Les entrepreneurs européens se plaignent souvent de la difficulté à lever des fonds sur leur propre sol. En effet, en moyenne, lorsque 10 M€ sont levés aux Etats-Unis, les entrepreneurs français parviennent tant bien que mal à en lever 1 M€. Si, selon EY, les levées de fonds en France affichent depuis le début d’année un dynamisme salutaire (+70% par rapport au premier semestre 2014), nous restons à la traîne par rapport au Royaume-Uni et à l’Allemagne (5 fois moins de levées de fonds supérieures à 100M€ par exemple) et bien sûr par rapport aux Etats-Unis.
Dans la Silicon Valley, il existe trois fois plus de start-up qu’en Europe. Sur les 130 Licornes (c’est-à-dire les start-up affichant une valorisation supérieure à 1 M$) recensées dans le monde, une quarantaine seulement sont européennes, dont 3 Françaises.
Certes, aux Etats-Unis, les investisseurs se distinguent par une moindre frilosité, le goût du risque y étant bien plus développé. Mais ceci n’explique pas tout. On sait par exemple que l’étendue du marché intérieur américain (400 millions d’habitants) permet aux start-up de développer un business model ambitieux en toute simplicité et à moindre coût. En Europe, les entrepreneurs aguerris conseillent de cibler dès le départ le marché international du fait du caractère limité de chaque marché intérieur. Le plus grand marché local européen, l’Allemagne, est cinq fois moins important que celui des Etats-Unis.
En tant que dirigeant d’une start-up technologique, je me heurte quotidiennement à la réalité européenne : la moindre ouverture d’une filiale relève du casse-tête, du fait de l’existence d’une nébuleuse de droits imbriqués, et d’obligations sociales, de réglementations et bien sûr, de langues et cultures différentes. Le contrat de travail français n’a rien à voir avec celui des Britanniques et des Allemands. Au final, nous devons tout réinventer à chaque nouvelle ouverture, ce qui coûte cher et prend beaucoup de temps. Créer une entité juridique est finalement complexe en Europe, et implique de disposer d’équipes juridiques, comptables et financières dans chacun des pays, ne serait-ce que pour une question de langue et de culture du droit.
Un contrat relevant du droit européen, ou a minima un accord multilatéral des pays de la zone Euro, offrirait un socle commun pour harmoniser les modalités de recrutement ou de licenciement, les charges sociales, les règles de TVA, etc. Chaque pays dispose aujourd’hui de son propre droit du travail. Il fut question, un temps, de l’harmoniser à l’échelle européenne, mais il semble aujourd’hui que les dirigeants européens aient abandonné cette idée. L’affaire Ryanair, poursuivie sur le plan pénal pour travail dissimulé, a démontré toute la difficulté de l’exercice.
L’Europe aujourd’hui n’est pas le grand marché domestique annoncé, malgré la libre circulation des biens et des personnes. Conséquence, quand une start-up française cherche à lever, par exemple, 100 M$ pour son expansion en Europe, elle obtient au final et au mieux 10 fois 10 M$. Le développement ne peut donc se faire qu’étape après étape. On est loin du rythme réel des affaires mondiales.
Un contrat de travail simplifié, exclusivement dédié aux startups, qui bénéficierait de surcroît d’un statut spécifique avec des réglementations propres, permettrait de résoudre une partie de ces problèmes. Un premier pas a été franchi avec l’instauration de la monnaie unique. Mais l’arbre cache-t-il la forêt aujourd’hui ? Si nous ne sommes pas capables d’harmoniser nos réglementations sociales, nous n’arriverons pas à faire l’Europe. On constate que sur les 28 pays de l’Union Européenne, seulement 17 ont adopté la monnaie unique. Pourquoi ne pas imaginer d’initier une Europe sociale avec un nombre limité de pays, comme pour l’Euro ?
Le seul projet en Europe consiste, semble-t-il, à maintenir coûte que coûte la zone Euro. Le reste n’avance pas, et même sur certains aspects, l’Europe recule. L’absence de réglementation formelle quant à l’exploitation des données privées est un exemple parmi d’autres de la difficulté de l’Europe à se fédérer.
Alors que les grandes entreprises ont les moyens humains et financiers pour gérer cette complexité, les startups doivent se débattre avec leurs moyens limités. La présence d’équipes juridiques est souvent corrélée à d’éventuelles levées de fonds. Et les investisseurs nationaux privilégient avant tout leur propre territoire, tout en laissant le soin à d’autres de financer le développement international. Une fois encore on atteint vite les limites du marché européen.
L’instauration d’un contrat unique européen pour les start-up permettrait d’abattre ces barrières. La première étape pourrait consister en l’adoption d’un contrat de travail unique, comme le propose l’ancien Directeur général de l’Organisation mondiale du commerce, Pascal Lamy. Mais cette idée aujourd’hui suscite peu d’engouement. Pourtant, le secteur du numérique pourrait, comme l’explique le Cercle des Economistes, parfaitement se prêter à des expérimentations sociales au niveau européen. Alors que le nombre de jeunes qui arrivent sur le marché du travail dépasse en France celui des retraités qui quittent ce même marché (750 000 contre 600 000), le problème du chômage va aller en s’intensifiant si la réglementation du travail ne change pas. Nous tenons là une piste qui pourrait permettre aux start-up d’étayer leur développement. Qu’attendons-nous ?