A l’écoute du terrain : comment la SNCF transforme l’assistance aux 170 000 utilisateurs de ses SI

 

Frédéric Payen, à la tête de la Direction des services numériques aux utilisateurs de la SNCF, partage les transformations qu’a récemment vécues l’entreprise en termes de support informatique à ses agents. Il analyse en particulier l’impact que l’intelligence artificielle pourrait avoir sur ses services.

 

 

Que représente la Direction des services numériques aux utilisateurs au sein de la SNCF ?

 

Elle a en charge tout l’environnement « digital workplace » de la SNCF : la bureautique, la téléphonie, et donc par extension, l’assistance aux utilisateurs du niveau 1 jusqu’au niveau 3, avec les expertises associées. Nous sommes au service de 170 000 utilisateurs pour un total de 100 000 ordinateurs et plus de 150 000 terminaux mobiles.

La principale caractéristique de cette direction reste un ancrage territorial très fort. Nous avons 27 agences territoriales qui desservent 3 000 points physiques d’intervention. Mais en parallèle, les métiers de la SNCF sont tous très numérisés : ils reposent sur beaucoup d’applications, d’usages de smartphones… Cela amène une complexité assez forte des espaces de travail numérique, avec une flotte variée de terminaux à prendre en compte

 

 

Quelles sont les tendances technologiques qui ont eu le plus d’impact sur l’assistance aux utilisateurs ces dernières années ?

 

Les socles techniques ont très profondément évolué ces dernières années, avec des implications en cascade. Les applications sont aujourd’hui de plus en plus déportées dans le cloud, avec des ordinateurs plus standardisés. À terme, cela devrait amener plus de simplification dans la gestion des terminaux, mais ce n’est pas encore complètement le cas. L’autre grande tendance à laquelle nous sommes confrontés, c’est celle de l’automatisation, notamment dans la gestion de la demande, l’accès au catalogue de services, le provisioning des terminaux… Cela a amené plus de fluidité, mais il reste encore beaucoup de travail pour adapter cette automatisation à la gestion des incidents elle-même, qui reste une part centrale de l’assistance aux utilisateurs.

 

Concrètement, quels sont vos partis pris organisationnels pour garantir la satisfaction des utilisateurs ?

 

Notre assistance de niveau 1 est externalisée, mais celle de niveau 2 est interne, ce qui nous permet de travailler sur la posture de proximité des agents. C’est en effet sur les contacts en local qu’il va y avoir une attente forte au niveau de la perception de la qualité de l’assistance. Pour améliorer cet effet de proximité, nous avons lancé des sessions de reconversions en interne, pour intégrer des collaborateurs venant directement des métiers, vers ce niveau 2. Nous proposons un véritable cursus de formation pour que l’agent devienne un technicien administrateur de bureautique. Depuis deux ans, cette initiative donne des perspectives différentes aux agents sur les métiers de l’assistance aux utilisateurs. Et nous voyons les résultats ! Nous sommes passés de 80 % à 92 % d’utilisateurs satisfaits grâce à ces mesures. Le meilleur contact et la simplification des processus ont été les premiers leviers d’amélioration.

 

Autrement dit, il s’agit avant tout d’écouter le terrain ?

 

Oui. Les agents qui sont dans l’organisation locale appartiennent à la même structure que ceux qui utilisent le service ; ils se côtoient et se comprennent mieux. Nous avons appliqué la logique du « you build it, you run it » et mis en œuvre une chaîne de communication qui va dans les deux sens. Ainsi, la présentation des nouveaux services aux agents locaux s’accompagne aussi de facilités pour qu’ils nous fassent des remontées. Avant 2022, nous avions encore des personnes en ingénierie qui ne parlaient pas forcément aux acteurs locaux. Aujourd’hui, nous avons une courroie d’entraînement direct qui profite d’une forte proximité dans les mêmes entités. Nous poussons aussi au maximum à l’accompagnement numérique dans le territoire. Nous multiplions les accompagnements en local auprès des utilisateurs pour qu’ils puissent venir nous poser des questions directement. Pour un coût marginal, il est ainsi possible d’anticiper de nombreux problèmes et, plus tard, des allers-retours en gestion d’incidents. Dans le même ordre d’idée, nous souhaitons développer le self-care, pour qu’il s’intègre à notre offre de services de proximité.

 

Quel regard portez-vous sur les apports de l’IA en matière de support aux utilisateurs ?

 

De manière générale, l’intelligence artificielle interroge les approches d’omnicanalité. Autrement dit, à quel moment faut-il de l’IA générative… et à quel moment faut-il un humain ? Nous avons déjà un chatbot qui donne de bons résultats, mais nous comptons sur l’IA générative pour les améliorer encore, avec une mise en œuvre d’ici fin 2025. L’objectif est d’articuler au plus juste la bascule vers l’interlocuteur humain quand cela est nécessaire. Nous allons ainsi vers « l’agent augmenté », en fournissant des outils IA à nos propres collaborateurs, ce qui permettra de traiter plus facilement les incidents ou les tickets. Un axe que je souhaite développer est donc d’avoir un bon vernis de compréhension de ces outils au sein de la direction des services numériques : faire en sorte que nos agents ne soient pas dépassés par les usages des utilisateurs. Il ne s’agit pas d’avoir des experts IA partout, mais d’avoir les bonnes références en tête lors des échanges.

Là où l’IA va jouer le plus, ce sera certainement sur le niveau 1 dans les années à venir. Elle ne fera pas forcément baisser le nombre d’incidents, mais elle va permettre de passer ce cap qui nous manque en matière d’automatisation des réponses et pour faciliter l’accès aux bonnes informations. Pour le niveau 2, en complément, nous chercherons plutôt à cultiver la proximité et le local, comme je le disais précédemment. Tout le monde n’est pas à l’aise avec un ChatGPT, il nous faut donc veiller à proposer des réponses à tous les types d’utilisateurs, y compris ceux qui peuvent souffrir d’illectronisme. À terme, on peut également imaginer que l’IA va nous aider à augmenter l’amplitude de l’ouverture des services d’assistance, faciliter les prises de rendez-vous ou la mise en place de systèmes de casiers pour simplifier le dépôt et la récupération de terminaux demandant une intervention. Au-delà de l’IA générative sous la forme de chatbot, il va donc y avoir beaucoup de changements.

 

Quelles sont vos attentes vis-à-vis des acteurs du marché et de l’évolution de leurs offres en la matière ?

 

Les annonces sur l’IA et l’IA générative en particulier se multiplient et le marché de l’ITSM va clairement évoluer dans les prochaines années. La question va être surtout, comment éviter le dédoublement ou le chevauchement entre ce que l’on va vouloir développer nous-mêmes, et ce qui sera embarqué dans les outils du marché ? Beaucoup de fournisseurs hésitent encore sur les périmètres à adresser : il va donc falloir voir l’impact réel pour les utilisateurs, la réalité opérationnelle et l’intégration omnicanale qui est par nature complexe. Un autre sujet clé sera le modèle d’affaires associé. Nous ferons attention aux chiffres… mais aussi à la capacité des éditeurs de nous expliquer comment ces innovations vont s’intégrer à l’existant. Je ne cherche pas à ce que l’on me vante du ROI, j’attends un discours de vérité sur la qualité d’intégration et la capacité à éviter la « customisation », et les pièges qui amènent à ne plus maîtriser ses propres données. Les acteurs du marché doivent nous garantir de l’autonomie, de l’interopérabilité, de la simplicité.

 

Photo : La gare de Bordeaux Saint-Jean – SNCF RESEAUX – AURORE BARON