L’économie nantaise, imprégnée de numérique

Halles-Alstom-Nantes-article

les anciennes halles Alstom réhabilitées hébergeront, à l’horizon 2017, un pôle d’excellence métropolitaine dans le champ des industries culturelles et créatives.

Place forte des grandes sociétés de services informatiques et terreau fertile en start-up, l’agglomération compte 19 000 emplois dans le numérique. L’ambition est de doubler ce chiffre d’ici à dix ans avec la diffusion de ces technologies à tous les étages de l’économie : industrie, santé, secteur créatif…

Emmanuel Guimard, à Nantes

Stereolux, le temple nantais du rock, devient chaque année, en juin, l’antre des technophiles, en bermuda ou costume strict. C’est le temps du Web2day, festival du numérique et de l’innovation, désormais considéré comme le deuxième évènement du Web français avec 130 intervenants, 1 850 participants, 14 000 mentions sur les réseaux sociaux, des « talks » de Google, Twitter, Pinterest ou LinkedIn… L’ampleur prise par l’événement reflète l’effervescence du monde numérique nantais. « Notre référence est le South by Southwest (SXSW) d’Austin, très orienté start-up », note Adrien Poggetti, délégué général d’Atlantic 2.0, organisateur de l’événement. Cette association, basée dans la Cantine numérique de Nantes, a bien prospéré en cinq ans, réunissant 250 sociétés et acteurs du secteur, avec une forte représentation dans les logiciels et techniques liées au e-commerce. « Ces entreprises représentent près ScreenHunter_26 Nov. 07 10.32de 4 500 emplois », estime le délégué, qui décrit l’éclosion d’une nouvelle génération d’entreprises nantaise du Web, « des porteurs de projets de plus en plus solides et cadrés. » En tête de gondole, on trouve, entre autres, Lengow et iAdvize, les nouvelles stars du e-commerce.

Un vivier loin de se tarir

La première, née en 2009, emploie déjà 75 salariés (dont 50 à Nantes) et devrait passer de 4 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2013 à 6 ou 7 millions cette année. Lengow a eu le génie d’inventer une solution qui relie en temps réel les sites web marchands aux grandes plates-formes d’audience ou places de marché, comme Amazon, Rueducommerce et d’autres. Quant à iAdvize, également fondée par des trentenaires, elle est lancée sur une croissance à trois chiffres grâce à une offre inédite permettant aux sites marchands d’intervenir en temps réel auprès des clients nécessitant une assistance, et cela grâce à « un moteur de ciblage comportemental ».

Le vivier de start-up est loin de se tarir. Chaque année, les postulants se bousculent à la Start-up Factory, qui sélectionne une poignée de projets émergents pour mieux les accompagner. C’est Atlantic 2.0. et Atlanpole, la technopole nantaise, qui mènent l’opération. Jean-François Balducchi, son délégué général, décrit une filière des plus composites, « même si tout le monde se parle et se rencontre ». Le dirigeant distingue plusieurs variétés d’entreprises : « celles issues de la recherche, du génie logiciel et des algorithmes, et celles venant de l’innovation d’usage sur le web », dont Lengow et iAdvize font partie.

Dans cette génération Internet, se distingue Doyoubuzz, plate-forme de CV en ligne, mais aussi Direct Optic, l’un des acteurs montant dans la distribution de lunettes en ligne, ou Akeneo, une solution ergonomique, open source, de gestion des données de gros catalogues pour les e-commerçants. « Ces innovations d’usage, ces business models innovants sont évidemment porteurs de développement, de briques technologiques », précise Jean-François Balducchi.

Côté « techno dures », il cite Obéo, éditeur de solutions open source pour les systèmes d’information complexes ou, encore, Dictanova. Spécialisée dans la collecte et l’analyse des discussions sur Internet, cette entreprise de douze personnes s’apprête à lancer une interface utilisateurs accessible sur le Web, un outil élaboré sur une cascade de quarante algorithmes traitant la langue française, y compris les fautes, pour analyser tout ce qui se dit sur le Web et les réseaux sociaux à partir d’un nom. Une anecdote a rendu la PME célèbre : en décembre 2012, à l’écoute des réseaux, elle avait déterminé avant les résultats offi- ciels l’identité de la nouvelle Miss France.

L’industrie locale stimule

La construction navale, point fort de l’industrie locale, inspire aussi la création d’entreprises innovantes, dont Hydrocéan, éditeur de logiciels pour la conception navale, ou Innosea, née au sein de l’Ecole centrale, qui développe des outils de calculs pour la simulation dans les énergies marines renouvelables. Atlanpole voit également émerger de nouveaux acteurs, au carrefour du numérique et de la santé, « dans l’analyse des données biologiques, génétiques, environnementales ou nutritionnelles, et leur comparaison avec des cohortes », explique Jean-François Balducchi. Nous sommes dans la donnée de masse, le big data. Les connexions entre les pôles de compétitivité Atlanpole Biothérapies et Images & Réseaux jouent pleinement leur rôle. Keozys, éditeur de logiciels pour l’imagerie médicale fait partie des pionniers dans le numérique dédié à la santé. Généralement ces perles du numérique ne tardent pas à se déployer à l’international. Dans d’autres cas, c’est l’international qui vient à elles. Investisseurs et groupes de portée mondiale savent faire leur marché parmi les pépites nantaises. On a ainsi vu Vision Objects, spécialiste de la reconnaissance manuscrite de l’écriture, passer aux mains du fonds américain Doubleday Holdings. Cofluent Design, spécialiste de la modélisation des systèmes électroniques, a été reprise par Intel en 2009.

