La méthode Agile, si elle est aujourd’hui largement répandue au sein des sociétés ou équipes de services informatiques et web, demeure encore parfois difficile à appréhender par les juristes et ce d’autant plus que les tribunaux n’ont pas eu, jusqu’à récemment, l’occasion de se prononcer sur les conséquences juridiques liées à l’implémentation d’une telle méthode.
C’est la raison pour laquelle la décision rendue le 9 mars 2015 par le Tribunal de Commerce de Paris (Marty SOFT Conception /Lucas Meyer Cosmetics) est intéressante.
Le Tribunal de commerce a considéré que le grief de rupture brutale de relations commerciales établies (prévu à l’article L.442-6-I-5 du Code de commerce) devait être écarté en cas d’arrêt, par le client, d’un projet de développement informatique mise en œuvre selon la méthode Agile.
En l’espèce, un prestataire informatique qui s’était vu refusé par son client le paiement d’une facture relative au développement d’un logiciel selon la méthode Agile, sollicitait la condamnation du client au paiement de ladite facture, ainsi qu’à des dommages et intérêts au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie entre eux.
S’il obtient la condamnation dudit client au paiement de la facture au motif que le client « ne saurait s’exciper de l’arrêt des tests [et dès lors de la poursuite du projet] dont il est à l’origine pour refuser de s’acquitter du travail exécuté », le prestataire est en revanche débouté de sa demande d’indemnisation fondée sur le grief de rupture brutale des relations commerciales établies.
A cet égard, il convient de rappeler que l’une des conditions du fondement posé par l’article L.442-6-I-5 du Code de commerce est de pouvoir démontrer une relation commerciale « établie », cette qualification faisant l’objet d’une appréciation souveraine par les juges du fond.
Dans cette affaire, le Tribunal considère que si le prestataire « pouvait bien espérer une certaine continuité du flux d’affaires avec la société cliente, la nature des relations entre les parties, en l’espèce des développements informatiques à la pièce, la plaçait dans une situation ou le renouvellement régulier de la relation commerciale est soumis à un aléa tel qu’il le place dans une perspective de précarité certaine et la prive de toute permanence prévisible et ce d’autant plus qu’aucun contrat écrit entre les parties n’a jamais existé ».
Pour rappel, l’approche Agile présente l’avantage de réduire – voire de supprimer – l’effet tunnel qu’implique une approche traditionnelle dite « en cascade ». Ainsi, plutôt que de spécifier et planifier dans les détails l’intégralité d’un projet avant de le développer, la méthode Agile privilégie de courtes itérations visant la mise en production accélérée des fonctionnalités prioritaires, priorités révisables et ré-aménageables à tout moment en court de projet. Cette souplesse induite par l’approche Agile implique donc en principe la possibilité pour le client d’arrêter le projet à tout moment dès lors qu’il considère avoir atteint la valeur attendue.
La décision du Tribunal de Commerce rappelle que ce principe doit se retrouver dans l’application juridique de la relation entre le client et le prestataire.
Cela étant, déduire de cette décision de première instance que la méthode Agile exclut forcément et systématiquement le grief de rupture brutale de relations commerciales établies parait prématuré à ce stade. La vigilance reste donc de mise lorsque l’on souhaite arrêter un projet en particulier lorsqu’un contrat a été expressément conclu entre les parties.