Lionel Chaine est directeur des systèmes d’information de Bpifrance depuis juin 2020. L’établissement public, qui accompagne les entreprises de l’amorçage jusqu’à la cotation en bourse, du crédit aux fonds propres, s’appuie sur une DSI de 1 500 personnes, dont 380 collaborateurs internes (tech leaders, développeurs…), le reste étant composé de prestataires externes. Un environnement résolument agile où il faut savoir développer avec les derniers IDE à base d’IA…
« Pour préparer le monde de demain, le secteur public sait-il séduire les développeurs ? »
réalisée en amont de l’édition 2025 du Master Dev France, dont Alliancy est partenaire. Vous souhaitez témoigner de votre expérience sur la question ?
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Tout d’abord, chez Bpifrance, quels sont vos besoins en matière de développement ? Quels postes sont ouverts en ce moment par exemple et pour répondre à quelle demande spécifique ?
Nous avons commencé par recruter un certain nombre de product owners dans le cadre du framework agile à l’échelle Scaled Agile Framework (« SAFe ») que j’ai mis en place à mon arrivée en juin 2020. Aujourd’hui, nous embauchons beaucoup de développeurs capables de travailler dans des environnements de développement intégré (IDE) où l’IA est de plus en plus présente. En « augmentant » les talents de ces jeunes diplômés à l’aide de GitHub Copilot et en les faisant travailler avec des tech leads, chargés de les encadrer, on obtient des résultats intéressants. Que ce soit en matière d’efficacité, de vélocité et de productivité. Pour ces embauches, nous privilégions les profils Bac+5 car la fonction développement va évoluer et nous voulons des collaborateurs en mesure de s’adapter facilement et vite et d’être multitâches aussi.
Quels types d’IDE utilisez-vous ?
En plus de GitHub Copilot, nous avons nos propres LLM embarqués qui nous permettent de faire du code. Nous apprécions beaucoup Mistral AI et nos équipiers disposent de métabots où ils peuvent demander à travailler avec Mistral, OpenAI. Nous leur laissons le choix. Mais, in fine, cela se termine dans GitHub Copilot. Dans le développement, comme dans d’autres domaines, il faudra des IDE multi-LLM.
Vous recrutez au sein de quelles écoles ?
Des établissements comme Epita et Epitech forment bien au développement. Leurs diplômés sont des ingénieurs polyvalents qui ont de la capacité à conceptualiser tout en ayant de bonnes bases en matière d’éthique et de savoir-être en entreprise.
Sur quels projets ont-ils l’opportunité de travailler ?
Tout est centré et fait pour répondre aux besoins spécifiques des entrepreneurs auxquels s’adresse Bpifrance. Nous leur apportons une boîte à outils très large avec nos 26 métiers en interne. Par exemple, peu de gens savent que nous sommes le plus gros organisme de formation avec 11 000 formations délivrées chaque année aux entrepreneurs. Nous sommes aussi la première FinTech auprès de laquelle ils peuvent obtenir des prêts d’honneur. Au sein de la DSI, nos développeurs vont par exemple concevoir un parcours full digital très fluide qui permettra à un entrepreneur de demander un prêt (pour de petits montants souvent). Sur des prêts plus significatifs, gérés par nos 49 implantations en régions, nous pouvons être amenés à développer des outils de relations clients phygitaux. Autre exemple, grâce à l’assurance-export, nous aidons les entrepreneurs à exporter avec souvent de très gros contrats à la clé avec des clauses très particulières. Tout cela nécessite beaucoup d’informatique, de données, de développement et de compréhension du risque. Le cœur de notre savoir-faire, c’est finalement la data qui va aider à prendre la bonne décision.
Qu’est-ce qu’un bon profil de développeur et senior ? Que doivent-ils absolument maîtriser ?
En dehors des hard skills évoquées, il faut que nos développeurs, entre autres, aient un mindset agile et sachent travailler en équipe. Le monde évolue et nous savons qu’ils ne développeront pas demain comme ils le font aujourd’hui. Nous voulons des individus curieux de tout, qui aiment le changement et recherchent la nouveauté. Être dans le « time-to-market » est décisif. Si on nous soumet un problème (PGE, énergie, taux d’intérêt à la hausse, etc.), il faut aider à le résoudre. Aujourd’hui, quand on recrute des développeurs, nous leur faisons passer des coding games. S’ils ne maîtrisent pas l’IA, c’est souvent éliminatoire.
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Quelles sont les attentes des juniors et des seniors vis-à-vis de Bpifrance en tant qu’employeur ?
Les jeunes que nous recrutons veulent de beaux projets qui aient du sens. Je les appelle la « génération authentique » car ils veulent qu’on leur dise la vérité sur leurs performances. Ils sont preneurs de beaucoup de feedback. Ils détestent la langue de bois. Les tech leads, aux profils seniors, eux, veulent de très beaux projets, des enjeux métiers forts et la possibilité d’utiliser les technologies qu’ils aiment. Dans certains cas, il faut sélectionner les technologies ad hoc qui attireront les bons profils. Enfin, le talent attire le talent car, en général, nos collaborateurs veulent travailler dans des équipes performantes.
En tant qu’employeur, nous avons aussi beaucoup travaillé le sens et les valeurs associées à la partie développement. Une bonne façon de nous connaître et de mieux comprendre le travail de la DSI est de consulter le site que nous avons créé pour présenter la team Tech de Bpifrance. Les équipiers rédigent des articles très « tech », très opérationnels. Ils font des compétitions de codage aussi. Il y a une vraie fierté de leur part à partager ce qu’ils font. C’est en tout cas un bon moyen de se faire connaître en interne et en externe et de développer un sentiment de fierté et d’appartenance.
Le secteur public met-il assez en avant sa capacité d’innovation pour attirer et retenir les talents ?
Les acteurs publics n’ont pas à rougir d’une comparaison avec ceux du secteur privé. Il y a de l’innovation partout, que l’on parle des services publics, des territoires ou des grandes administrations. Regardez la direction générale des finances publiques par exemple. Il y a pléthore d’outils de communication pour faire passer vos valeurs et projets auprès d’une large cible professionnelle (ex : LinkedIn). Chez Bpifrance, nous investissons beaucoup avec la Banque du Climat pour aider les entreprises à se décarboner. Cela attire les jeunes, les bons profils de façon irréfutable. Nous avons aussi la chance d’avoir de bons laboratoires et des cursus de formation de qualité avec un monde académique (CNRS, INRIA) et des ESN qui irriguent cette recherche publique.
Comment gérez-vous les effets de la crise des finances publics sur vos budgets de recrutement pour 2025 ?
Face aux défis budgétaires, nous nous devons d’être plus performants, comme n’importe quelle entreprise. Travailler sous contraintes cultive aussi la capacité d’innovation. En utilisant les bonnes technologies, on peut gagner en productivité quand on développe. Il faut prendre un peu plus de risques, être moins conservateurs dans nos choix, je trouve cela plutôt motivant et positif au fond. Cela nous oblige à simplifier et à cultiver ce que j’appelle la « frugagilité ». Dans les applications, il y a près de 75% des fonctionnalités développées qui ne sont quasiment pas utilisées. Or, ce qui compte, en méthode agile, c’est d’assurer le Minimal Viable Product (MVP). On arrive ainsi à se focaliser sur l’essentiel et à être finalement plus performant.