La région académique Île-de-France réinvente le support utilisateurs à l’ère de l’IA

François Gilles, est le directeur régional académique des systèmes d’information des académies de Paris, Créteil et Versailles, qui représentent 20% des effectifs du territoire français pour l’Education nationale. Il détaille la nécessaire transformation des logiques du support utilisateurs, en prenant pour exemple la situation à laquelle est confrontée sa DSI depuis plusieurs années.

 

Moderniser l’assistance utilisateurs avec l’IA : quelles innovations ont vraiment du sens ?
François Gilles interviendra lors du diner débat organisé par Alliancy et Easyvista jeudi 30 janvier 2025, au côté d’autres DSI et responsables du support utilisateurs. L’occasion de se projeter collectivement sur l’avenir technologique et organisationnel des services de support IT.
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À quel point le support aux utilisateurs des académies est-il un sujet chronophage pour votre DSI ?

 

Le contexte est particulier pour la DSI d’une telle région académique, depuis la réforme territoriale. Dorénavant, nous représentons 20 % du territoire français, en termes d’effectifs globaux. Ceux-ci intègrent à la fois les élèves, les enseignants et les autres agents du ministère de l’Éducation nationale. Ce périmètre implique un effet de volume important, avec des flux de demandes venant des utilisateurs qui peuvent être très conséquents. Par exemple, nous comptons 58 500 personnels administratifs, en plus de tous les enseignants (161 500, NDLR) qui, eux, ne sont pas dans des bureaux mais travaillent directement face aux élèves la plupart du temps, avec leurs propres problématiques d’usage. Un autre aspect dont nous devons absolument tenir compte, ce sont donc aussi les plages horaires spécifiques à couvrir pour répondre aux besoins de campagnes particulières auprès d’enseignants, par exemple.

Face à un tel volume, il est difficile d’absorber toutes les demandes venant des utilisateurs sur nos plateaux de centre de service. Ceux-ci sont mobilisables par téléphone ou en éditant un ticket par l’intermédiaire de notre outillage d’IT Service Management (ITSM). Notre principale problématique a donc été de développer la capacité à avoir une approche multicanal globale, qui permette aussi de répondre à l’enjeu de temporalité asynchrone relatif aux couvertures horaires.

 

Comment soulagez-vous le centre de service par rapport à cette charge ?

 

Historiquement, la première action a été de mettre à disposition des foires aux questions. Mais ce procédé est limité, par l’arborescence nécessaire pour construire les réponses et par la nécessité pour l’utilisateur de savoir précisément ce qu’il cherche pour obtenir la bonne réponse.

Ensuite, nous avons mis en service pour l’académie de Versailles un chatbot avec EasyVista, qui permet de résoudre une partie de ces problématiques grâce au fonctionnement à base de mots-clés et aux facilités permises par l’interface conversationnelle. En la matière, la limite est plutôt du côté de la structuration de l’information dans le back-office. Et des administrateurs sont nécessaires pour gérer le fonctionnement de la solution, ajouter les bons mots-clés… Le chatbot est encore loin de pouvoir fournir des réponses complètes de façon systématique. L’implication permanente demandée aux équipes ne permettait d’ailleurs pas de l’imaginer comme une solution pérenne à long terme.

Nous sommes donc passés à l’outil de « self help » de l’éditeur. Pour en tirer vraiment parti, nous avons mené une démarche d’organisation de la connaissance, afin de documenter chaque sujet utile et d’alimenter le système. Celui-ci bénéficie par exemple d’un travail effectué sur la pondération des mots-clés. Un tableau de bord permet de détecter les sujets les plus cités, la nature des demandes, etc. Ce qui permet un pilotage intéressant en dehors des canaux classiques de l’assistance utilisateur.

 

Au-delà du « centre de service », comment sont organisées vos équipes pour répondre aux demandes des utilisateurs ?

 

Intrinsèquement, l’administration des académies a des attentes importantes sur l’amélioration des usages ITSM. En matière de traitement des tickets, les besoins sont forts et la charge de travail est vraiment très importante pour les équipes. Pour autant, on ne peut pas entrer dans une logique où il faudrait démultiplier le nombre de collaborateurs en charge du traitement des tickets. J’ai donc pour le moment mis en place une « plateforme de débordement », avec des prestataires externes qui interviennent quand certains seuils de saturation sont atteints, ou sur certaines typologies de réponses à fournir. Mais dans l’absolu, l’objectif est de ne pas continuer comme cela. Nous avons besoin d’un outillage qui nous permette de massifier le support et d’automatiser. C’est essentiel pour nous et pour que les équipes IT puissent apporter plus de valeur.

 

Justement, comment voyez-vous l’avenir du support utilisateurs ?

