Interview – Philippe Crevoisier de SEB : « Conjuguer culinaire et numérique, un atout français »

Philippe Crevoisier : « Conjuguer culinaire et numérique, un atout français »BONUS DE L’ÉTÉ :

Interview de Philippe Crevoisier,
Directeur Général de l’activité électrique culinaire chez SEB
Propos recueillis par Anne Bechet

Le Groupe SEB coordonne l’un des programmes de recherche les plus vastes à ce jour dans le domaine de la cuisine associant du numérique. Appelé Open Food System (OFS), et placé sous la direction de Philippe Crevoisier, directeur général de l’activité électrique culinaire et membre du comité de direction du groupe, ce projet d’envergure nationale vise à construire un écosystème de référence de ce que sera la cuisine numérique. À terme, les solutions ne s’arrêteront plus aux appareils de cuisson, mais aux résultats recherchés.

 

Alliancy, le mag. Quelle est la place de l’innovation dans le Groupe SEB ?
Philippe Crevoisier. Avec les marques et l’internationalisation, l’innovation est l’un des trois piliers de la croissance et de la réussite de notre groupe. Mille deux cents personnes travaillent sur l’innovation, la R&D, le marketing et le design chez Groupe SEB, soit environ deux cents personnes pour chacune de nos activités, dont le culinaire électrique.
Il s’agit d’une innovation très « ouverte », avec une forte dimension locale. Pas un seul projet n’est lancé sans, au minimum, un partenaire extérieur. Nos laboratoires sont installés au cœur de nos usines et tous les services, y compris la production, sont étroitement associés à tous les travaux. Depuis deux ans, nous disposons d’un réseau social dédié, véritable « communauté de l’innovation », afin que les personnels concernés puissent échanger sur ces thématiques, développer leurs idées et les projets en cours. La recherche appliquée pour la partie culinaire électrique est intégrée à la division du même nom. La partie R&D centralisée travaille, quant à elle, sur des segments de technologie communs à tous les produits du groupe, qu’il s’agisse de développement durable, d’amélioration des rendements énergétiques des appareils, des systèmes électroniques…

 

Pouvez-vous expliciter davantage ?
Par exemple, quand la division culinaire électrique va développer des recherches pour connecter des appareils à Internet, la recherche centralisée communiquera ses travaux sur la technologie à utiliser pour les protocoles de communication et l’implantation des modules de communication dans les appareils.

 

Depuis fin 2012, vous coordonnez l’Open Food System (OFS), l’un des projets phares du groupe. De quoi s’agit-il ?
L’OFS est un programme de recherche au croisement de plusieurs filières d’activités que sont l’agroalimentaire, l’électroménager et celle des contenus et services numériques. Soutenu par six pôles de compétitivité1, l’OFS fédère autour de nous un consortium de vingt-cinq partenaires industriels et scientifiques comme l’Institut Paul-Bocuse, Télécom ParisTech, Le Lutin2, Mondeca, Lim&Bio3

Philippe Crevoisier : "Conjuguer culinaire et numérique, un atout français"

Cookeo, le premier appareil de cuisson intégrant une liste d’ingrédients et 50 recettes de cuisine

Ce projet comprend deux volets combinant software et hardware, des technologies microtechniques de pointe, du traitement de l’information, des services et des contenus numériques innovants.

Le premier volet software consiste à mettre au point des recettes « logiques » et intelligentes, permettant de s’adapter aux besoins et profils d’utilisateurs et d’offrir des services adaptés. Ce système proposera, par exemple, des recettes selon vos goûts, votre régime diététique, les appareils que vous utilisez… Le deuxième volet hardware porte sur les capteurs. Les appareils actuels sont réalisés par des ingénieurs, c’est-à-dire selon des paramètres purement physiques.

Or, un chef travaille avec beaucoup d’autres éléments sensoriels. Comment retrouver l’œil, le nez, le palais d’un cuisinier ? Les « capteurs » de la cuisine sont encore à inventer pour retrouver ce savoir-faire. Par exemple, le changement de couleur d’un légume correspond à un type de croquant. Il faut donc imaginer des plages de couleur, qui correspondent au résultat souhaité, et un traitement de l’image, qui permette de contrôler les paramètres pour une cuisson optimale des aliments, sans intervention humaine et de façon automatisée. Les technologies telles que l’instrumentation sans contact existent, mais elles n’ont pas encore été appliquées à la cuisine. Le Groupe SEB étant leader dans cette démarche, c’est à lui d’arriver à les mettre au diapason.

 

Ce serait donc la fonctionnalité qui prime ?
Tout à fait. Un consommateur ne cherche pas forcément à connaître les caractéristiques d’un appareil de cuisson. Ce qui l’intéresse, c’est le résultat que cet appareil lui permettra d’obtenir en termes nutritionnel, diététique, gustatif… Le résultat provient d’une combinaison entre les ingrédients et les recettes. Or, nous maîtrisons la partie produits, pas celles des ingrédients et des recettes, c’est là où nos partenaires vont nous aider pour obtenir le meilleur résultat pour les préparations du consommateur.

 

Dans ce contexte, qui sont les partenaires de choix pour SEB ?
En ce qui concerne les ingrédients, nous nous sommes, par exemple, attaché les services du « meilleur boulanger de France » afin de déterminer quelle levure utiliser pour la machine à pain que nous avons mise en vente avec la promesse d’obtenir le « pain du boulanger ». Pour les produits, nous collaborons avec de nombreuses universités, comme le Centre des sciences du goût et de l’alimentation (CSGA) à Dijon dans le cadre de nos recherches sur la friteuse sans huile, l’un de nos produits phare ; les filières matériaux des universités de Lyon et de Dijon sur les additifs et la conductibilité thermique, ou encore le CEA-Liten4 sur les questions d’énergie… Par exemple, dans le cadre de la nouvelle législation sur les produits transparents, nous recherchons un matériau « BPA free » (sans bisphénol A) pour nos appareils de cuisson vapeur.

