Courant juin, Godefroy de Bentzmann, co-PDG de l’ESN Devoteam, a été élu à la tête du Syntec Numérique, pour un mandat de trois ans. Parallèlement, Bertrand Diard, CEO d’Influans et co-fondateur de Talend, a pris de son côté la présidence de TECH In France, pour un mandat de deux ans. A chacun, pour qui c’est une première en termes d’engagement, nous avons demandé leurs projets en cette rentrée.
Alliancy, le mag. Vous arrivez à la tête de Syntec Numérique. C’est une première dans votre parcours. Pourquoi cet engagement ?
Godefroy de Bentzmann. On peut être utile à la cause, de notre industrie bien sûr, mais également pour faire bouger les choses plus largement dans le pays. Ce n’est pas seulement la campagne présidentielle qui m’a attirée à la tête de Syntec Numérique. Ce n’est qu’un des leviers… Nous sommes dans une transformation radicale des usages, de la société civile, de l’économie en général, des marchés, du secteur privé comme du secteur public. Il y a vraiment beaucoup de choses à faire, de décisions à prendre, d’opportunités à saisir ; tout cela me passionne.
Quelles sont vos priorités en cette rentrée ?
D’abord, je continue de mener les actions engagées par Guy Mamou-Mani, mon prédécesseur, qui a surtout axé son action sur l’attractivité de notre secteur et l’emploi des jeunes ; la défense de nos adhérents et la parité, pour placer les femmes au cœur de la vie de l’entreprise. Tout ceci reste des sujets importants que je continuerai à porter. Pour autant, nous sommes à une croisée de chemins qu’il ne faut pas rater.
Mes priorités actuelles évoluent du fait de la période particulière dans laquelle nous nous trouvons. En trois ans, il y a eu un bouleversement énorme sur tous nos marchés, et plus une seule entreprise ne pense qu’il ne va rien se passer pour elle. Et, chose nouvelle, elle agit en conséquence en mettant en place un plan d’actions concret.
Pensez-vous que la prise de conscience des politiques est bien là désormais sur l’importance du numérique pour l’économie de notre pays ?
Nous avons aujourd’hui un sentiment d’urgence qui n’est pas partagé par les politiques et l’on risque de passer à côté des opportunités qui existent. La manière dont ils prennent le sujet de la révolution numérique n’est pas la bonne méthode, pas le bon rythme, pas la bonne vitesse, pas la bonne orientation. Et quand on écoute les candidats aujourd’hui, pas un seul n’a intégré au cœur de sa problématique l’opportunité de changer la société (droit du travail, agilité des services de l’Etat…) et le risque de ne pas le faire (continuer à ralentir par rapport à nos voisins qui vont très vite…).
Syntec Numérique souhaite donc porter ce discours auprès des politiques pour les aider à mûrir, à prendre conscience de ces enjeux. Et, du fait de l’échéance présidentielle, nous avons l’opportunité de leur parler à un moment où ils veulent bien nous écouter davantage… Nous attendons également de leur part des retours car, en 2012, notre « plateforme présidentielle » avait généré trop peu de réactions. Je vais me battre pour que ce soit différent cette fois.
Est-ce une question de droite/gauche ?
Absolument pas. C’est la même chose des deux côtés. Les politiques n’ont aucun sentiment d’urgence. Je suis plutôt d’une tendance libérale, mais pour autant, la droite n’est absolument pas consciente des enjeux que le numérique pourrait leur apporter et des risques qu’ils ont de ne pas s’en saisir. Tous ont certes une maturité bien meilleure qu’en 2012 [il n’y a qu’à voir les débats autour du projet de loi pour une République numérique], mais ils ont l’impression qu’il y a plein d’autres sujets à traiter avant d’intégrer cela… Alors que toutes les économies qu’ils voudraient faire, la dynamique dans laquelle ils voudraient placer le pays, les citoyens, les jeunes… passent par le fait qu’on rattrape le train, comme tout le monde. Le fond du sujet est bien « est-ce que j’accepte de remettre en cause un modèle. » Et cela est primordial.
Le fait que le numérique soit dans une logique plus ouverte, davantage de transparence, le pouvoir à la foule, est-ce que cela peut être un frein ?
