Depuis septembre, la SNCF s’est dotée d’un « directeur général digital et communication ». Ancien président de voyages-sncf.com, Yves Tyrode était récemment en visite au Business & Innovation Center de Montpellier pour Mobi Data LR, un concours régional de start-up soutenu par l’opérateur de transport. Sa division est dotée d’un budget de 450 millions d’euros sur trois ans.
Quel est l’intérêt d’une manifestation telle que celle-ci pour la SNCF ?
Il y a un double intérêt. Le premier, c’est d’avoir vu de nombreuses start-up en un après-midi et le deuxième, c’est que la SNCF a besoin de travailler avec elles. On ne peut pas tout faire nous-mêmes. Et la meilleure chose dans ce cas, c’est d’aller voir les autres avec d’autres codes et de voir comment nous pouvons travailler ensemble afin d’améliorer notre service. Cela peut être le service en interne comme en externe.
Concrètement, que peuvent-elles vous apporter et inversement ?
Historiquement, les grands groupes ont toujours eu beaucoup de difficultés à travailler avec les petits, et en particulier en France. Deuxième constat, la transformation digitale est une révolution. Avant, les grands faisaient des choses qu’eux-seuls pouvaient faire, parce que la taille des serveurs et la complexité de développement faisaient que les petites boîtes ne pouvaient pas suivre. Depuis trois à cinq ans, avec l’arrivée du cloud et de kits de développement hyper simples, elles peuvent tout à fait y parvenir.
Les grandes entreprises seraient donc contraintes à ces partenariats ?
Globalement, elles sont obligées de se s’interroger sur leur manière de travailler. Et l’une des questions à se poser est : « Comment je travaille différemment avec les start-up ? ». Ce peut-être aussi avec des boîtes qui sont à un niveau de développement plus avancé, mais elles ont toutes des façons de progresser beaucoup plus rapides et interactives avec le client. C’est pour cela qu’à la SNCF nous pensons industrialiser et structurer la manière dont nous allons travailler avec les start-up françaises, européennes, voire américaines.
Quelle feuille de route vous a confié le président de la SNCF, Guillaume Pépy ?
La première mission que m’a confiée Guillaume Pépy est d’accélérer la transformation digitale. La SNCF a déjà avancé avec voyages-sncf.com, iDTGV… Mais là, on veut vraiment passer au cran d’après et le faire vite à l’interne comme à l’externe.
Quelle réalité cela recouvre-t-il sur le plan interne ?
Nous avons annoncé un plan sur dix-huit mois, découpé en trois séquences de six mois. La première recouvre une dizaine d’initiatives concrètes. Par exemple : comment travailler avec les opérateurs mobiles afin d’offrir la 3G et la 4G partout sur le réseau SNCF. S’il n’y a pas de réseau, on peut toujours parler de digital pendant vingt ans, ça ne sert à rien du tout. Comment avancer avec les start-up d’une manière efficace ? Il ne suffit pas de dire je fais de l’Open Data et j’ouvre mes données. Mais, comment je les mets à disposition, avec quel protocole, quel modèle économique ? Si l’on n’investit pas sur l’animation des start-up, ça ne se fera pas spontanément. Nous mettons donc en place un système avec des API. Ce qui veut dire que les grands payeront cher, surtout les Gafa. Les petits eux sont très incités. Il y a aussi un programme pour nos partenaires, un fonds d’investissement…
Quelles données peuvent-être ouvertes ?
Ce peut être les horaires théoriques des TER ou la localisation des gares. Ces informations peuvent servir à des développeurs pour des applications qui ne sont pas forcément dédiés au train. Ce peut être, par exemple, une appli qui dirait à quelle heure quitter le bureau pour avoir une chance d’être assis dans le train. Ce peut être aussi une application, que l’on a déjà développé et qui permet de télécharger une bibliothèque digitale dans certains TER. On a commencé à travailler avec eux en Lorraine et depuis peu, en Languedoc-Roussillon [deux start-up, StoryLab Editions et Parallèles Edition participent à ce service expérimental, NDLR].
Vous comptez donc mieux organiser ces collaborations ?
Oui. On a déjà travaillé avec plus de 1 000 start-ups en France. L’animation de cet écosystème doit être structurée. De façon à dire aux uns : « On croit en vous parce que les premiers tests sont bons et on va vous aider à grossir ». Et aux autres : « Non, votre modèle économique n’est pas le bon selon nous et on arrête là ». Celles qui répondent à nos critères pourront, si elles le souhaitent, utiliser le logo de la SNCF.