 

Et pour la partie « recettes », directement liée au numérique ?
Le Groupe SEB a initié de longue date des partenariats avec des éditeurs et des chefs pour accompagner le développement de ses appareils. Nous disposons, par exemple, d’une collection de plus de trente livres de recettes grand public et avons développé, en 2012, l’application mobile Julie & Moi avec Julie Andrieu.

Dans le cadre du projet OFS, notre ambition est de proposer à des partenaires et des start-up d’utiliser la plate-forme technologique pour concevoir et tester des services nouveaux qui seront la cuisine de demain. Cela prendra forme en 2014, avec la mise en place d’un incubateur en Bourgogne, en partenariat avec la Région et les acteurs locaux du soutien à l’innovation.

 

Philippe Crevoisier : « Conjuguer culinaire et numérique, un atout français »Vous accompagnerez donc les start-up ?
Elles pourront bénéficier de financements privés et/ou publics pour se développer et imaginer les services de demain. La structure SEB Alliance, à la fois instrument de veille technologique et fonds d’investissement, créée en 2011, a notamment vocation à y participer. Nous avons pris récemment une participation dans Chef Jérôme.

Son créateur, Antoine Durieux, a conçu une interface dite de « panier de course », qui permet de transformer les recettes de tout site Internet en un panier directement connecté avec des enseignes de distribution alimentaire en ligne comme Auchan ou Casino.

 

Lancé fin 2012, le Cookeo est-il le premier appareil « intelligent » commercialisé par SEB ?
Cookeo marque une étape supplémentaire dans l’écosystème numérique de la cuisine que nous voulons bâtir. C’est, en effet, le premier appareil de cuisson intégrant une liste d’ingrédients et cinquante recettes de cuisine accessibles en trois clics : plus besoin de choisir tel ou tel programme de cuisson, l’appareil pilote tout pour vous selon le plat que vous souhaitez préparer et vous guide pas à pas. D’ici à un an, nous lancerons des livres de recettes complémentaires, sous forme de clés USB, qui permettront d’enrichir la liste des préparations possibles avec cet appareil.

 

Vous irez encore plus loin, j’imagine ?
Certes. La phase suivante, programmée d’ici deux à trois ans, consistera à rendre le système encore plus lisible et à cuisiner dans Cookeo toutes les recettes que les utilisateurs auront réunies dans leur classeur numérique en ligne, Le Foodle.com. Cette plateforme permettra également de récolter les avis de consommateurs sur leur façon de cuisiner. L’appareil adaptera la recette à votre profil de goût et de santé, et au type de cuisson voulu. Cela signifie qu’il y aura une communication entre le software et le hardware et, qu’en plus, le software aura fait ce travail d’adaptation préalable à votre profil.

 

Plus largement, comment le groupe joue-t-il la carte du numérique ? Qu’en est-il, par exemple, des « apps » que vous lancez ?
Le numérique présente de nombreuses opportunités que nous explorons aussi par le développement d’applications mobiles. Comme, par exemple, Mon Actifry, un livre de recettes multimédia enrichi en vidéo et conseils d’utilisation. De n ombreuses initiatives sont initiées par les équipes marketing digital pour mieux promouvoir nos marques et nos appareils, à l’instar de la Tefal Channel sur YouTube.

Enfin, dans les nouvelles économies où nous ne disposons pas encore d’un réseau de distributeurs, nous avons ouvert des magasins et des sites d’e-commerce en propre, qui sont pilotés par nos équipes commerciales installées au siège d’Ecully, près de Lyon [Rhône].

 

Au final, ne craignez-vous pas d’enlever le plaisir de « créer » au cuisinier ?
Il faut davantage voir ces services comme un accompagnement, une assistance. Le cuisinier débutant sera ravi d’y avoir accès. Le plus aguerri y trouvera un moyen de s’améliorer. L’objectif du Groupe SEB reste toujours d’aider ses clients. Le numérique permettra d’inventer des nouveaux usages où la valeur des services proposés effacera l’idée d’être assujetti à la technologie.

 

N’est-ce pas là un changement total de modèle d’affaires pour le Groupe SEB ?
À chaque fois qu’un industriel entre dans le numérique, cela change profondément son modèle. On peut même dire qu’il y a un « avant » et un « après » cette intégration. Cela peut être très positif pour l’activité de l’entreprise, à condition de l’absorber à temps. C’est la raison pour laquelle le Groupe SEB a initié un programme tel que l’Open Food System.

Par ailleurs, et c’est une grande chance pour nos futurs développements à l’international, la France est déjà reconnue pour ses compétences en matière de numérique, comme elle l’est en matière de gastronomie. Les savoir-faire acquis via l’OFS seront exportables et créateurs d’emplois.

 

1. Cap Digital (Paris) pour le numérique ; Vitagora (Dijon) pour le goût-nutrition-santé ; Microtechniques (Besançon) pour les capteurs ; Imaginove (Lyon) pour le traitement de l’image ; Agrimip Sud-Ouest Innovation pour l’agriculture et Aquimer (Nord-Pas-de-Calais) pour les produits de la mer.
2. Laboratoire des usages en technologies d’information numérique.
3. Laboratoire d’informatique médicale et bioinformatique.

 

Cet article est extrait du n°3 d’Alliancy le mag – Découvrir l’intégralité du magazine

 Les bonus de l'été !

 

Lire aussi : Guy Demarle lance Cookilink, un réseau social dédié à la cuisine