En quelque sorte, le numérique redonne du pouvoir au peuple… La moralité de la vie politique est mise à nue et fragilisée. Que les politiques le craignent et le subissent, cela est sûr, mais je n’imagine pas une seconde qu’ils croient qu’on pourra l’arrêter… Plus rien ne restera secret très longtemps, tous les petits accords ou autres trahisons seront mis sur la place. Par contre, face à cela, ils ont une énorme responsabilité.
Quelles sont les principales forces et faiblesses de la France dans le domaine du numérique ?
Il est essentiel pour nos entreprises de pouvoir s’appuyer sur des infrastructures de qualité, mais le très haut débit doit être considéré comme un moyen et non un objectif. C’est le développement des usages, comme dans l’e-santé ou l’e-éducation, qui transformera durablement le quotidien des usagers. Le label FrenchTech a certes réussi à créer un engouement pour le numérique, mais avant tout, les entreprises ont besoin de pouvoir compter sur la stabilité des dispositifs fiscaux. Le Cice n’a pas gommé les effets des hausses de charges qui étaient intervenues juste avant sa mise en place, et les entreprises doivent aujourd’hui pouvoir travailler dans un environnement constant. Syntec Numérique se félicite par ailleurs du maintien de centres de recherche sur le numérique en France, grâce notamment au CIR. La simplicité de ces dispositifs est essentielle pour notre économie.
En fait, sur tous ces sujets, il faut que la gauche, comme la droite, ne relâche pas la pression. La Loi travail était une bonne initiative : il faut libérer le travail, en donnant la possibilité aux Français de travailler différemment. Si on ne fait pas cela, les entreprises seront fragilisées… Gardons le rythme ! En matière de recherche, de brevets, de capacité d’innovation… la France est extraordinaire si on se compare aux autres pays européens. En France, on fourmille de créativité dans tous les domaines, c’est une chance ! Après, c’est évident que l’on a une difficulté à transformer… Notre écosystème, qui commence par l’Etat, est extrêmement lourd (prises de décision, décrets d’intervention, fiscalité…) et on tourne autour sans vraiment bouger. Travaillons sur les statuts, que pourraient être l’entrepreneuriat salarié, les nouveaux modes de travail…
Dans une note récente, Jean Tirole, le prix Nobel d’économie, regrette le poids trop important de la puissance publique et une fiscalité trop lourde qui découragerait les initiatives en France. Etes-vous de cet avis ?
Comme Jean Tirole et ses corédacteurs, il me semble que davantage de lisibilité des différents dispositifs de soutien à l’innovation et une meilleure cohérence des politiques de financement des entreprises (par Bpifrance et les Programmes d’investissement d’avenir) permettront d’améliorer leur efficacité pour les entrepreneurs et les investisseurs. Il y a le même besoin de clarté et de simplicité en matière de fiscalité : pour les acteurs étrangers d’une part et pour les entrepreneurs français d’autre part, qui doivent être encouragés à investir, ou réinvestir, davantage. Si, demain, les investisseurs sont plus nombreux et dynamiques auprès des entreprises françaises, l’intervention publique pourra jouer un rôle plus politique et encourager l’innovation dans des secteurs où l’on en a davantage besoin.
Malgré son succès et la reconnaissance internationale de Bertin Nahum, l’exemple de MedTech [cédée cet été à l’américain Zimmer pour 164 millions d’euros] illustre-t-il l’incapacité française à générer des licornes ?
Quand un entrepreneur a créé une start-up qu’il finit par vendre et gagne beaucoup d’argent, ce n’est pas spolié l’Etat ou les autres Français, c’est réinjecter dans le système économique des investissements que l’Etat ne sera pas capable de faire… La première des choses à faire est de laisser les gens gagner leur vie et qu’ils aient envie de le faire en France et pas ailleurs ! L’Etat doit trouver de multiples petits canaux pour remettre de la capacité d’investissements dans nos circuits, plutôt que de penser que cela doit passer par BpiFrance notamment. Qui peut mieux entreprendre et investir qu’un entrepreneur ?
Concernant le cas que vous citez, il est très dommage de voir que même en Europe on n’arrive pas à trouver les fonds suffisants pour soutenir certaines sociétés. Les banques, dont Bpifrance, sont trop loin du business… Au final, ce sont quand même nos emplois qui ne seront plus là. L’entrepreneuriat c’est comme une boule de neige, active, qui grossit sur place et donne envie à d’autres de se lancer. C’est un énorme problème qu’il faut absolument adresser.
