Design et Tech, l’âge d’or ! Nous avons rencontré Dr John Maeda, spécialiste du design de renommée internationale, à Milan lors de la conférence « Design in the Age of Experience », la première (d’une série de quatre) organisée par Dassault Systèmes sur les « mégatrends » qui nous font changer d’ère.
Qui d’autre que John Maeda pour symboliser le « Design in the Age of Experience » ? Dassault Systèmes a invité, la semaine dernière, l’ancien directeur de la Rhode Island School of Design, aujourd’hui associé dans un fonds de capital-risque californien, Kleiner Perkins Caufield & Byers, pour le lancement de la première d’une série de quatre conférences qui exploreront les « mégatrends » dans quatre domaines : le design, la science, le manufacturing et le marketing. La prochaine conférence « Science in the Age of Experience » aura lieu à Boston du 23 au 25 mai, on y parlera biologie, chimie et médecine.
Cet « âge de l’expérience », c’est celui dans lequel 89 % des entreprises jugent que l’expérience-client sera le premier terrain d’affrontement avec leurs concurrents en 2016. Ce chiffre, tiré d’une étude Gartner et cité par John Maeda dans son Design in Tech Report, était moitié moins élevé il y a quatre ans. Cela « impacte des domaines industriels clés et transforme la façon dont les éditeurs de logiciels développent leurs solutions », explique Monica Menghini, directrice générale adjointe de Dassault Systèmes, dont l’arrivée dans le groupe correspond au lancement de la plateforme « 3DExperience ». Rencontre avec John Maeda.
Alliancy, le mag. Depuis la conférence TED de 2007, tout le monde connaît cette histoire : « John est bon en math et en art », disait votre professeur à votre père. Mais, le lendemain, votre père racontait : « Mon fils John est bon en math ». Après l’informatique au MIT, vous vous êtes orienté vers le design et avez découvert un lien entre les deux. Quelle définition faites-vous du design ?
John Maeda. Pourquoi mon père n’a pas dit l’art ? Parce qu’il ne croyait pas dans sa valeur économique. La majorité des gens pensent comme lui ! C’est d’ailleurs la raison qui m’a poussée à écrire le « Design in Tech Report ». La créativité peut se mesurer en dollars, en milliards de dollars ! Pour ce qui est de la définition du design, je dirais que c’est la capacité à synthétiser des points de vue différents et des domaines différents, dans le but de créer des objets ou des expériences qui apporteront de nouvelles possibilités à la vie telle que nous la connaissons.
Vous avez déclaré : « Nous vivons un âge d’or dans lequel l’impact économique du design devient réalité. » Le design n’avait-il pas cet impact économique auparavant ?
Le design a toujours été bon pour le business. Dans mon dernier rapport, je rappelle que le CEO d’IBM avait envoyé un mémo à ses employés qui disait « Good design is good business ». C’était en 1966 ! Je rappelle aussi que c’est General Motors qui a promu le premier designer dans la direction d’une entreprise, c’était en 1950 !
Ce que j’ai voulu dire c’est que la loi de Moore et l’arrivée du mobile ont changé à jamais l’échelle des possibles dans la Tech. Là où vous lanciez un nouveau produit ou une nouvelle fonction tous les ans, nous pouvons aujourd’hui déployer des solutions digitales à des centaines de millions de personnes en quelques millisecondes. Lorsqu’une telle inflation de l’usage a lieu, la valeur stratégique du design augmente. C’est comme pour l’automobile dans les années 1950.
Vous travaillez depuis 2013 à Palo Alto. En janvier, Tom Foremski, auteur du blog Silicon Valley Watcher, décrivait la Silicon Valley comme un « business park, fermé, monotone » et « en panne d’idées nouvelles. […] Les ingénieurs sont là pour résoudre des problèmes, mais s’ils n’en voient pas, ils n’ont rien à résoudre. » Partagez-vous cet avis et comment voyez-vous le rôle du designer dans ce contexte ?
Je ne suis pas d’accord. Je rencontre chaque jour des gens du monde entier qui viennent travailler dans la Silicon Valley. Ils font partie des personnes les plus intelligentes et performantes que j’ai rencontrées dans ma vie. Bien sûr, il y a des gens qui ont une vie plus aisée que d’autres, mais c’est la même chose à Paris, New York, Berlin ou Tokyo. La majorité des gens que je croise dans la Tech travaillent à un haut niveau et sont passionnés par ce qu’ils font. Quant à savoir ce que ça implique pour les designers, et bien il faudra qu’ils avancent plus vite – qu’ils travaillent plus vite, presque à la vitesse de l’informatique, plutôt que de regarder en arrière, vers le passé.
