Cyber Humanum Est,  simulation d’une cyberguerre

 

 

L’exercice universitaire de cyberguerre Cyber Humanum Est a pris place pour sa 5ème édition à Polytech Nancy. Deux camps et une organisation non étatique s’affrontent dans un scénario géopolitique et économique fictif, sans se laisser déstabiliser par une IA animant un réseau social où se joue une bataille d’influence. À l’issue de cet entraînement, un recrutement massif des talents cyber, rares sur le marché du travail

 

À l’entrée du campus nancéien, des étudiants, impatients, affluent vers le gymnase, valise à la main. Tous sont préparés aux trois jours d’exercice de cyberguerre prenant place du 27 au 29 janvier. Pour ces élèves de l’École des mines, de l’Université de Lorraine et de Polytech Nancy : “C’est la mise en pratique de toutes nos années d’études”, explique un Alumni diplômé en 2023. Ils déambulent entre les tentes aux motifs militaires, dans une salle de sport méconnaissable, dont le sol est recouvert d’un patchwork de moquettes colorées permettant d’étouffer les éclats de voix. À l’intérieur de ces tentes, les futurs diplômés sont regroupés autour de tables avec, chacun, un ordinateur ou deux devant eux. Entre les appareils, leurs réserves de nourritures : des packs familiaux de Kinder Bueno et des canettes d’Oasis, mais surtout des gobelets de café et des boissons énergisantes. “La réalité de l’exercice sera ce soir”, continue l’ancien étudiant en évoquant le défi de travailler malgré la fatigue. En effet, les 3 jours d’exercices comprennent 48h non-stop, avec un pic de cyberattaques à 2-3h du matin. 

 

 

Une opportunité unique de recrutement 

 

“La seule cyberguerre en France”, selon Marion Gilson, responsable du parcours 2SI de l’école, est organisée par le ministère des Armées et plus particulièrement le Commandement de la cyberdéfense (COMCYBER). L’évènement nécessite une préparation de 11 mois, avec l’aide de professionnels, dont les entreprises sont partenaires, et d’associations de hackeurs éthiques. Les militaires déambulant dans le gymnase observent le travail des étudiants pour proposer à certains des offres de stages et d’emploi à la fin du programme. L’exercice de cyberguerre est l’occasion de faire découvrir aux étudiants l’univers de l’armée et les métiers, avec un objectif plus large, celui de renforcer l’esprit de défense de la France. Le tout selon la volonté du président Macron, exprimée en 2022, à savoir mettre la France au premier rang mondial en résilience cyber. La résolution comprend un budget de 4 milliards d’euros, investis entre 2024 et 2030, et le recrutement de 1000 rares talents cyber dans l’armée d’ici à 2030. Les profils désirés, hackers éthiques, cyber combattants chargés de la protection et de la sécurisation des systèmes, linguistes et psychologues, rejoindront un effectif militaire cyber de 4500 personnes.  

 

Une organisation militarisée  

 

Alors qu’ils étaient 90 l’année dernière, ils sont désormais 115 étudiants à porter la polaire bleu canard floquée au nom de l’évènement : Cyber Humanum Est. “On a été déconnectés quand ?”, demande un étudiant, une cigarette à la main. L’immersion est totale, le brouhaha environnant des participants et des 10% de participantes concerne encore et toujours le même sujet, l’exercice en cours. L’élève en question fait partie de l’équipe Cryptotanga, une nation factice en cyberguerre avec le pays Anuméric pour décrocher un contrat dans l’état insulaire nommé malicieusement Riverchelles. Cryptotanga et Anuméric ont chacun un effectif de 50 cybercombattants, les 15 restants travaillent pour l’organisation non étatique APT54, des activistes protégeant les intérêts de Riverchelles.  

 

 

Derrière leurs ordinateurs, les étudiants de bac +3 jusqu’au bac +6 exploitent les vulnérabilités des infrastructures virtuelles et réelles des adversaires, cartographient leur environnement numérique, en notant les faiblesses de chaque équipement. Sur l’écran de certains, une page Discord est ouverte pour communiquer avec leur capitaine d’équipe, le seul autorisé à communiquer avec le staff, qui doit valider chaque cyberattaque avant son lancement. L’organisation des États est minutieuse et s’inspire du modèle militaire. Dans un pays, on retrouve 3 pôles d’attaque, la lutte informatique défensive, offensive et d’influence, qui se manifestent physiquement par la formation de 3 ilots dans les tentes. Le secteur influence a eu beaucoup de succès cette année, le personnel universitaire a même dû fournir des machines supplémentaires pour lutter contre une IA.  

 

IA l’attaque !  

 

C’est la première année que l’intelligence artificielle fait partie du challenge universitaire. Dans les vestiaires du gymnase, l’espace a été réaménagé pour faire un centre IA, 9 bureaux se sont immiscés entre les robinets et les douches, avec 16 ordinateurs en batterie. Sur l’écran de celui du capitaine Jonathan, surnommé “capitaine Bobard”, le réseau social fictif entretenu par l’IA affiche 4000 posts. “On a reproduit ce que la Russie avait fait cette année en termes de lutte informatique d’influence”, explique le capitaine Jean-Philippe. Il ajoute que l’IA a été conçue par leurs soins, en open-source.  

 

 

Puisque l’exercice est organisé par une initiative gouvernementale, le respect du droit international est essentiel. Alors, si l’espionnage est autorisé, être vu en train de franchir les frontières, des chaînes blanches et rouges séparant le complexe sportif en deux, amène les malicieux tout droit à la case prison. 15 min assis sur une chaise, gardée par des étudiants en uniforme militaire patrouillant avec des fausses armes rouges. Parmi les interdictions, attaquer les infrastructures nationales est proscrit, tout comme les fake news et l’intervention dans les affaires des autres états. Le personnel de l’école surveille donc les agissements des États, en se baladant dans le gymnase avec leurs polaires grises, ou via un écran de surveillance diffusant les scènes en direct et ce, jusqu’à la fin de l’exercice le 29 janvier à 17h. Des informations essentielles pour une juste remise de prix le 31 janvier.