Estimez-vous nécessaire de penser la réglementation du numérique au niveau européen ? La France influe-t-elle suffisamment sur les décisions prises à ce niveau ?
La France veut peser sur ce qui se passe en Europe et sur les décisions en cours en prenant à l’avance des positions qui forceraient les Européens à les suivre… C’est très mal perçu par nos voisins. Maintenant, c’est bien d’avoir un avis et de le porter…
Hélas, le sujet n’est plus en France ! Il faut se le dire et l’accepter. Les politiques doivent investir en Europe sur ces questions. Et c’est la même chose pour Syntec Numérique. Nous avons un enjeu énorme à faire descendre la transformation numérique dans les entreprises et dans l’Etat, et pour cela il faut libérer le travail, simplifier le cadre… Mais d’évidence, Syntec Numérique doit aussi aller prendre des positions claires et quotidiennes dans les instances européennes ou avec nos homologues européens que sont les Britanniques, les Allemands, les Espagnols… Que ce soit sur des sujets de régulation, d’usage ou de stratégie. Investissons du temps dans les groupes de travail à l’échelle européenne. Le travail auprès des institutions européennes doit encourager le législateur français à mieux prendre en compte le calendrier européen ; les contradictions ou les revirements sur le cadre réglementaire sont autant de bâtons dans les roues de la croissance.
Pour peser dans le débat, les différentes associations françaises, représentatives des acteurs du numérique, doivent-elles mieux collaborer ensemble ?
Au niveau national, nous sommes finalement peu nombreux. A nos côtés, il y a différentes associations qui essaient aussi de porter leur voix et tout cela disperse un peu l’énergie. Nous avons aujourd’hui des discussions avec certains pour voir comment on pourrait harmoniser nos actions. Il faut le faire et cela sans détruire la valeur. C’est un sujet et j’y travaille beaucoup. Quel que soit le temps que cela va prendre, nous finirons par y arriver. Concernant l’international et la façon dont la France peut oeuvrer, Syntec Numérique peut avoir ce rôle-là. Nous avons la visibilité, les moyens et c’est aussi une façon de nous imposer et de faciliter ce regroupement en ayant des relations avec tous nos homologues européens.
Nous travaillons à une plateforme « présidentielle » que l’on finalise actuellement. Ensuite, nous mènerons deux types d’actions, l’une qui est de travailler en direct avec nos moyens de lobbying auprès des politiques, et l’autre qui consistera, de façon sélective, à mener des actions communes avec des associations qui voudront communiquer avec nous sur des positions communes, par le biais du Collectif France Numérique 2017. Ce sont des décisions en cours. Syntec Numérique doit évidemment continuer ce que nous faisons depuis longtemps et l’accélérer, mais il ne doit plus y avoir une initiative où nous sommes seuls. Il faut chasser en meute !
* Note publiée par le Conseil d’analyse économique (CAE) et intitulée « Renforcer le dynamisme du capital-risque français » .
Syntec Numérique est une chambre professionnelle, qui a deux missions principales. L’une orientée vers ses 1800 adhérents pour les aider dans leur développement, en incitant au partage d’informations et bonnes pratiques. L’autre tournée vers l’extérieur et les politiques au sens large : elle concerne les relations avec les institutions, l’Etat, les régions et la Commission européenne, afin de peser sur les décisions. |
S’il a transmis mi-juin le poste de président de Syntec Numérique (qu’il occupait depuis juin 2010) à Godefroy de Bentzmann, par ailleurs co-président de Devoteam, Guy Mamou-Mani n’a pas pour autant lâché toute implication du côté des fournisseurs IT. Nommé début 2016, vice-président du Conseil National du Numérique (CNNum), il suit de près les questions de transformation numérique des entreprises, notamment celles des PME. Avec un objectif à atteindre : mieux vendre ! Fin juillet, le CNNum, présidé par Mounir Mahjoubi, a d’ailleurs remis ses premières observations, conseils et pistes d’action sur ce sujet, suite à sa saisine par Emmanuel Macron en mars 2016. Au sein de Syntec Numérique, Guy Mamou-Mani, qui était très engagé sur le plan Industrie du Futur, piloté par Bernard Charlès, PDG de Dassault Systèmes, et Frédéric Sanchez, président de Fives, compte également – à titre bénévole – poursuivre son action dans ce domaine et faire des propositions au gouvernement. |