avantages compétitifs sur lesquels la France peut assurer un leadership avéré et ce sont surtout les socles sur lesquels reposent les percées technologiques qui façonneront l’IA de demain. »  

La copie, seul moyen de survie des startups françaises ?  

« Je ne pense pas que les startups françaises ‘’copient’’ ce qui se fait à l’étranger. Même si les marchés nord-américains, et, dans une moindre mesure, asiatiques ont des similitudes avec l’Europe et la France, les startups émergentes adressent des solutions qui ont leur propre innovation » affirme Matthieu Barlet, Directeur des programmes, d’Incubateur et d’accélérateur à Euratechnologies. « Que ce soit dans le cadre du plan France 2030 de Bpifrance ou en lien avec les laboratoires de recherche, toutes les conditions sont réunies pour que nos startups puissent apporter des solutions viables, innovantes et concrètes. »

L’innovation est synonyme de survie : dans un marché où les cycles technologiques sont de plus en plus courts, innover rapidement est devenu plus qu’un avantage compétitif. Cette conception reflète la réalité du marché : les startups françaises de l’IA qui ne parviendraient pas à renouveler et, surtout, améliorer constamment leurs offres se voient rapidement dépasser par leurs concurrents, notamment internationaux. Copier les modèles étrangers permettrait-il d’accélérer ces cycles ?

Dans cette dynamique, l’un des défis majeurs pour les startups est de combiner rapidité et qualité dans leurs innovations. Car, dans le domaine de l’IA, il ne s’agit pas d’être innovant seulement sur le fait d’avoir une idée nouvelle et sur la capacité à l’implémenter : innover signifie être le premier à avoir l’idée, soit à l’implémenter, ou à la commercialiser. L’exemple de Mistral AI illustre cette tendance. L’entreprise, dont la proposition de valeur semble se rapprocher de son concurrent OpenAI, a levé 105 millions d’euros pour développer son modèle d’IA générative.

« La France est également l’endroit où naissent les innovations fondamentales, où se croisent la connaissance qui sort du monde académique et de nos laboratoires et la volonté de faire autrement, de sortir des sentiers battus » rajoute Monsieur Barlet. « Imiter la recherche ou imiter des produits finis, n’a de sens innovant seulement si l’exécution de ces imitations intègre une valeur ajoutée dans la mise sur le marché. Mistral n’est pas le premier modèle de fondation d’IA et leur proposition de valeur n’est pas éloignée de ce que font OpenAI & co, pourtant il s’est hissé parmi les meilleurs modèles au niveau mondial. »

Même si certaines startups peuvent s’appuyer en partie sur des technologies existantes, leur approche repose sur une IA respectant les régulations européennes. Cette innovation de rupture, qui allie performance technologique et respect des régulations locales, démontre que les startups françaises peuvent rivaliser avec des géants, mais doivent le faire en jouant sur des niches spécifiques.

« Les jeunes startups françaises en IA et data alternent entre création authentique et adaptation de modèles existants. Certaines innovent dans des niches en s’appuyant sur une solide expertise académique, tandis que d’autres ajustent des modèles éprouvés à un environnement local » précise Gaëtan Eleouet, responsable de l’expertise Software Engineering chez le cabinet de conseil spécialisé Meritis.

Sur ce point, Bruno Bonnell explique que si nous voulons être innovants, il peut être nécessaire de mettre en place un modèle qui se détache de celui américain en étant plus centré sur l’humain. Il s’agit d’un critère d’autant plus compétitif que le sujet présente des risques freinant son adoption généralisée. Afin de financer l’innovation, France 2030 soutient à ce jour plusieurs centaines de projets d’IA à hauteur de plus de 2,5 milliards d’euros, parmi lesquels quelques champions français qui se démarquent.

