Pour chasser les polluants et le dioxyde de carbone des villes, pas d’autres solutions que de modérer les consommations énergétiques et de recourir massivement aux énergies renouvelables. Deux objectifs qui ne peuvent être tenus qu’en développant le réseau électrique intelligent.
Les citadins ne savent pour ainsi dire plus ce qu’est une coupure électrique, du moins en Europe de l’ouest. Or, il faut savoir qu’aucun réseau ne peut fonctionner sans un équilibrage permanent entre l’offre et la demande… et que cette opération n’est pas loin d’être un tour de force au quotidien. A fortiori si l’on injecte dans ce réseau une proportion importante d’énergies variables, comme le sont le solaire et l’éolien. C’est dans ce cas de figure que se retrouveront les smart cities, dont le mot d’ordre général devient : « Consommer moins, et mieux ». En clair, il s’agit de recourir à des énergies propres, issues si possible de sources locales, que l’on utilisera avec modération et dans une logique d’autosuffisance, du moins dans certains quartiers. Un programme radicalement différent de celui que nos villes ont appliqué jusque-là. Il va donc falloir donner davantage de flexibilité aux réseaux en les dotant de nouveaux instruments, au premier rang desquels le smart grid, objet de très nombreuses expérimentations.
« A Cherbourg, c’est un petit smart grid, de type microgrid, qui fera le lien entre le parc photovoltaïque et l’électrolyseur de l’installation de production d’hydrogène que le conseil général de la Manche a inscrit dans sa démarche de transition énergétique », explique Samuel Morillon, directeur de la stratégie chez Siemens France. En fonction d’un certain nombre de paramètres (météo, prix de l’électricité, etc.), l’intelligence du système consistera à décider si l’électricité photovoltaïque disponible doit plutôt servir à produire l’hydrogène destiné aux piles à combustible des véhicules prévus dans le projet, ou bien servir à autre chose.
Un fonctionnement en îlotage
Véritable aiguilleur de l’électricité, le smart grid reçoit et envoie un certain nombre d’informations pour faire à chaque instant le meilleur usage possible de l’électricité, et surtout éviter le black-out, quitte à « effacer » certains consommateurs volontaires. Cette fonction de sécurisation apparaît clairement à Carros (Alpes-Maritimes) dans le démonstrateur Nice Grid, intégré au programme européen Grid4EU. Pour réduire le risque bien réel de coupure dans cette ville industrielle éloignée des grosses centrales de production, ErDF et ses partenaires y élaborent un réseau électrique capable de fonctionner temporairement en îlotage, c’est-à-dire déconnecté des lignes environnantes. Une prouesse rendue possible par une forte production photovoltaïque locale (2,5 MWc) couplée à l’installation par Saft et Alstom d’une impressionnante batterie lithium-ion (560 kWh) et d’un non moins impressionnant convertisseur d’énergie bidirectionnel (1 MW).
Ces deux organes permettent le stockage des excédents énergétiques solaires en période de faible demande, de façon à pouvoir les réinjecter dans le réseau lorsque cette demande est plus forte, ou en cas de défaillance du réseau régional. Les ordres d’effacement, de stockage et d’ajustement du réseau
régissant cet ensemble proviennent en l’occurrence d’une plate-forme logicielle, le Network Energy Management (NEM), installée dans un poste de contrôle électrique situé non loin de là.
Autre exemple en banlieue parisienne. « Dans le cas d’IssyGrid, ce sont des batteries de véhicules usagées qui ont été mises à contribution pour la partie stockage », indique Éric Legale, coordonnateur des projets TIC menés à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). Concernant à terme 2 000 logements et 160 000 mètres carrés de bureaux, cette initiative vise plus particulièrement à tester les possibilités de flexibilité énergétique à l’échelle du quartier.
Pour lisser ou décaler les pointes de courant dans le temps, IssyGrid s’appuie, entre autres, sur la solution de pilotage énergétique UrbanPower d’Embix, une société créée conjointement par Bouygues et Alstom. Il s’agit notamment de réaliser des transferts d’énergie entre immeubles « smart grid ready », c’est-à-dire communicants et avec une consommation pilotable à la baisse (réduction automatique de la climatisation, par exemple) et/ou à la hausse (stockage) selon les cas.
Un type d’immeuble appelé à se généraliser et que l’on retrouve aussi à Vannes, où le siège du Syndicat départemental d’énergies du Morbihan (SDEM) a été équipé par Schneider Electric d’un Power Management System (PMS), chargé de gérer tous les flux énergétiques, en liaison avec la plate-forme logicielle distante StructureWare du même fournisseur. « La smart city et le smart grid se situent au point de convergence entre le monde des infrastructures et celui des informations numériques, commente Pierre Tabary, vice-président Smart cities de Schneider Electric. Si nous vendons encore beaucoup d’équipements, nous avons accompagné cette mutation en nous renforçant énormément dans le soft. » Et pour cause : les équipements qu’il évoque (disjoncteurs, sectionneurs, etc.) sont désormais connectés et tiennent lieu autant de sources d’information que d’organes électrotechniques.