Les progrès de la robotique pourraient radicalement changer notre société. Certaines études prédisent que des millions d’humains pourraient perdre leur job. Quel est votre avis à ce sujet ?
Andrew McAfee décrit bien cette évolution. Pas dans une perspective sombre, mais dans une perspective optimiste, qui me semble personnellement inéluctable. Au-delà de ça, je pense surtout que l’on doit continuer à apprendre. Nous devons quitter notre « zone de confort » et penser de manière nouvelle. C’est aussi ça que j’aime en travaillant avec autant d’entrepreneurs ces temps-ci. Ils m’aident à voir le monde d’une manière nouvelle.
Nous publions un hors-série « Vivre et travailler en 2030 » ouvert à contribution. Si vous deviez y participer, quel thème aborderiez-vous en quelques mots ?
Je vous renverrais simplement à ce que j’avais écrit pour « Forbes 2020 ». C’était en 2010 et la majorité de ce que j’ai écrit s’est réalisé. Pure chance ! (sourire) [ndlr : cette tribune commence par : « L’ironie, c’est que l’informatique sera partout, mais que, dans ce futur, les ordinateurs passeront inaperçus »].
Vous vivez dans un appartement loué sur Airbnb, vous roulez en Uber ou Lyft, vous avez donné, lorsque vous avez quitté votre logement de fonction en tant que « président de la Rhode Island School of Design », la plupart de vos meubles et livres… Que pensez-vous de l’utilité des objets connectés ?
Je vous remercie de souligner cela : j’aime vivre léger ces jours-ci. Mais je me déplace quand même avec quelques objets sur moi, mes téléphones par exemple, qui sont des objets connectés. Pour ce qui est de l’Internet of Things, j’achète complètement l’idée que nous voudrons avoir à l’avenir des équipements connectés pour les missions essentielles de la maison. Ils seront même déjà encastrés dans les murs, comme les systèmes de sécurité ou les enceintes Sonos. Je suis au conseil d’administration de Sonos, donc je devais répondre Sonos ! (sourire) Mais de là à ce que tous les objets contiennent un ordinateur, comme une tasse ou une cuillère, j’en suis moins sûr.
Quel serait pour vous le meilleur design pour « l’Information du futur » ? Merci du conseil…
Je pense à quelque chose comme un simple journal papier. L’interface est facile et c’est toujours prêt à l’usage. Si c’est bien écrit, cela peut peut-être résister au moins plus d’un jour. Et s’il y a vraiment une information essentielle, vous la découperez, l’attacherez et la garderez pour la vie. Récemment, ma mère m’a offert une coupure de presse qu’elle gardait depuis ma naissance. C’était mon faire-part de naissance. Je prends conscience que je ne pourrais pas faire la même chose pour mes enfants… Qu’est-ce que cela veut dire ? Je n’en suis pas sûr, mais peut-être, simplement, que je deviens vieux.
Pour aller plus loin :
South by South West 2016 : https://www.youtube.com/watch?v=5k2FHLPyfUc
Le rapport complet : http://www.kpcb.com/blog/design-in-tech-report-2016
Rapport « Design in Tech 2016″ : 21 % des « licornes » ont été cofondées par des designersLors de la présentation de son rapport Design in Tech 2016 lors du Salon SXSW (South By South West) John Maeda est revenu sur trois prédictions de son premier rapport en 2015 qui sont devenues réalité :
Selon, lui cette évolution est amenée à se poursuivre et va bouleverser la relation entre design, business et technologie. Voici trois nouvelles prédictions d’ici à cinq ans :
John Maeda distingue en effet trois formes de design : le « design classique », le « design thinking » et le « design informatique ». En précisant que vous devez maîtriser au moins deux de ces trois catégories pour gagner la compétition au XXIème siècle. Le rapport à la perfection est ce qui distingue le plus le « Design classique » du « Design in Tech » selon lui. « La notion de forme parfaite, que veulent atteindre les designers classiques, est en contradiction avec la réalité des systèmes informatiques. » qui sont en constante évolution. Le designer va devoir évoluer et adopter une posture plus humble : « Le nouveau designer, c’est celui qui dit : je ne suis pas sûr d’avoir raison, faisons un test pour voir si c’est le cas ». En guise de conclusion, une citation empruntée à Linda Holliday CEO de Citia : « Les ingénieurs savent résoudre les problèmes. Les entrepreneurs pensent court terme. Les designers veulent des choses belles et élégantes. (…) Nous avons besoin d’une nouvelle approche « multidimensionnelle » du design qui reste encore à inventer. » John Maeda termine, par ailleurs, par une question ouverte sur la protection juridique : comment va-t-on protéger le « design thinking » qui ne relève pas du champ de la protection sur les formes et dessins ou celle des brevets ? |