La capacité à transformer les start-ups en licornes est actuellement considérée comme un indice de dynamique économique et de la capacité à créer de la richesse à l’échelle mondiale. Toutefois les licornes reproduisent petit à petit les « travers » des groupes industriels sans avoir nécessairement d’effet d’entrainement sur le reste des économies nationales. Sans oublier que, pour celles qui naissent en France, beaucoup finissent par « changer de pavillon » et ne plus être françaises…
Les licornes, ces entreprises des « nouvelles techno » en hypercroissance valorisées plus d’un milliard de dollars sont très enviées. A l’échelle mondiale, elles donnent un nouveau ton aux marchés économiques, promeuvent de nouveaux business models basés sur la désintermédiation et/ou les plateformes communautaires, ou encore imposent un autre style managérial et entrepreneurial. Dans ce cercle très fermé qui comptait, fin 2016, 179 entreprises au total dans le monde, figurent des Françaises comme Blablacar, Criteo, Vente-Privée, Vestiaire Collective, rejointes récemment par Actility, Cedexis, Sigfox, Synthesio et OVH. Le classement Tech Tour Growth 50 en retient 7 pour la France dont Devialet, Crocus Technology et Scality.
Certes, ces entreprises contribuent à la redynamisation de l’économie et au rayonnement de la France sur les marchés internationaux. Toutefois, comme l’analysent Gary Hamel, professeur invité à la London Business School and et co-fondateur de The Management Innovation Exchange, et Michele Zanini, Managing Director de the Management Lab et co-fondateur de The Management Innovation eXchange dans un article paru sur le site web de la Harvard Business Review le 8 février dernier [1], elles ne sont pas LA solution providentielle contre tous les maux des économies occidentales (croissance molle, chômage, etc.).
Des entreprises qui deviendraient presque comme les autres
A y regarder de plus près, en grossissant, les licornes adoptent des logiques et modes de fonctionnement similaires à ceux des groupes industriels traditionnels. Voici ce que les auteurs de l’article cité plus haut soulignent :
– Parmi les signes extérieurs qui se retrouvent chez plusieurs d’entre elles : la tendance à multiplier les processus et procédures internes et à bureaucratiser leur organisation. Or l’agilité s’amenuise quand le nombre de VP, lui, devient exponentiel (Gary Hamel et Michele Zanini ont noté un total de 600 VP chez l’une des licornes américaines).
– Ensuite, les licornes adoptent de plus en plus un rôle de « consolideur de marché », réalisant acquisition sur acquisition. Les nouveaux segments qu’elles ont fait émerger finissent par être au final plus concentrés encore que ne l’étaient les segments industriels d’autrefois. L’article de la HRB fait notamment référence à une étude de The Economist [2] sur le sujet.
– Corollaire de ces deux évolutions : elles perdent petit à petit l’esprit entrepreneurial du start-upper qui les distinguait pour adopter un esprit managérial de groupe industriel. Difficile alors de croire que le rebond et l’innovation économique puisse venir de sociétés ayant basculé dans la culture des conglomérats.
Dernier point, propre aux licornes françaises mais qui ne doit pas être omis du raisonnement et vient s’ajouter aux arguments soulevés par les 2 auteurs américains : les licornes françaises, au fur et à mesure de leurs levées de fonds, font rentrer de plus en plus d’investisseurs américains. Avec le risque à terme de ne plus vraiment rester françaises, un investisseur américain ayant toujours en tête, quand il mise sur une entreprise, d’éventuellement la racheter à terme, sinon de la revendre en faisant une grosse plus-value.
Autre tentation : déménager leur siège aux Etats-Unis. Un pas que Scality et Crocus Technology ont déjà franchi…
Un défi bien plus grand
Ne nous méprenons pas : je ne veux en aucun cas dire que la France ne doit pas soutenir ses licornes. Bien sûr que ces champions jouent un rôle essentiel pour notre économie et notre compétitivité.
Mais elles ont surtout besoin d’un environnement financier qui leur permettent de trouver en Europe – et non aux Etats-Unis – les ressources financières dont elles ont besoin. A ce titre, créer un Nasdaq européen servirait directement leurs enjeux de développement en dotant les capitaux-risqueurs européens de moyens financiers à la hauteur de leurs ambitions de croissance. Créer une zone euro forte serait également un plus pour nos licornes, permettant des échanges commerciaux plus équilibrés et une réelle force de négociation avec leurs clients et partenaires internationaux – sujet clé à l’heure ou D. Trump a pris la Présidence des Etats-Unis.
Soutenir les startups et les licornes ne doit pas se faire aux dépens des autres segments de l’économie. Les acteurs des nouvelles technologies sont très dynamiques mais pour le moment ne pèsent que peu dans le PIB français.
Il faut donc que la politique économique menée soutiennent l’ensemble des PME dans leurs efforts de développement, qu’elles soient numériques ou pas. Le challenge à relever à ce titre sera double : non seulement créer des conditions macro-économiques nationales et internationales propices à leur développement ; mais aussi faire grandir la culture entrepreneuriale, encourager l’audace et faciliter le financement des projets portés par une vision long terme et reposant sur des business models robustes et innovants à la fois.
Les licornes nous éduquent aux bienfaits de l’hypercroissance et à la créativité business. Que nos start-ups deviennent des licornes c’est très bien ; mais que plus de nos PME partagent cette culture entrepreneuriale et se transforment en ETI, ce serait beaucoup mieux.
[2] étude à retrouver sur The economist.
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