Dans cette perspective, quel sera le rôle du fonds d’investissement que vous lancez ?
Doté de 30 millions d’euros sur trois ans, ce ne sera pas un fonds d’amorçage. Il y en a déjà plein. Notre fonds aidera les start-up à passer à l’échelle supérieure. Il concernera donc quelques dizaines de start-up avec des investissements ciblés.
Vous allez également créer des incubateurs ?
Oui, ils s’appelleront 574, comme notre record de vitesse. On va en mettre un peu partout en France. A Toulouse, Lyon, Nantes… mais aussi à San Francisco. Il nous en faudrait aussi un à Pékin.
Ces start-ups évolueront-elles forcément dans le monde du voyage ?
Certes, les start-up qui innovent dans le multimodal sont évidemment éligibles. Mais ce peut aussi être des entreprises qui travaillent sur des divertissements dans le train ou des technologies comme le big data. Cela peut aussi concerner tous ceux qui travaillent sur l’Internet des objets, le design, des applications « métier » ou encore la logistique.
Etes-vous prêts ?
Pas encore. Il nous faut d’abord des réseaux et équiper 80 000 agents de tablettes avec une application métier. Par exemple, dans le domaine de la surveillance du réseau, l’agent pourra prendre des photos, remplir une fiche et faire remonter le besoin immédiatement vers une base de données centralisée qui permettra d’automatiser les actions correctrices à lancer. Le deuxième cran sera d’avoir des capteurs qui remonteront directement les besoins aux agents.
Raison pour laquelle il vous faut généraliser l’accès à la 4G le long des voies… Comment voyez-vous l’évolution de vos rapports avec les opérateurs ?
Depuis le début du mois, des rames parcourent l’ensemble du réseau. Fin mars, on pourra partager avec les opérateurs et l’Arcep, l’efficience de leur couverture réseau. Si on peut les aider ensuite à mettre des pylônes là où il y a des manques… La SNCF, ce sont dix millions de voyageurs par jour, une heure par jour. C’est un vrai gisement de trafic pour les opérateurs… Si on se débrouille bien avec eux, les trains pourraient se transformer en gigantesque hub télécom.
Pourquoi ne pas avoir entamé cette coopération plus tôt ?
Jusqu’à présent, opérateurs mobiles et SNCF ne travaillaient pas ensemble. Il faut savoir comment on aide les opérateurs à se déployer rapidement sur notre réseau en leur fournissant l’accès à des infrastructures, des mesures de qualité de service. Après, que cela passe par de la 4G, directement sur votre smartphone, ou par du Wifi… je pense qu’il est quand même plus pratique, avec l’arrivée des smartphones, que les usagers puissent directement utiliser la 4G. Avec le TGV, parce que ça va très vite on est obligé d’avoir une technologie intermédiaire en répétant le signal. On prend donc la 4G en extérieur pour mettre le Wifi à l’intérieur.
Pourtant, cette connexion wifi existe déjà dans le Thalys (Paris-Bruxelles) par exemple ?
On couvre certes l’intérieur du train en Wifi, mais techniquement, le Wifi doit être connecté à l’extérieur. Et la connexion aujourd’hui est faite par satellite.
C’est coûteux ?
Pas seulement. C’est surtout que le débit est faible. C’était très adapté à une époque. Quand cette technologie a été choisie, c’était pour des hommes d’affaires, dotés de PC, qui voulaient synchroniser trois mails sans pièce jointe… Ça passait. Aujourd’hui, c’est 1 200 personnes qu’il faut connecter simultanément. De l’étudiant à la grand-mère, tous veulent visionner un film en streaming. Il faut évoluer et, aujourd’hui, la bonne technologie, c’est la 4G. Demain, ce sera une autre…
Les articles du dossier
- Enquête – Les start-up, nouvelle obsession des grands groupes
- Le CAC 40 à fond sur l’open innovation
- Infographie – Toutes les démarches d’open innovation du CAC 40
- « Il faut savoir faire confiance à des petites sociétés » – Interview de Laurent Idrac, directeur des systèmes d’information d’Accor
- « La PME doit changer ses méthodes de travail » – Interview de Vahé Torossian, vice-président marché PME et partenaires de Microsoft
- « L’accélération de Numa : un pari réussi » – Interview de Marie-Vorgan Le Barzic, déléguée générale de Numa
- Start’in Post, l’accélérateur de La Poste qui accroit le business