François Lureau*, président d’Ingénieurs et Scientifiques de France (IESF), revient sur la place et le rôle des ingénieurs aujourd’hui en France, quelques jours avant la quatrième Journée nationale de l’ingénieur (JNI), prévue le 30 mars.
Alliancy, le mag. Alors, y a t-il ou non « pénurie d’ingénieurs » ? Quel profil pourrait poser problème ?
François Lureau. Nos enquêtes ne montrent pas de pénurie d’ingénieurs globalement. La France en produit environ 37 000 par an et leur proportion dans la population active augmente plus vite que le reste. Leur recrutement ne pose donc pas non plus de problème spécifique. Mis à part le secteur des TIC au sens large où il est vrai qu’il y a des tensions, nous ne voyons pas de déséquilibre entre l’offre et la demande. A contrario aussi, ce secteur n’est pas celui qui apporterait le plus de satisfaction aux ingénieurs. Il peut donc y avoir une relation de cause à effet…
Ensuite, quand on dit « pénurie d’ingénieurs », on ne précise pas très bien de qui on parle… Aujourd’hui, il est vrai qu’il y a un manque ou une tension dans les Bac+2 (ou +3). Les BTS sont très recherchés notamment par les PME. En fait, il faudrait développer davantage les formations courtes.
Quelles sont les compétences que les ingénieurs doivent intégrer désormais pour bien coller à la demande ?
La demande va toujours dans la même direction. Outre des compétences techniques et professionnelle qui sont considérés comme acquises, les écoles d’ingénieurs sont très bien perçues par les employeurs, grands groupes ou petites entreprises en France. Par contre, le driver aujourd’hui c’est clairement le comportement, c’est-à-dire la capacité au travail collaboratif, d’avoir le sens de l’entreprise et de jouer le jeu de cette entreprise. Troisième point, c’est l’international où, là encore, la question n’est pas de savoir si les gens parlent plusieurs langues –cela aussi est acquis-, la question reste la compréhension et l’adaptabilité à des cultures différentes. De plus en plus, dans les grands groupes, on travaille dans des équipes pluridisciplinaires et multiculturelles. Il faut savoir comprendre l’autre et s’adapter.
Où en est la formation des ingénieurs sur la « création d’entreprise » ?
L’an dernier, sur l’entrepreneuriat, notre enquête révélait que 13 % des ingénieurs de moins de 40 ans avaient l’intention de créer une entreprise dans les cinq ans et, surtout, que 55 % des moins de 30 ans avaient reçu une formation sur la création d’entreprise dans leur école d’ingénieurs. Ce taux est de 10 % parmi les 40-50 ans…
Il est vrai que de nombreux incubateurs et structures diverses ont été créés dans les grandes écoles, comme les structures de business angels… Le souci vient surtout pour la phase d’après… Produire et vendre ! Cela demande beaucoup plus de fonds pour passer de l’idée démontrée au produit que l’on vend. Il reste donc beaucoup à faire encore dans l’accompagnement de tous ordres, financier comme managérial sous la forme de parrainage par exemple…
L’ingénieur français s’exporte-t-il bien ?
Les ingénieurs à la française sont très bien vus et très recherchés par les grands groupes internationaux non français [17 % environ travaillent à l’international]. C’est un bon point ! Pas seulement pour un ingénieur d’une multinationale qui travaillerait quelque temps à l’international… Mais même s’il y reste, c’est toujours un atout pour la France. Ils font une publicité à notre pays qui est de la meilleure valeur.
La JNI met en avant les ingénieurs 1 jour par an… Pensez-vous que les ingénieurs sont suffisamment présents dans le débat public ?
Les ingénieurs français sont un peu trop timides. Ils ne vont pas défendre leur point de vue là où il faut le défendre, avec les meilleurs arguments tout en sachant convaincre tout le monde. Il faut qu’ils se fassent connaître en effet. Mais pas dans le sens de se faire « mousser ».
Il y a aussi l’aspect pédagogique qu’il faut développer. Le progrès est souvent considéré comme une menace. Puisque c’est ainsi, il faut de la pédagogie et la faire de façon objective et rationnelle, mais également en comprenant pourquoi il y a une angoisse, des craintes dans la population. Dans ce sens, les ingénieurs peuvent apporter des points de vue rationnels, tout en intégrant dans leur raisonnement l’aspect technique, économique, sociétal ou humain. Notre société a besoin de tout le monde, y compris des ingénieurs. Allons-y !
* François Lureau est président d’IESF (Ingénieurs et scientifiques de France) depuis juin 2014. Après une carrière dans l’aéronautique et l’armement, ce diplômé de Polytechnique et de l’Ecole nationale supérieure de l’Aéronautique a été, de 2004 à 2008, numéro 2 du ministère de la Défense, responsable de la politique industrielle et de recherche, de la conduite des programmes d’armement et du soutien aux exportations. Il est également l’auteur du rapport sur la fusion entre Polytechnique et l’Ensta (novembre 2013).
RDV le 30 mars pour la Journée nationale de l’Ingénieur (JNI)
La quatrième « Journée Nationale de l’Ingénieur » (JNI) 2016, placée sous le Haut Patronage du Président de la République, aura lieu le 30 mars prochain. Elle réunira 5 000 participants environ dans plus de 20 grandes villes de France. Son thème cette année : « Les ingénieurs et scientifiques : une vision, des projets et du sens ». Durant cette journée nationale, le « Trophée Vidéo 2016 », organisé avec la Confédération nationale des Junior-Entreprises et récompensant la meilleure vidéo sur le métier de l’ingénieur aujourd’hui et demain, sera également décerné. L’IESF est la société représentant les « Ingénieurs et Scientifiques de France ». Reconnue d’utilité publique depuis 1860, IESF fédère au travers de 175 associations d’anciens élèves d’écoles d’ingénieurs, d’associations scientifiques, techniques et professionnelles, une communauté de 1 million d’ingénieurs et de 200 000 scientifiques, au titre de leurs diplômes et de leurs fonctions. Pour consulter le programme de la JNI parisienne comme les manifestations régionales, et s’inscrire : http://jni.iesf.fr/offres/gestion/actus_746_23093-1669/jni-2016-4eme-edition.html |
Quelques manifestations à noter en régions :
Tout le programme : http://jni.iesf.fr/ |
L’enquête annuelle IESFChaque année, l’IESF publie une « grande enquête » (50 000 participants !) qui fait le point sur la situation socio-économique des ingénieurs en France. Ses résultats constituent l’information de référence pour la profession. La version 2016 sera dévoilée en juin prochain comme les années précédentes. Toutefois, lors de la JNI du 30 mars prochain à Paris, François Lureau donnera, lors de son introduction, quelques éléments sur deux points, l’un portera sur « l’attitude des ingénieurs vis-à-vis de la RSE » et l’autre, sur « l’ingénieur et l’engagement citoyen » (que ce soit associatif, syndical professionnel ou politique). Ces sujets sont également abordés dans un « livre blanc » actuellement en préparation et dont la parution est prévue mi-2016. Plus de 100 personnes y sont impliquées. Lire ici l’enquête IESF 2015 : https://www.iesf.fr/shop_752-36312-5045-771/enquete-nationale-2015-papier.html |