Le financement bancaire reste le nerf du financement des entreprises. Même si son décollage est encore lent en France, le financement alternatif promet pourtant un essor considérable dans les dix prochaines années. D’ici là, l’enjeu, selon Cédric Teissier, cofondateur de Finexkap, plateforme de financement de factures en attente de paiement pour les PME*, est de faire connaître aux entrepreneurs les différentes solutions alternatives de financement…
Vincent Lorphelin. Bill Gates avait dit, il y a vingt-cinq ans, que les services bancaires seraient toujours nécessaires, mais pas les banques. Où en est-on dans le financement bancaire alternatif ?
Cédric Teissier. Malheureusement, aujourd’hui le financement bancaire reste le nerf du financement des entreprises. Quand je parle d’« entreprises », je parle vraiment des petites entreprises, des TPE et PME. Cela reste le canal principal du financement de cette économie.
A quel pourcentage ?
92 %. C’est assez stable depuis de nombreuses années. Ce qui fait que traditionnellement, l’interlocuteur de base pour ces entreprises reste le banquier.
Et les 8 % restants ?
Ils sont très axés sur le capital investissement, qui représente environ 7 % du financement non bancaire, et 1 % uniquement pour les marchés financiers.
Dans ces 1 %, quelle est la part que représente le financement en ligne ?
Le financement en ligne est quasi inexistant. C’est un financement qui est réellement apparu pour les entreprises en 2014. Les acteurs qui se sont lancés pour financer de manière alternative les TPE et les PME ont financé 7 millions en 2014 et 35 millions en 2015. Cela reste donc assez naissant.
Ce sont de petits marchés. Mais on parlait de la France à l’instant, quelle comparaison faire avec les pays anglo-saxons ?
Nous avons un retard massif, c’est une évidence. Mais, ce qui est intéressant, c’est la courbe. Il faut voir que dans les pays anglo-saxons, le financement alternatif est déjà ancré dans le financement de l’économie réelle. La part du financement bancaire est bien moindre, aux Etats-Unis notamment et en Angleterre. Les banques ne jouent pas forcément le même rôle dans le tissu local. Il est donc très naturel pour les entreprises d’accéder à des financements alternatifs.
Ce retard, vous l’imaginez à quelle durée ? 1 an, 5 ans, 10 ans ?
Nous avons encore cinq ans de retard sur les pays anglo-saxons. Il suffit de regarder les chiffres ! Depuis le lancement du financement qu’on appelle aujourd’hui participatif – donc le financement qui est donné par la foule, sur Internet la plupart du temps – les plateformes anglaises notamment ont financé environ 5 milliards de pounds. En France, on parle de 50 millions d’euros à peu près pour le financement alternatif des TPE et PME. Nous sommes vraiment en décalage. Ce qui est intéressant, c’est de voir les courbes qui, aujourd’hui en France, ressemblent à celles qui existaient en Angleterre il y a 5 ans. Il est fort à parier qu’on devrait récupérer la même fraction.
Pour quelle raison est-on parti en retard ?
Malheureusement pour des raisons culturelles et structurelles de l’économie française. Pour des raisons culturelles, il faut s’imaginer en France que la position de la banque est une position centrale. Quand on est un entrepreneur, dans une TPE ou PME, le banquier est, depuis la nuit des temps, le seul interlocuteur auquel on s’adresse lorsqu’on a un besoin de financement. On préfère à la limite aller voir son banquier une deuxième fois même quand il a dit non une première fois, plutôt que de réfléchir aujourd’hui à une alternative. C’est la première chose.
La deuxième chose, c’est qu’aujourd’hui les plateformes qui se lancent en France se lancent dans un contexte où l’environnement n’est pas forcément aussi favorable.
Quelles sont les prochaines étapes pour rattraper ce retard ?
Clairement, elles vont être de créer des leaders en France, qui permettent d’assurer la pérennité de ce financement. La prochaine étape immédiate, c’est surtout évangéliser le financement non bancaire. Il faut faire connaître aux entrepreneurs l’existence des plateformes qui financent autrement que par les banques. Et cela veut dire faire un effort de communication, un effort de visibilité afin que ces entrepreneurs puissent avoir le réflexe de venir nous voir.
