Vice-président de Salesforce, dirigeant de la division automobile du leader mondial du CRM, l’ancien numéro 2 du groupe Renault-Nissan explique sa vision de la voiture connectée.
Dans l’industrie naissante de la voiture connectée, quelle est la priorité pour les constructeurs traditionnels ?
La grande transformation à venir urgemment, avec l’arrivée des Google, Apple et autres entrants dans le secteur de l’automobile, c’est la transformation de la relation client. Tous les constructeurs fonctionnent à peu près de la même manière. Un constructeur, correctement organisé, dispose, par pays, d’une cinquantaine de bases de données avec des données « clients » et des données « véhicules ». Il faut les fusionner, les nettoyer et les simplifier ; puis les rendre opérationnelles sur n’importe quel point de contact avec le client. Cela, les systèmes actuels ne le permettent pas. Un manque qui se traduit pour le client par une expérience hachée qui fait qu’on oublie qui vous êtes si vous changez de concessionnaire. On oublie l’histoire que vous avez avec la marque…
En clair, au niveau CRM, le secteur de l’automobile est très en retard sur d’autres industries ?
Les constructeurs ont fait des choses, mais ils ne les ont pas fédérées autour de l’ensemble du parcours client. Autrement-dit, les acteurs de la garantie gèrent une chose, ceux du marketing vont gérer d’autres choses, alors qu’il faut mettre toutes ces données ensemble pour ne jamais oublier qui est votre client. Et, point très important, tout cela doit se faire un minimum avec les concessionnaires pour être mis en cohérence.
Les concessionnaires ont souvent la sensation que les marques se méfient d’eux, voire les méprisent. Comment faire ?
C’est une dispute historique fondée sur un pacte qui date des années 1930, où le client était considéré comme « appartenant » au concessionnaire. Sauf qu’aujourd’hui, si le client a un problème avec la marque, il va directement s’en plaindre par un tweet ou un autre message sur les réseaux sociaux qu’il va directement adresser à la marque. De fait, ce vieux pacte est remis en cause. Il faut donc que concessionnaires et constructeurs s’adaptent à ce nouveau monde. S’ils n’y arrivent pas, un jour prochain, Google aura plus de renseignements sur le client que le concessionnaire et la marque. Notamment, au niveau de la publicité, cela aura des conséquences disruptives qui ont fait leurs preuves dans d’autres secteurs…
On peut cependant comprendre qu’un concessionnaire ne veuille pas que son client parte chez un autre concessionnaire, même si les deux vendent la même marque...
Oui, mais s’ils ne le font pas, demain ou après-demain, Google enverra dans la voiture connectée une publicité pour le concessionnaire ou la marque qui aura payé cette publicité. Idem pour les pneus, l’assurance, l’huile ou le contrat de maintenance… Et si vous enlevez cela du business model du constructeur et du concessionnaire, cela fait un gros trou.
Que doivent-ils alors faire ?
Il y a un nouveau compromis à faire sur les données à échanger pour rendre un service adapté au client. Un client » moderne » veut que la marque le connaisse. Il veut un minimum de cohérence, qu’on lui réponde vite et pas en 24 heures. Il faut aussi le faire de manière fluide et sans effort. Quand une voiture arrive au garage, il faut être capable de poser sur la tablette du vendeur la fiche du client et connaître éventuellement ses derniers tweets concernant la marque.
Votre offre Wave* de Cloud Analytics a-t-elle été testée par des constructeurs ?
Pas encore ! Nous avons fait une application pour un grand constructeur américain afin de lui montrer la façon de l’utiliser… Mais la vraie application, faite à grande échelle, sera de mélanger des données clients et des données techniques (défaillance, usage de conduite…). Il faut pouvoir corréler les deux et y agréger l’écoute des réseaux sociaux.
Quid de la surveillance de la conduite du conducteur ?
La loi dit qu’il faut toujours que la personne qui récoltera les données obtienne l’accord du client pour le faire. Aujourd’hui, la société Octo Telematics, leader mondial dans la collecte de données automobiles pour les compagnies d’assurances, propose des applications en cas d’accidents. Les assurances achètent un boîtier connecté** sur l’OBD-II [appareil de diagnostic des dysfonctionnements moteur équipant la plupart des voitures, NDLR] et Octo leur vend des données analysées qui permettent d’évaluer l’heure, la vitesse et la direction du véhicule au moment du choc. Cela permet à la compagnie d’évaluer le coût de réparation, mais aussi d’éviter des fraudes. Et ça, c’est super simple !
Quel est l’avantage pour le conducteur ?
Il aura probablement une assurance moins chère, puisque sa compagnie n’a plus à compter la fraude dans ses coûts, mais aussi faire sauter la visite d’un expert, ce qui permet aussi plus de rapidité.
Le secteur automobile compte énormément de sous-traitants de rang 1 qui sous-traitent eux-mêmes… Salesforce envisage-t-il de travailler à l’optimisation des chaînes de production et de leur contrôle ?
On pourrait… Il y a du potentiel dans cette voie. Mais, pour l’instant, nous ne poussons pas en ce sens parce que l’on ne peut pas courir trop de lièvres à la fois.
* Accessible depuis tout type de terminaux, la solution Wave de Salesforce, capable de puiser des informations dans les applications de l’éditeur ou de sources tierces, est conçue pour être directement utilisable par les analystes comme les simples utilisateurs métiers (www.salesforce.com/analytics-cloud/overview).
** Aux Etats-Unis, tous les constructeurs doivent désormais équiper leurs véhicules de ces boîtiers d’enregistrement de données, que l’Europe pourrait également généraliser en 2015.