« La France, et plus généralement les pays européens, ont accusé une forme de retard sur l’IA au regard de l’émergence des IA génératives des USA et dans une moins mesure en Chine. Sur ce domaine, nous n’avons amorcé le virage que tardivement, notamment à travers des entreprises comme Mistral AI » affirme Matthieu Barlet. « En revanche, les startups utilisant l’IA en mode « workplace » c’est-à-dire l’utilisation de l’IA pour faciliter le quotidien des entreprises et des particuliers reprennent une dynamique similaire à celles du continent américain. Les initiatives se basent sur le constat de problématiques qui peuvent être optimisées et gérées par l’IA. […] La véritable innovation réside toujours dans la capacité à traduire une problématique en opportunité de solutions business. »

Moins de ressources, donc moins de startups innovantes

Pour compenser un manque de ressources, que le nouveau projet de loi de finances pourrait venir renforcer, et rester innovantes, les startups françaises se concentrent donc sur des sujets de niche. En se spécialisant dans des secteurs tels que la santé, la cybersécurité, ou encore l’énergie, elles parviennent à se distinguer sur des segments où la concurrence est moins importante. Pourtant, malgré ces réussites, le financement reste un obstacle important pour les startups françaises. Cette différence freine la capacité des jeunes pousses françaises à s’étendre rapidement sur les marchés internationaux et à rivaliser sur des projets de grande envergure.

« L’innovation en IA et data demande beaucoup de ressources, comme les données, la puissance de calcul et les talents. Parfois, les startups françaises sont désavantagées par rapport aux entreprises dans des pays offrant un accès plus facile au financement, aux infrastructures et aux volumes de données » affirme Gaëtan Eleouet.

« La taille du marché est également un frein majeur. Une innovation IA aux USA arrive directement sur un marché ouvert de 330 millions de personnes. Que vous démarriez à Palo Alto ou en Floride, votre force de frappe de l’autre côté de l’atlantique est immédiate » complète Matthieu Barlet.

Des initiatives existent cependant pour pallier ce manque de financement. Bpifrance, avec son programme Deep Tech, a investi près de 2,5 milliards d’euros pour soutenir des projets innovants, mais cela reste insuffisant face aux montants déployés par des entreprises comme Google ou Microsoft, qui disposent de ressources financières quasi illimitées. Le soutien gouvernemental à travers le plan France 2030, qui prévoit d’investir 4 milliards d’euros dans l’IA, est une étape importante pour améliorer la situation, mais l’enjeu reste de mobiliser des fonds privés plus massifs pour véritablement faire décoller les startups françaises à l’échelle mondiale.

« Pour asseoir le leadership de la France en matière d’intelligence artificielle, l’État va accélérer en doublant le montant des engagements de France 2030 sur l’IA, soit environ 4 milliards. 10 à 11% du plan, dans sa totalité, sera consacré à l’intelligence artificielle. Les enjeux en termes de souveraineté, de réindustrialisation, de formation sont considérables » affirme le secrétaire général pour l’investissement en charge de France 2030.

L’absence de mastodonte français, un signe de faiblesse ?

A l’étranger, des financements plus importants et une volonté des gouvernements de propulser l’IA ont permis de développer rapidement les écosystèmes de l’IA, et les collaborations avec des laboratoires de recherche. Comme le rappelle Matthieu Barlet, les USA également une démarche intégrée qui raccourcit la durée entre la découverte et sa transformation en business, sur un marché plus ouvert qu’en Europe, ce qui accélère et favorise la croissance des startups :

« En Europe, les marchés doivent être ouverts les uns après les autres. C’est un marché qui, toutefois, tend à se positionner de plus en plus intensivement. On peut notamment le remarquer avec l’exemple du mastodonte Deepl. La clé de voûte de la réussite d’une startup c’est sa vélocité et sa capacité à aller plus vite que les autres. Ce sont certainement sur ces leviers que nous devons progresser. » précise le Directeur des programmes d’Euratechnologies.

« [Personne] ne pourra nier que la France est excellemment bien représentée dans la course aux modèles de fondation de l’IA. Nous avons des pépites qui d’ailleurs mobilisent tout un écosystème d’acteurs français qui à leur tour seront les pépites de demain dans leurs propres segments de la chaîne de valeur de l’IA » conclut Bruno Bonnell. « La France a un vivier de talents formés par nos plus belles écoles et universités reconnues à l’international et sur lesquelles France 2030 mise pour une augmentation nette de formations d’excellence en IA. Les talents reviennent en France de par l’attractivité de son écosystème notamment dans le domaine des mathématiques, c’est un indicateur-socle ! L’innovation notamment en IA a cela de fabuleux en ce qu’elle peut faire émerger des géants en un rien de temps et replacer le curseur là où ça bouge. »