Sur l’IA, les États-Unis veulent creuser l’écart façon MAGA

[Edito du 24 janvier 2025] C’était à prévoir : l’intelligence artificielle n’est pas restée à la porte de l’investiture de Donald Trump comme nouveau président des États-Unis, le 20 janvier. Au milieu des dizaines de décrets exécutifs censés faire marcher (de nouveau) l’Amérique sur le chaotique chemin voulu par le nouveau locataire de la Maison-Blanche, la tech mondiale s’est surtout extasiée devant l’annonce de « Stargate ». 

 

Sur le papier, ce « projet national » pour l’IA se fait dans le plus pur style de la force de frappe américaine : 100 milliards d’investissements promis dès 2025 et jusqu’à 500 milliards durant le mandat de Trump. Cette semaine, les patrons de la tech ont boudé Davos, où s’ouvrait le Forum économique mondial, pour se presser aux côtés du nouvel homme fort de la superpuissance. Il leur rend bien. OpenAI, Oracle et SoftBank surfent sur la vague en créant une coentreprise pour s’emparer de cette future manne, construire de nouveaux data centers dédiés à l’IA et « réindustrialiser les États-Unis ». SoftBank sera le bras financier de l’initiative, son CEO Masayoshi Son prenant la présidence de l’entreprise, tandis qu’OpenAI en aura la direction opérationnelle. Microsoft, Nvidia et le britannique ARM seront aussi des « partenaires technologiques clés ». Le Texas, État trumpiste s’il en est, devrait accueillir le premier centre de données estampillé « Stargate ». 

Depuis mars 2024, la rumeur enflait sur la volonté de Microsoft et d’OpenAI de lancer un centre de données américain coûtant des milliards, pour accueillir un superordinateur composé de millions de puces IA. Des tensions entre les partenaires avaient ensuite mis en doute ce projet, dont le nom de code était déjà « Stargate ». L’arrivée de Trump au pouvoir pourrait donc l’avoir ressuscité sous une autre forme. 

Pas de quoi réjouir Elon Musk, allié de Trump mais concurrent d’OpenAI au travers de sa propre start-up xAI. Le nouvel agitateur en chef, de plus en plus extrémiste, du mouvement MAGA n’a pas résisté à mettre en doute la viabilité du projet, en annonçant savoir de « source sûre » que SoftBank n’avait tout au plus 10 milliards de dollars de sécurisés pour lancer l’initiative. 

Derrière ces détails encore flous, on perçoit surtout la volonté des États-Unis de passer un nouveau cap en matière d’avancée technologique, en se dotant des infrastructures nécessaires pour un futur où l’intelligence artificielle est annoncée comme omniprésente. Vu de la France, les montants évoqués font frémir – comme à l’époque des milliards de l’Inflation Reduction Act de Joe Biden – surtout dans un contexte où l’État français, lui, a décidé, dans le cadre de sa loi spéciale, de ne plus rien engager du tout comme nouvelle dépense, au moins jusqu’au vote d’un nouveau budget… Les Américains aussi font des coupes claires dans leur dépense publique – c’est notamment la mission d’Elon Musk – mais ils ont le loisir de s’appuyer sur leurs mastodontes du secteur privé pour prendre la relève des investissements. Les centaines de millions prévus au niveau européen font en comparaison pâle figure. De façon plus anecdotique, dans l’Hexagone, des acteurs de l’infrastructure comme Schneider Electric ou Legrand peuvent cependant espérer des retombées positives : leur cours en Bourse passait d’ailleurs dans le vert suite aux déclarations de Trump et de ses alliés. 

Si le plan porte ses fruits, il est évident que l’asymétrie va se creuser entre l’Europe et les États-Unis. La domination technologique déjà marquée par le rapport de force avec les géants outre-Atlantique pourrait prendre alors une autre dimension. D’autant plus qu’en termes géopolitiques, ce mouvement se double d’un repli de la superpuissance sur elle-même, quitte à remettre en cause des dogmes historiques comme la protection de l’OTAN ou l’intégrité territoriale d’alliés et partenaires commerciaux. Autrement dit, l’accord tacite originel de l’hégémonie américaine, l’influence économique et culturelle contre la protection, pourrait se retrouver caduc et l’Europe hériter du pire des deux mondes. 

 

 

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