Les NTIC ont un impact positif pour 69% des salariés. Mais le même sondage * met en évidence des excès qui génèrent des tensions. Eric Albert, psychiatre, coach et fondateur de l’Institut français d’action sur le stress (Ifas), nous donne son point de vue sur les dangers des NTIC. Et ses conseils pour mieux les apprivoiser.
Propos recueillis par Olivier Marie
Alliancy, le mag. Quel regard portez-vous sur l’usage généralisé des nouvelles techniques de communication dans l’entreprise ?
Eric Albert. Sans conteste, elles permettent une plus grande efficacité du travail. On peut traiter plus de choses, démultiplier les initiatives. Cela s’appuie sur des process plus performants. C’est donc une amélioration du fonctionnement des entreprises. Mais ces techniques ont pour conséquence de diminuer les relations interpersonnelles qui constituent l’entreprise. Il faut donc être vigilant dans le management des personnes. Et aussi, si vous permettez cette expression, dans le management de soi.
Vous pointez des dérives dans le management des cadres, en particulier.
Avec les outils de communication modernes, on peut être accessible tout le temps, partout et à tout moment. C’est le danger d’une captation permanente de l’individu. D’où la culpabilité des acteurs : ils ont le sentiment de n’en faire jamais assez. J’observe, chez les cadres, le sentiment d’un décalage entre ce qu’ils peuvent faire et ce qu’on leur demande.
Aujourd’hui, si on pense que quelqu’un peut faire 100, on lui demande 120. D’où le sentiment, souvent, de sacrifier les différents champs de vie, personnels et professionnels.
Vous dites qu’il faut maîtriser l’e-mail…
Le temps passé à écrire ou répondre aux e-mails est une perte de disponibilité pour des relations personnelles, y compris dans des coups de téléphone. On est plus efficace. On traite beaucoup plus de choses. Chacun peut envoyer des documents au bout du monde et donc a le sentiment d’être en relation avec la terre entière. Mais on peut être seul dans son coin, plus isolé. Et l’e-mail, en apparence rationnel, peut susciter de la tension relationnelle.
Que voulez vous dire ?
Trois choses. D’abord, l’e-mail permet d’éviter les explications : on ne se dit pas les choses clairement, on préfère les écrire. Ensuite, il donne la possibilité à celui qui envoie de démultiplier sa communication avec les pièces jointes, le nombre de destinataires, souvent excessif, et la possibilité de faire suivre. L’e-mail est quelque chose qui m’échappe quand je l’ai envoyé. Au contraire du coup de fil que je maîtrise.
Plus grave, l’e-mail peut créer de la brutalité dans les rapports sociaux. L’illusion est de croire qu’on ne fait passer que du contenu. Or on crée en retour des émotions à la mesure de ce qu’on envoie. Dans ces outils de l’immédiateté et de l’efficacité, souvent on ne prend pas les formes. C’est le contraire de la civilité : la politesse montre que la forme permet de respecter l’autre. Cela crée donc de nouvelles incivilités.
Quels conseils pratiques donneriez-vous ?
D’abord prendre conscience d’une chose : mon plus grand ennemi potentiel, c’est moi. Il y a une stimulation euphorisante du zapping : je suis piégé par ma curiosité, par mon impatience à réagir immédiatement à l’événement. Franchement, pourquoi se sent-on obligé de répondre au téléphone quand on est face à quelqu’un, alors que ce téléphone dispose d’un répondeur ?
Nous nous mettons la pression d’être disponible en permanence. Il faut apprendre à gérer nos émotions, maîtriser notre impatience, notre curiosité. Et s’imposer un cadre : s’obliger à ne pas regarder ses e-mails pendant un temps, s’interdire de répondre au téléphone en permanence. Et annoncer ces limites aux autres pour qu’ils n’attendent pas de vous cette immédiateté. En somme, un minimum d’« hygiène numérique ».
* « Les salariés et l’impact du numérique », étude TNS Sofres pour Sopra Group.
Cet article est extrait du n°2 d’Alliancy le mag – Découvrir l’intégralité du magazine