Dans le cadre du plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre lancé par la ville de Boston, Schneider Electric dépasse ainsi son rôle d’équipementier. Il ne fournit là rien moins que le système informatique chargé de récupérer les données émanant de quelque 350 bâtiments publics et 64 000 candélabres. « Ces données sont ensuite traitées à des fins d’analyse par nos outils Resource Advisor et Energy Operation, des logiciels que nous utilisons aussi sur nos propres sites », souligne Pierre Tabary.
Plus près de nous, à Lyon, c’est Toshiba qui s’attache à transformer le quartier de la Confluence en ville intelligente capable de concilier maîtrise énergétique et confort pour ses habitants. « Les informations énergétiques issues de trois nouveaux bâtiments à énergie positive, de 275 appartements éco-rénovés et d’une flotte de véhicules électriques en partage, aboutiront à un outil d’analyse et de pilotage dénommé Community Energy Management System (CEMS), détaille Alain Kergoat, directeur général de la division Smart Community de Toshiba Systèmes France. Cet outil est fonctionnel, nous allons très bientôt rentrer en phase d’exploitation des données. » A suivre donc…
Mettre au point les algorithmes
Avec toutes ces données, sans parler de celles qui proviendront des compteurs intelligents (le célèbre Linky en France), l’énergie de la smart city est virtuellement sous contrôle. Mais encore fautil mettre au point les algorithmes qui permettront vraiment d’optimiser la conduite des réseaux et, in fine, de faire des économies. C’est la mission à laquelle se sont attelés Cofely Ineo (Groupe GDF Suez) et les autres partenaires (Cirtem, laboratoire Laplace, Levisys) du réseau toulousain Smart Grid Experience. Implanté sur une zone d’activités « modèle » dont 50 % des besoins énergétiques sont d’ores et déjà couverts par l’éolien et le photovoltaïque, ce projet est d’autant plus intéressant qu’il a aussi vocation à servir de base expérimentale à un autre projet de Cofely Ineo, Sesam Grids, dédié à la sécurisation des smart grids. Avec CentraleSupélec, le CEA List et Trialog, la filiale de GDF Suez cherche en l’occurrence à modéliser, à simuler, puis à tester des défaillances ou cyberattaques pouvant compromettre l’équilibre de ces nouveaux réseaux informatisés. Une fois les principales faiblesses repérées et corrigées, fin 2016 en principe, le projet accouchera d’une proposition de norme spécifique.
« En fait, d’un point de vue technologique, nous sommes prêts : le déploiement de la smart energy peut démarrer », s’impatiente Bernard Badin, directeur Business Development d’ABB. Oui, mais à quel prix ? Au sein de l’institut de recherches public/privé Efficacity, récemment créé sur le thème de l’efficacité énergétique urbaine, Christophe Gobin, responsable R&D de Vinci Construction France, défend, pour sa part, l’idée que la transition énergétique ne se fera que si l’on intègre dans les calculs de rentabilité des paramètres jusque-là laissés de côté, comme la précarité énergétique. « Les technologies d’efficacité énergétique, nous les avons, mais celles-ci coûtent très cher ; ce qu’il faut maintenant, c’est refaire les calculs, avec de nouveaux modèles systémiques, et surtout ne pas se tromper de technologies… »
L’éclairage suit l’usagerParce qu’il représente jusqu’à 40 % de la facture d’électricité des villes, l’éclairage urbain est un formidable gisement d’économies. D’abord en remplaçant les lampes traditionnelles par des LED, ce qui peut déjà réduire la consommation de 60 %. Mais il est possible d’aller encore plus loin, comme l’explique Christophe Bresson, porte-parole de Philips Lighting France. « Avec les détecteurs LumiMotion, les candélabres peuvent repérer la présence de piétons, de cyclistes ou de voitures. Dès lors, rien n’empêche les collectivités de réduire l’éclairage à 10 ou 20 % de la normale aux heures les plus creuses de la nuit puisqu’il est facile, grâce à la réactivité des LED, de remonter instantanément ce niveau à 100 % lorsqu’un usager se présente. » Mieux, cet usager peut être suivi à la trace par des candélabres qui se préviennent afin de lui ouvrir la route en quelque sorte. L’intelligence de cet équipement se situe aussi dans son mode de gestion et de pilotage. Toujours chez Philips, la technologie CityTouch, ici à Talence (photo), basée sur une connectivité GPRS, fait apparaître automatiquement tous les points lumineux d’une ville sur une carte dédiée, avec tous leurs paramètres techniques (y compris les dysfonctionnements) et relevés de consommation. |
Cet article est extrait de notre dossier sur la ville intelligente – Découvrir l’intégralité du dossier