Se protéger contre les « patent trolls » : le miroir aux alouettes de Google

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Christian Nguyen-Van-Yen, associé co-gérant de Marks & Clerk France

Les « patent trolls », mauvais génies du monde des brevets

Dans le folklore scandinave, un troll est un personnage, un géant ou un nain, toujours laid et malfaisant, parfois stupide, notamment dans le Royaume des Hobbit de Tolkien, tendant des embuscades à ses victimes pour les rançonner. C’est sans doute ce dernier trait qui a inspiré l’expression de « patent troll » créée au début des années 2000 par Peter Detkin, ancien responsable de la propriété intellectuelle d’Intel.

Le patent troll est un individu ou une organisation qui utilise un brevet délivré par un office pour rançonner des entreprises qui commercialisent des produits censés contrefaire le brevet. Les caractéristiques suivantes, très spécifiques, du système de brevets et du système judiciaire américains font que cette activité s’est développée presqu’exclusivement aux Etats-Unis :

  • Un brevet américain peut par principe être obtenu pour couvrir tout ce que l’homme peut concevoir et qui est utile ; l’examen de l’office américain est devenu plus rigoureux, mais il y a un stock important de brevets « douteux » ;
  • Le titulaire de ce brevet peut attaquer un tiers en contrefaçon sans avoir à justifier ses allégations au moment du dépôt de sa plainte ;
  • Pour se défendre, le tiers devra dépenser plusieurs millions de dollars ;
  • S’il perd, il peut être condamné à des centaines de millions de dollars, si le chiffre d’affaires en cause est significatif ;
  • S’il gagne, il a très peu de chances de se faire rembourser ce qu’il a engagé pour se défendre.

Ces caractéristiques créent un terrain de jeu rêvé pour un certain nombre d’opérateurs peu scrupuleux qui peuvent acquérir des brevets pour une somme modique, menacer de nombreuses entreprises de devoir payer très cher si elles ne paient pas un montant « raisonnable ». C’est un sport de pirates…

Mais le même terrain de jeu permet à des organisations qui n’ont aucun moyen d’exploiter elles-mêmes les brevets résultant de leurs innovations (laboratoires de recherche publics, inventeurs indépendants…) d’obtenir une juste rémunération de leurs efforts en pratiquant elles-mêmes la concession de licences à des tiers ou en laissant ce soin à des organismes spécialisés dont c’est le métier. Ces « Non Practicing Entities », alias « Patent Assertion Entities » (PAE), sont les corsaires de la mer des brevets…

Le programme Google  peut-il permettre aux start-up de se prémunir contre les mauvais génies?

Google a créé un programme présenté comme une aide pour les start-up (www.google.com/patents/licensing/#tab=psp). Ce programme permet à ses membres (pas plus de 50…) de choisir deux brevets parmi 3 à 5 proposés par Google. La start-up en obtient licence gratuite sous condition : il faut qu’elle accepte de faire entrer ses propres brevets dans un autre programme de Google géré par le LOT Network (License On Transfer Network accessible par le même lien). Les brevets du programme LOT sont automatiquement concédés en licence gratuite aux membres du réseau si leur titulaire les cède à une PAE. Cela revient à dire qu’ils perdent une part significative de leur valeur…

Les efforts de Google (et d’autres membres de la galaxie GAFA, i.e. Google Amazon Facebook Apple) pour constituer un écosystème dans lequel la valeur des brevets serait plus faible confirme que ceux qui ont constitué des positions dominantes n’ont pas forcément intérêt à ce que les start-up soient dotées de brevets de forte valeur susceptibles de leur être opposés…

Les contreparties du programme Google semblent trop importantes pour être acceptables.

Quelles alternatives ?

Un certain nombre d’Etats ont constitué des fonds souverains pour aider leurs propres entreprises à constituer des positions brevets défendables contre les trolls et autres prédateurs. C’est le cas du Japon, de la Chine et de la Corée. En Europe, c’est également le cas de la France, avec France Brevets. FB a été créé en 2011 et doté d’une 1ère tranche de 100 millions d’euros par l’Etat et la CDC pour aider les PME et laboratoires publics à développer un portefeuille de brevets de valeur.

Il est envisagé que FB soit également doté d’un 2ème fonds dit défensif qui pourrait acquérir des brevets et notamment aider les PME attaquées par des trolls, avec des compétences et de l’argent. Le défaut de ces  deux ressources est en effet la raison principale de la vulnérabilité des PME aux trolls.