 

Dans les mois et années à venir, le cœur de l’outillage ITSM et du help desk devra pouvoir profiter de l’IA pour proposer de mieux prendre en charge des éléments de résolution et d’organisation de l’activité. Ce sont des attentes fortes pour ces outils vis-à-vis d’un marché qui commence à promettre beaucoup en la matière. Mais aujourd’hui, je dirais que l’on est encore un peu au milieu du gué. On sait qu’un self-help pérenne devra compter sur l’intelligence artificielle, pour mieux cibler les besoins et apporter des réponses plus pertinentes au niveau conversationnel. Mais pour y parvenir le travail sur les données à mener reste très lourd et peut être de nature à bloquer de nombreuses évolutions dans les organisations.

 

À quel titre ?

 

Avec l’IA, l’un des principaux enjeux est de pouvoir s’appuyer sur une data de très grande qualité. Or, mettre les données en qualité reste difficile et chronophage pour une organisation. Pour accélérer sur le sujet, il faut pouvoir sortir des approches où l’on cherche à mettre en place une « structuration absolue » de la donnée dans le système. Il faut pouvoir aller plus vite et être plus pragmatique. En la matière, je pense que l’approche RAG (Retrieval-Augmented Generation ou génération augmentée de récupération, NDLR) de l’IA générative peut permettre d’être plus pertinente et efficace. Elle permet d’optimiser les résultats en ciblant mieux les données et en s’assurant par exemple d’avoir des informations très récentes.

Si je prends notre exemple : les académies ont une base documentaire extrêmement riche en intranet… mais les moteurs de recherche pour y accéder ont pris un coup de vieux, par rapport à ce que l’on est en droit d’attendre à l’ère de l’IA. Mais on ne peut pas se contenter de dire : appliquons un Large Language Model (LLM) type dessus. Ces intranets regroupent de nombreuses années d’informations… avec donc le risque de nourrir une IA avec des informations qui ne seraient plus pertinentes. Par exemple, l’IA ne doit pas en venir à mélanger des circulaires qui ont été publiées à des époques différentes, mais dont les traces coexisteraient encore dans le système. Nous expérimentons d’ailleurs actuellement un dispositif de ce type sur l’académie de Paris pour en évaluer tous les avantages et les limites. Il est donc indispensable de pouvoir cibler les bonnes informations. Cela passe aussi par le fait d’instaurer un travail et une relation différente avec le métier, les agents, sur le sujet. Nous devons absolument répondre à ce défi data alors que des outils comme ChatGPT ont donné l’impression qu’il n’y avait plus aucun problème d’alimentation en données pour pouvoir profiter de l’IA…

En ce sens, la dimension d’acculturation des utilisateurs est essentielle pour décharger les équipes IT. Depuis 3 ans, nous organisons par exemple un séminaire de mise en qualité des données pour le bon déroulement des processus sur le SI tout au long de l’année scolaire. L’idée est de détailler quels sont les fondamentaux pour permettre un pilotage correct ensuite.

 

Comment la relation avec les métiers peut-elle évoluer dans le bon sens en la matière ?

 

La question est plus large que la seule mise en qualité des données. Pour avoir une bonne relation avec les métiers, le préalable est évidemment de pouvoir leur proposer un point d’entrée unique pour toute discussion et canaliser ainsi les échanges. Et ce pour tous les types de demandes, pas seulement la gestion des incidents.

Dans un contexte de transformation numérique globale, la capacité à faire apparaître plus clairement les bons critères de leurs projets, à amener une caractérisation fine du besoin et une bonne compréhension des investissements nécessaires est plus que jamais essentielle. L’avantage d’avoir un canal privilégié est que lors des demandes, nous pouvons pousser à la mise en avant de certains critères, mais aussi avoir un plus haut niveau d’exigence vis-à-vis des métiers, notamment en termes de cartographie des données. Cette gouvernance autour d’un canal harmonisé est un moyen pour s’assurer que les métiers font leur part pour que les données soient fraîches et vivantes. C’est aussi ce qui nous permet de passer les bons messages aux décideurs, en termes de priorités.

 

Quels sont les messages que vous cherchez à passer en priorité aujourd’hui ?

 

En la matière, je vois notamment deux sujets connexes à la transformation du support utilisateur que nous vivons actuellement. D’abord, faire prendre conscience du défi de la protection des données alors que nous allons nourrir de plus en plus les intelligences artificielles. Nous ne pouvons pas fournir des données sensibles et non maîtrisées à des IA qui peuvent être non souveraines, non éthiques, même si le besoin d’accélération se fait sentir. Ensuite, mettre l’accent sur l’enjeu de sécurité numérique pour des systèmes qui sont de plus en plus ouverts vis-à-vis des utilisateurs : comment s’assurer que toute l’information que l’on met à disposition des utilisateurs ne soit pas réutilisée par d’autres à de mauvaises fins ? Ce sont deux points complémentaires, parce qu’ils peuvent aussi de leur côté provoquer de nombreuses frustrations chez les utilisateurs si l’on n’y fait pas attention.

 

Diner Assistance Utilisateurs Alliancy et EasyVista le 21 janvier