« Osez les métiers du numérique ! », c’est le nom de la rencontre organisée par la Banque de France et l’Académie de Paris le 12 mars, avec l’objectif de sensibiliser collégiens et collégiennes à la diversité des métiers du numérique et aux opportunités qu’ils représentent. La nouvelle directrice générale du système d’information de l’institution, Valérie Fasquelle, revient pour Alliancy sur cet évènement, les enjeux liés à la féminisation des DSI et les chantiers actuels qui attirent les talents du numérique à la Banque de France.
Pourquoi avoir ouvert les portes de la Banque de France aux collégiens ce 12 mars ?
Pour qu’ils puissent rencontrer des rôles modèles, qui exercent en particulier des métiers du numérique, que ce soit en IA, en cybersécurité, au niveau des réseaux… Et nous en profitons pour mettre en avant l’innovation et la sobriété numérique. C’est la 3e édition de cette initiative que nous organisons avec l’académie de Paris. Cette journée nous permet de casser des stéréotypes sur ce qu’est l’informatique aujourd’hui. Pour des collégiens, le numérique passe souvent pour un sujet de « garçons forts en math ». Nous voulons au contraire montrer que ces métiers sont très protéiformes, en les faisant participer à des jeux éducatifs autour de la Fresque de l’Équilibre Harmonieux, afin de déconstruire les idées reçues à travers une enquête dont ils sont acteurs. Cela permet d’arriver jusqu’à la question de la place des femmes dans nos métiers, en s’appuyant sur nos expertes et experts internes. D’où ce thème global de la journée : « Osez le numérique ».
Pourquoi une initiative auprès des collégiens, plutôt que des lycéens ou d’étudiants du supérieur ?
Nous préférons agir auprès des collégiens, car ils ne savent pas encore ce qu’ils veulent faire professionnellement plus tard. Pour autant, ils sont entourés de stéréotypes, que ce soit au sein de leur famille ou sur les réseaux sociaux. C’est donc le bon moment pour ouvrir leur champ des possibles. Il faut qu’ils puissent apprendre à se questionner. C’est un moment clé pour développer leur curiosité, car plus tard, il y aura des injonctions du système scolaire pour prendre des orientations, et ils pourront donc ouvrir un peu plus leur champ des possibles, en étant moins figés dans des interdictions qu’ils se poseraient eux-mêmes.
La Banque de France est-elle un bon exemple en matière de parité au sein de ses métiers IT ?
Nous atteignons presque 40 % de femmes en moyenne au sein de nos équipes numériques, mais force est de reconnaître que ce chiffre varie selon les métiers. Il n’y a pas de cause perdue : nous avons par exemple remarqué des pourcentages de recrutement féminin en nette augmentation concernant les métiers de la data. Le taux n’était que de 22 % des recrutements en 2022, mais près de 60 % en 2023 ! C’est un effort constant à produire année après année, car de tels chiffres peuvent vite chuter de nouveau. Nous nous assurons donc de mieux communiquer en amont pour l’orientation des jeunes femmes, afin qu’elles se reconnaissent le plus possible dans nos offres d’emploi. Par ailleurs, notre programme d’alternance nous permet aussi de leur donner une meilleure idée de ce qui peut leur plaire. Enfin, nous travaillons avec des associations comme Femmes@Numérique pour toucher également des profils plus seniors.
À quoi faut-il faire attention pour mieux recruter des femmes dans les métiers IT ?
Chaque entreprise doit porter une plus grande attention à la façon dont sont rédigées ses offres d’emploi. Mais il est nécessaire d’avoir plus largement une vigilance sur le fait d’offrir un cadre propice à la parité, que ce soit au niveau de l’entreprise elle-même ou de son écosystème. Sociologiquement, les femmes sont très attachées à la question de la légitimité, qui dans notre modèle social est très conditionnée à l’expertise. Or, elles questionnent beaucoup plus leur expertise que les hommes. Cela veut dire qu’il faut agir pour déconstruire ce modèle : faire comprendre que la légitimité ne vient pas seulement de l’expertise, et que c’est aussi un sujet de posture face à l’incertain, d’audace, de valorisation de son intuition… Bref, de soft skills qui vont également peser face aux hard skills. L’employeur doit agir en ce sens pour incarner cette réalité. D’autant que la question de la parité dans les métiers du numérique touche toutes les organisations, alors qu’ils sont des leviers de transformation pour le fonctionnement interne, mais aussi face aux défis climatiques, économiques, géopolitiques… D’un point de vue sociologique toujours, la diversité des perspectives est très importante au sein des équipes, pour parvenir à résoudre des problèmes aussi complexes.
La démocratisation de l’intelligence artificielle facilite-t-elle le fait de passer ces messages dès le plus jeune âge aux futurs professionnels ?