Il y a donc une phase d’évangélisation à faire. Mais derrière, est-ce que vous êtes en compétition, est-ce que les financements alternatifs sont en compétition frontale avec les banques ou bien, est-ce un partenaire naturel ?
La compétition avec les banques pour moi, c’est un non-sujet. Il est clair que la banque joue un rôle crucial et que les entreprises que nous créons ne sont pas là pour remplacer les banques. Elles sont là pour proposer une alternative ! La toute petite entreprise, et la PME dans une certaine mesure, n’est pas forcément desservie comme elle le souhaiterait par le financement traditionnel. Il existe des raisons qui sont légitimes et qu’on ne pourra pas forcément combattre. Ce que l’on crée, c’est de l’alternatif. C’est une nouvelle solution pour des cas qui ne sont pas forcément desservis naturellement par l’existant. Il n’y a pas de raison que ce soit une compétition.
Comment se joue cette complémentarité ? Est-ce qu’il y a des actifs particuliers qu’aurait la banque traditionnelle que n’auraient pas les nouvelles formes de financement alternatif ? Il n’y aurait pas de phénomène d’ubérisation de la banque ?
Bien sûr que les banques ont des actifs qui sont sans commune mesure plus efficaces que les acteurs qui naissent. C’est une évidence. Il suffit de regarder notamment Bpifrance qui, chaque année, garantit 80 000 crédits bancaires auprès de TPE. De par ces garanties, Bpifrance a une connaissance très fine du risque crédit via les TPE. Quand on lance une boîte comme la mienne, Finexkap, on n’a pas cette analyse-là. Ils ont un actif énorme.
C’est le « data client » finalement. La connaissance des usages et la connaissance de l’historique du client. C’est cet actif qui ne va pas se remplacer.
Evidemment, et le réseau bancaire. Il faut s’imaginer également que nous, quand on lance une boîte qui finance sur internet, nous n’avons pas forcément de force commerciale et de relation clientèle dans toute la France. C’est le cas des banques. Par contre ce que les banques n’ont pas, et ce qu’on crée, c’est la prise de conscience que l’expérience de l’utilisateur et que l’usage du service financier doit évoluer. On le fait beaucoup plus rapidement et agilement. C’est ça qui fait qu’aujourd’hui, il y a une raison naturelle pour qu’on travaille ensemble. Il y a des actifs d’un côté, il y a des actifs de l’autre. Il est clair que pour les utilisateurs finaux, c’est-à-dire les entreprises, la coopération des deux acteurs sera bénéfique.
Plus haut, vous disiez, « Aujourd’hui, le financement non bancaire est de 8 % ». Comment voyez-vous évoluer ce chiffre à horizon 10 ans ?
C’est très difficile de donner un chiffre précis. Mais je pense que les choses vont radicalement changer.
Une fourchette ?
Je dirais minimum 40 %. Larry Summers, ancien secrétaire d’Etat du Trésor des Etats-Unis, qui était au board de Lending Club, une des plus belles Fintech du monde en ce moment, a prédit en 2015 que dans les dix prochaines années, 90 % du financement serait alternatif et non bancaire. Je suis peut-être un peu moins « bullish » que Larry Summers, mais je pense que les choses vont changer radicalement. Parce que l’usage, l’expérience utilisateur fera la différence.
En conclusion, Bill Gates avait fait sa prédiction il y a 25 ans. Finalement, elle reste vraie. Simplement, elle est arrivée vingt-cinq trop tôt…
Exactement. Bill Gates a eu raison pour beaucoup de choses. Ce qui compte, ce n’est pas forcément de parler de banques ou de Fintech. C’est parler de solutions et, par là, parler de l’intérêt de l’utilisateur final. Et ce qu’on essaie de faire, c’est d’apporter des solutions à ses besoins.
* Créée en 2012, Finexkap a levé au total 25 millions d’euros.
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