A la demande de l’Institut de l’Entreprise, le sociologue Denis Monneuse a passé en revue les systèmes collaboratifs mis en œuvre dans les entreprises. Son constat est mitigé : DRH et directions générales nagent entre mythes et réalités.
Propos recueillis par Yves Aoulou
Alliancy, le mag. La prolifération de supports IT dans les entreprises favorise- t-elle vraiment le travail collaboratif ?
Denis Monneuse. Le développement des outils collaboratifs permet aux entreprises, qui avaient déjà une culture managériale tournée vers le partage des expériences et des pratiques, d’améliorer leurs performances. Les entreprises totalement connectées sont celles qui tirent le meilleur parti du partage de l’information. Il faut un terreau aux nouvelles technologies : la culture de la collaboration. Or, celle-ci n’est présente que dans une minorité d’entreprises. Quels que soient les investissements consentis et l’efficacité théorique des outils, les résultats resteront décevants si les investissements ne s’accompagnent pas d’une implication forte de la direction générale et du management, à tous les niveaux.
L’utilisation de ces outils varie donc fortement d’une entreprise à l’autre…
Tout à fait, mais aussi d’un métier ou d’un service à l’autre, au sein d’une même entreprise. L’orientation dépend du sponsor principal d’un dispositif donné. Il peut être le DRH, le DSI, le directeur de la communication interne ou, carrément, la direction générale. Par exemple, Lafarge a lancé d’un côté une plate-forme de knowledge management qui sert de lieu d’échange des bonnes pratiques et des documents de référence, de l’autre, un réseau social d’entreprise plus tourné vers le partage d’informations transversales. Dans tous les cas, l’impact doit être mesuré à long terme. A l’attrait de la nouveauté, peut succéder la désaffection.
Y a-t-il des freins à la diffusion de ces outils ?
La diversité des obstacles reste frappante. Concernant les réseaux sociaux d’entreprise, apparaît en premier lieu la crainte d’une exploitation des informations personnelles et d’être évalué, jugé ou surveillé en fonction de sa participation. Arrive ensuite la méconnaissance des outils eux-mêmes, ou de leur valeur ajoutée. Il y a, chez certains collaborateurs, une réticence à partager des connaissances. Intervient enfin la peur du changement. Malgré tout cela, les outils collaboratifs fonctionnent plutôt bien, lorsqu’ils sont déployés dans des conditions favorables. L’aversion aux nouvelles technologies reste marginale, comme le confirme une récente enquête de l’Inria de novembre 2011 : 71 % des Français se disent curieux par rapport au numérique et 57 % sont enthousiastes. Selon un sondage de Microsoft, les deux tiers des salariés aiment utiliser les nouvelles technologies qui les aident à gagner en productivité. Enfin, un comparatif de Deloitte confirme que les utilisateurs français estiment, plus que leurs homologues européens, que les outils collaboratifs améliorent leur vie au travail, à la fois en termes de productivité et de qualité de communication.
N’y a-t-il pas une contradiction entre la volonté de favoriser les démarches participatives et le maintien de politique de rémunération et reconnaissance individuelles ?
Il faut s’interroger sur les moyens mis en œuvre pour changer les réflexes individualistes. La montée en puissance du collaboratif, mais aussi la complexité des organisations impliqueront inévitablement une remise en cause des règles de reconnaissance actuelle. A l’avenir, les entreprises seront amenées à lier plus fortement les parts variables de rémunération à la réussite, ou non, de projets gérés collectivement. De même, les managers de proximité pourraient être, bien plus qu’aujourd’hui, évalués sur la base des performances de leur équipe, autant que sur leurs propres résultats. Tout cela nécessitera des outils sophistiqués.
*Directeur du cabinet Poil à Gratter, intervenant à l’Institut de l’Entreprise et chercheur associé à l’IAE de Paris. Il a publié « Le silence des cadres, enquête sur un malaise », éditions Vuibert (2014).