L’IA devient effectivement un très bon sujet d’expérience pour expliquer l’intérêt qu’il y a à ce que les métiers du numérique soient les plus paritaires possibles. Nous constatons que la place des femmes dans le traitement de la donnée est très inférieure à celle des hommes : cela fait apparaître facilement aux yeux de tous les biais de genre, la reproduction des stéréotypes, la création de distorsions de la représentation de la réalité… C’est une manière de montrer que ce que l’on peut consulter chaque jour sur les réseaux sociaux, souvent très tôt dans sa vie, est largement influencé par la manière dont la technologie est construite. Quand on montre à des collégiens que 88 % des algorithmes d’intelligence artificielle sont créés par des hommes et reproduisent donc leur façon de voir le monde, cela les marque.
Vous êtes l’une des premières organisations françaises à avoir reçu le label GEE IS (Gender Equality European & International Standard), pour votre démarche d’IA inclusive, luttant contre les biais et la discrimination. Est-ce que cela pèse pour faciliter vos recrutements ?
C’est un des points qui contribue à ce que le regard sur la Banque de France soit différent. Mais ce n’est pas une fin en soi. Cela nous a surtout permis de structurer différemment notre approche dans les projets, en nous obligeant à questionner notre framework méthodologique… Cela nous a obligés à déconstruire notre façon de travailler. Mais ce n’était pas un enjeu de communication en tant que tel. Cependant, cela permet de montrer aux acteurs du secteur financier qu’il y a un intérêt à aller sur ce genre de démarche, alors qu’historiquement la Finance a été aussi un univers particulièrement masculin.
Quels sont vos projets 2025-2026 les plus séduisants pour recruter ?
Les projets d’intelligence artificielle aiguisent l’intérêt, sans surprise. Nous avons une stratégie en deux volets. D’abord avec de l’IA « généraliste » déployable auprès de tous les métiers : fonctions de résumé, de traduction, de speech to text… C’est une logique assez commune d’intégration dans l’environnement de travail. Mais en parallèle, nous pouvons mettre en avant des cas d’usages très spécifiques à nos métiers. Typiquement, les contrôleurs bancaires de l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, rattachée à la Banque de France, NDLR) passent une part importante de leur temps à synthétiser beaucoup de documentation, ils peuvent donc profiter d’un outil IA pour accélérer leurs usages. De même, sur la lutte anti-blanchiment, nos processus habituels se traduisent par un taux de faux positifs importants, l’IA nous aide donc à les réduire. Autre exemple : dans la préparation des dossiers de surendettement, nous avons aussi un besoin de faciliter l’accompagnement, pour répondre aux questions des personnes concernées. Ces cas sont en phase d’expérimentation, en utilisant parfois des outils du marché et parfois des outils que nous avons développés nous-mêmes. Notre objectif en 2025 est de voir si l’IA tient bien ses promesses sur ces cas d’usages métiers précis. Nous avons demandé à nos métiers de définir les conditions d’une mise en production à l’échelle : comment chiffrent-ils les gains concrets à obtenir avant de dire que le jeu de l’IA en vaut la chandelle ? Mi-2025, nous prendrons en fonction la décision de l’industrialisation ou non.
Quid de la sensibilité des données manipulées ?
C’est un aspect clé. Notre stratégie IA se double d’une stratégie data très claire : à partir du moment où l’on a ne serait-ce qu’une part de confidentialité, le projet exclut de faire appel à du cloud public. Il y aura une infrastructure interne à nos data centers pour héberger ces données. Le cas du contrôleur bancaire par exemple, ce sont très largement des données confidentielles, donc, un hébergement interne. On retrouve avec cette réflexion un enjeu plus global : celui de la souveraineté de nos données et des infrastructures qui permettent d’en assurer le traitement. Nous avons en ce sens un programme dédié en termes de stratégie technique, qui est basé sur le développement de notre cloud interne pour y adosser des solutions cloudifiées hébergeant des données confidentielles. C’est d’ailleurs notre enjeu majeur en 2025 au-delà de l’IA stricto sensu : comment « cloudifier » la partie confidentielle de notre SI. Les données publiques ne représentent sans doute que 15 % de notre système. Nous devons donc trouver les moyens de simplifier et d’automatiser le reste, sans recourir au SaaS ou au cloud public, tout en allant chercher les mêmes avantages.
Votre laboratoire d’innovation est-il un autre argument pour convaincre les talents ?
Il porte en effet la coordination transversale sur les sujets à fort impact comme l’IA. C’est aussi à son niveau que nous avons deux autres axes technologiques clés qui intéressent. D’abord, la blockchain, car depuis 2020 nous travaillons sur la monnaie numérique de banque centrale. Ensuite, la cryptographie post-quantique. Depuis 2022 nous avons un programme permettant d’expérimenter cette nouvelle cryptographie, résiliente à la menace quantique. Nous avons commencé par l’expérimenter sur les communications entre nos datacenters, mais depuis l’an dernier nous la testons aussi avec des tiers, en Allemagne ou à Singapour, notamment pour évaluer la pertinence des algorithmes hybrides. Aujourd’hui, nous encourageons tous les acteurs financiers à inventorier leurs algorithmes conventionnels pour réfléchir à la façon dont ils pourront les panacher avec les nouveaux algorithmes résistant à l’ère post-quantique.