Plus récemment, c’est Tactads qui a racheté le New-Yorkais Mediamath. Cette jeune société disposait d’un « trésor » technologique : un puissant outil de suivi statistique pour l’analyse des comportements sur Internet, hors cookies et données personnelles. Selon Jean-François Balducchi, on touche là au problème crucial du financement des entreprises du numérique. « Entre les investisseurs et les mesures publiques, on peut faire démarrer les entreprises, dit-il. Les difficultés surviennent ensuite, d’autant plus que la plupart doivent se développer rapidement à l’international. »

Lengow-Froger-Peiro-nantes-article

Mickaël Froger (à gauche), président d’Atlantic 2.0 et fondateur de Lengow avec Jérémie Peiro.

Les start-up les plus technologiques naissent en général sur le solide substrat de formation et de recherche nantais, d’où sortent 1 200 diplômés par an. « Nous avons aussi besoin de ce tissu de start-up pour entraîner nos étudiants vers des applications, des problématiques complexes », souligne Pierre Cointe, directeur du Lina, le Laboratoire d’informatique Nantes Atlantique. Ce centre de recherche, qui dépend de l’université de Nantes, de l’École des mines et du CNRS a d’ailleurs engagé un processus de fusion avec l’Irccyn, le laboratoire de cybernétique qui dépend de Centrale Nantes, et aussi des Mines et de l’université. Au-delà d’une plus grande visibilité, les deux laboratoires formeraient, avec 450 chercheurs et doctorants, un continuum unique couvrant les sciences des données, les sciences du logiciel, les systèmes complexes, la robotique, la bio-informatique, et les interactions… L’informatique au sens large. C’est toute l’ambition des acteurs économiques régionaux : que le numérique s’instille dans tous les pores de l’économie. « Dans l’usine du futur, l’hôpital du futur, dans les industries culturelles et de la création avec une dimension environnementale avec les Green IT », mentionne le chercheur Francky Trichet, le « monsieur numérique » dans la nouvelle équipe muncipale. En 2017, l’usine du futur, grand projet de l’Institut de recherche technologique (IRT) Jules Verne fera la part belle au numérique. « L’informatique sera omniprésente, dans le contrôle des procédés, l’automatisation, la gestion des flux, la capacité à modéliser et à faire le lien entre le virtuel et le réel », décrit Stéphane Casserau, directeur de l’IRT. ScreenHunter_27 Nov. 07 10.32L’interdisciplinarité sera le maître mot sur le pôle de recherche universitaire de l’île de Nantes. « Nous travaillerons sur l’addiction au numérique, dit Olivier Laboux, le président de l’université de Nantes. Ce qui mettra en œuvre des sciences sociales, de la santé aux côtés des experts du numérique. » Quant aux « Green IT », concept traduisible en « internet durable… ou vertueux », l’Ecole des mines en fait son affaire. Elle vient d’accueillir une plate-forme dédiée, un Green Lab Center qui traque, dans les moindres recoins, les dépenses énergétiques inutiles dans l’univers du numérique. Six démonstrateurs sont déjà en place. « Le projet Greenspector, par exemple, vise à détecter les objets sur-consommants dans les programmes informatiques », explique Thierry Leboucq, président de Green Lab Center, qui réunit une trentaine d’acteurs.

La puissance des réseaux

Naturellement, les yeux brillent quand on parle de la French Tech. L’éléphant rose, porté en badge, symbolise l’ambition des acteurs nantais sur ce dossier. La métropole fut d’ailleurs l’une des premières à se déclarer candidate. Dès septembre 2013, la communication officielle vantait le très haut débit, le réseau de fibre optique, une politique open data et une filière forte de… 19 200 emplois dans 1 421 établissements publics et privés, associations et réseaux, soit 7,4 % des emplois de Nantes métropole. Et l’ambition est de créer 20 000 emplois nouveaux dans la filière dans les dix ans. Certes, ce recensement est à prendre au sens large. Il inclut les SSII qui ont fait de Nantes leur base Grand Ouest dont GFI, Cap Gemini, Sopra Group, Proservia, récemment reprise par Manpower… A cela s’ajoutent des SSII locales de belle envergure comme Tibco, Proginov ou ASI, et un bataillon d’éditeurs spécialisés comme Vif, dans l’agroalimentaire, ou Kosmos, société de soixante salariés en forte croissance sur les environnements numériques de travail destinés aux écoles et au secteur public.

L’autre atout est la puissance des réseaux. Un annuaire serait presque nécessaire pour recenser les associations impliquées dans le numérique dont ADN Ouest, l’association des décideurs du numérique, Alliance libre, qui regroupe quarante acteurs des logiciels libres, Atlangames, le cercle des experts du jeux, ou OuestMédiaLab, fédérant vingt- cinq médias préoccupés par les enjeux du numérique. « Ce jeu collectif, essentiel, est un écosystème, où des personnes qui ont réussi peuvent en accompagner d’autres, raconter les galères et les raisons de leur succès, c’est très rassurant, note Mickaël Froger, co-fondateur de Lengow, président d’Atlantic 2.0. et ambassadeur de la French Tech. Nantes peut être la deuxième destination pour monter sa boîte en France, après Paris. Il y a, ici, un bassin financier avec des business angels, des investisseurs, beaucoup d’écoles et donc la possibilité de recruter, une qualité de vie, et ce n’est pas trop loin de Paris, ni trop cher… »

ScreenHunter_28 Nov. 07 10.32