Croître rapidement tout en restant agile : les entreprises qui veulent y arriver marchent sur un fil. Pour Romain Niccoli, co-fondateur de la licorne française Criteo, certains partis-pris peuvent cependant les aider. Lors du Soat Agile Day en avril, l’entrepreneur est revenu sur 6 règles que les organisations ne devraient pas ignorer.
L’agilité n’a jamais eu autant bonne presse. Bien au-delà des start-up et de leur avantage naturel sur la question, le terme est sur toutes les langues dans des entreprises de plus grande taille. Celles-ci cherchent à trouver le souffle qui leur permettront d’affronter des concurrents d’un genre nouveau, pure players « ubérisateurs ». Mais est-il possible de devenir grand sans perdre son agilité ? L’exemple de ces nouveaux concurrents laissent clairement à penser que oui.
Comment éviter l’effet ciseau de la croissance ?
« La croissance d’une entreprise génère naturellement de la complexité. Elle brouille les lignes directes de communication avec les différentes couches de management, auxquels les collaborateurs s’étaient habitués. La conséquence, c’est le chaos » a résumé Romain Niccoli lors du SOAT Agile Day, un évènement consacré à l’agilité et à l’émergence d’une véritable « culture produit » dans les entreprises.
Le co-fondateur de Criteo, l’une des rares licornes françaises, est aujourd’hui à la tête d’une nouvelle start-up. En avril, il a cependant pris le temps de témoigner devant une salle de 200 professionnels en poste dans des entreprises françaises pour détailler ce qui était à ses yeux l’une des plus grandes problématiques de la croissance rapide que les organisations recherchent.
Il décrit ainsi l’effet ciseau qui survient quand une entreprise rencontre le succès : « Le réflexe est de codifier de plus en plus les processus. Mais dans le même temps, l’entreprise est obligée de recruter beaucoup plus largement et pour y parvenir, elle abaisse ses exigences ». En parallèle, de nombreux key people souffrent de ce « changement de culture » rapide et quittent le navire.
Six axes d’action
Pour l’entreprise, cette dynamique ne fonctionne malheureusement qu’à court terme. « Le problème majeur arrive quand elle doit s’adapter aux changements du marché, alors que ceux-ci deviennent de plus en plus rapides ». Les nouvelles recrues dans une organisation pleine de nouveaux processus, ne peuvent pas gérer cela. L’entreprise en croissance souffre alors d’une crise d’inertie soudaine qui la surprend et l’empêche de s’adapter à de nouvelles réalités. Pour l’entrepreneur, six axes d’action peuvent permettre d’éviter les pièges de la croissance :
1 – Recruter différemment
« Il faut remporter la bataille des talents, plaide Romain Niccoli. C’est souvent contre-intuitif, mais il est nécessaire que l’entreprise augmente le niveau de ses exigences dans ses recrutements, pas qu’elle l’abaisse pour recruter plus largement ». Ainsi, la croissance ne diluera pas le niveau de compétences et d’autonomie dans l’organisation.
2 – Savoir « tuer » ses projets et choisir ses combats
Pour faire face au risque d’être en sous-effectif et pour éviter de disperser ses précieuses forces vives, l’entreprise doit également apprendre à mettre fin aux projets qu’elle a lancé et qui n’aboutissent pas. « Tout le monde se dit qu’il est capable de le faire si un projet ne fonctionne pas. Le secret c’est de savoir aussi s’y résoudre même quand un projet fonctionne un peu » note l’entrepreneur.
3 – Faire confiance et profiter de l’autonomie de ses talents
Pour garder et renforcer la motivation des talents si durement recruté, l’entreprise doit prendre un véritable engagement managérial différent. « Quand on embauche des gens talentueux, ce n’est pas pour les coincer et les micromanager. Il faut donc s’engager à leur laisser du champ pour qu’ils puissent réellement exprimer leur talent : le contexte est plus important que le contrôle ». Sous-entendu : il faut transmettre les priorités globales et laisser les équipes « mettre en musique » à leur manière.
4 – Clarifier les règles managériales pour fidéliser
Ce parti pris à tendance à aplatir la hiérarchie. Les « managers » ont alors plutôt vocations à jouer un rôle de coach. Mais pour y parvenir, il est nécessaire de clarifier les règles : « Il est extrêmement important de formaliser la « seniorisation » dans l’entreprise : les critères et la dynamique doivent être objectifs. En parallèle, plusieurs fois par an, il faut faire se positionner d’eux-mêmes les collaborateurs sur les promotions et les responsabilités qu’ils veulent prendre » détaille Romain Niccoli.
5 – Favoriser la mobilité interne
Ne pas laisser des clans se former et laisser les opportunités d’exercer un métier différemment pour l’entreprise : ces deux aspects complémentaires contribuent eux aussi à fidéliser les individus et à dynamiser toute la structure. « Aujourd’hui, il faut pouvoir changer de job en interne en profitant de la croissance de l’entreprise, sans dépendre de l’accord unique du management, car un manager n’a pas vocation à « laisser partir » ses collaborateurs. Au contraire, il est nécessaire de proposer proactivement des opportunités, tout en baissant les barrières entre les postes. Des stages internes permettant de découvrir d’autres métiers pendant plusieurs jours sont clés pour amener cette compréhension transverse. »
6 – Anticiper
Reste sans doute le plus difficile. Alors que l’entreprise en forte croissance doit gérer de fronts tous ses combats, assurer son activité quotidienne tout en évitant d’être déséquilibrée par de nouveaux clients ou projets, il est vital qu’elle se projette sur son avenir. Les roadmap sur 5 ans ayant de moins en moins de sens, les organisations ont appris à fonctionner sur des visions plus courtes. Le co-fondateur de Criteo évoque des cycles de 9 mois glissants, réactualisés tous les trimestres, qui peuvent laisser aux équipes la possibilité de fonctionner en mode agile tout en construisant le plus long terme. Mais pour éviter d’être disrupté par un brusque changement sur le marché, il est nécessaire de se projeter encore plus loin. Romain Niccoli encourage à formaliser cette approche : « Dès que vous le pouvez, formez une équipe dédiée pour scanner le marché et rencontrer d’autres acteurs. Est-ce que leur vision produit change votre vision du monde ? Pas d’arrogance ! On peut être très vite bousculé, même quand on réussit. Il ne faut pas sous-estimer l’importance qu’il y a à consacrer une partie de ses ressources au long terme ».
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